L’étrange festival 2008 à Strasbourg

Manifestation nationale, parisienne au commencement, mais ne survivant plus aujourd’hui que grâce aux pulsions bizarres des bouseux de province (Nantes & Strasbourg, cette année), l’Etrange Festuche est ce qui peut se faire de mieux en matière de programmation cinéma.
Son line up va de l’avant-première de blockbuster au court métrage d’art vidéo, du superhéros bootlegé aux brouillons des futurs maîtres, et n’a pas peur de balayer tout le spectre des images qui bougent, du pire gore décérébré à l’intello stratosphérique. C’est un peu un croisement entre Arte après-la-nuit, la vidéothèque de votre pote geek, les fonds cinés du MOMA et les poubelles d’un producteur fou de Bollywood… La plupart des péloches qui y sont diffusées resteront invisibles ailleurs ou seront diffusées dans des conditions impossibles, d’ici à deux ou trois générations. Bref, pour peu que vous ayez plus de curiosité que d’a prioris, la traversée de ces cinq jours seront toujours une grande et belle aventure.

Pourquoi cet enthousiaste laïus liminaire ? Juste parce que, chaque année depuis quatorze ans (et je dis bien “14 ans”), l’Etrange Festival galère à se monter. Pas que le public renâcle – c’est lui qui finance aux trois quarts l’évènement, ce qui revient, au niveau planning budgétaire, à jouer chaque édition à la roulette russe (et au pistolet automatique)… Mais les financeurs institutionnels s’acharnent à traîner des sandales, à trouver trop bizarre ces films étranges, à hésiter à y reconnaître une manifestation de culture, voire, d’art. On sait que ces gens ont parfois de la merde dans les yeux. Alors si vous êtes de leur famille, ou si vous connaissez personnellement un ministre de la culture en exercice, n’hésitez pas à leur en toucher un mot. Merci.

Special big up aux orgas, bénévoles aux paupières bouffies, aux yeux cernées & aux lèvres tremblantes, qui sacrifient annuellement trois mois de leur capital-sommeil sur l’immense autel du silver screen. Iäh Hastur ftagh’n.
De loin pas vu autant de films que j’aurais voulu cette année.  Mais tout de même il y avait…

POSTAL de Uwe Boll (2007)
Un long-métrage kolossal, par le plus grand réalisateur (autoproclamé) de tous les temps (en Allemagne). Boll s’est taillé une petite réputation en fomentant d’audacieux portages de jeux vidéos pour le grand écran, puis en pétant les incisives des critiques qui osaient écrire tout le mal qu’ils en pensaient. Uwe s’offre un caméo dans Postal – en culotte de peau et avec un chapeau bavarois : vu le gabarit du perdreau, je vais faire mon possible pour rester poli…
Postal, donc. La très amusante histoire d’un jeune homme au chômage et de son tonton patron de secte, qui se retrouvent en compétition avec Ousama Ben Laden et ses talibans pour le contrôle d’un lot de peluches aux formes suggestives. Un scénario d’une belle constance (dans la profondeur), de grands acteurs (inconnus), un humour enlevé (puis torturé dans la cave), des filles dévêtues (avec des gros flingues), des explosions, euh, des blagues racistes, hum, de la violence gratuite (damn, déjà dit) et… kof kof, une grande… réflexion ?… non, une grande… fresque, c’est ça, une fresque épique sur la perte de sens dans notre société post-moderne.
A voir après un litre de Jack Daniel’s coupé aux valiums.

Le court : Berni’s Doll de Yann Jouette, un truc en animation mixte, visuellement sympa, moins convaincant sur le scénar (un travailleur s’épuise à la chaîne pour payer sa poupée gonflable). Le mélange prises de vue réelles / design trois dés est en train d’accoucher de nouvelles formes marrantes, s’affranchissant des deux modèles. Une piste à suivre.

TACHIGUISHI RETSUDEN de Mamoru Oshii (2006)
Un film philosophique de môsieur Ghost In The Shell, portant exclusivement sur les écumeurs de gargotes, aussi appelés clochards bouffeurs de nouilles. Par le biais de plusieurs figures urban-légendaires, tous piliers de fast foods (Mange-lune, la Renarde, Tranche-de-boeuf ou l’Indien-qui-n’était-pas-l’Indien), c’est toute l’histoire du Japon de l’après-guerre qu’Oshii déroule et décrypte.
Ouais, bon, ça c’est pour le pitch. En vrai j’ai cru devenir fou. L’heure quarante-quatre de ce film ressemblait à huit jours enfermés dans une malle de voyage moisie, à écouter un soliloqueur dément qui perdrait toutes les trois minutes le fil de sa pensée. On aimerait se raccrocher aux images : misère, ce sont des plans figés, parfois jolis dans le mélange photo-dessin-bidouille, mais si irrémédiablement immobiles qu’aucun échappatoir ne semble possible, nulle part, jamais. Il n’y a pas de rythme, pas de dramaturgie. Que Mamoru Oshii. Qui parle. Qui parle. Qui parle.
Vous avez aimé les dialogues de Ghost In The Shell, les références à Raymond Roussel, les citations de Descartes et de Lao Tseu, les coqs à l’âne intellectuels, les mots de huit syllabes ? Vous adorerez Tachiguishi Retsuden, au point que vous vous entraînerez à en prononcer le titre pour namedropper à l’aise dans vos soirées branchouilles.
A voir après un litre de lapsang souchon infusé à la datura.

Les courts : Oedipe de Capucine, une bêtise visuelle concoctée par un chimpanzé et huit cent techniciens nippons. La rencontre de Donkey Kong, Goldorak, Kubrick et Jacques Lacan. Dans l’espace. Incompréhensible et bluffant.

Et puis Din Of Celestial Bird de E. Elias Merhige, assez foutrement incroyable, à voir sur le plus grand écran possible. Avec des palpitations lumineuses en noir blanc gris, et toutes sortes d’images fondues jusqu’à l’abstrait, c’est, en dix minutes, une histoire poétique de l’univers, du big bang à l’éveil de la conscience. Ca ressemble un peu aux films snarks des années 60, avec une précision dans le rendu et un calibrage des strobos uniquement possibles grâce à l’informatique. Muet. Abstrait. Superbeau. Un voyage.

MY WINNIPEG de Guy Maddin (2007)
Chaque année, ou presque, le canadien Maddin est à l’affiche du festival.
C’est plus que tant mieux. Ce que fait ce garçon est épatant (interviews, critiques, bonus, tout sur le gars Guy ailleurs sur le site de Cinétrange, fouillez si vous m’en croyez).
Winnipeg mon amour aurait été commandé par l’office du tourisme de cette cité natale, dans un but de promotion. C’est donc un documentaire de retape qui nous est proposé, célevrant la capitale du Manitoba, ville la plus froide du monde. Vite fait. Onirique, autobio, empruntant au film muet : on retrouve de suite les trois mamelles du cinéma maddinien. Beaucoup de dérapages, aussi, de glissement du réel au souvenir, du souvenir au fantasme, du drame à l’humour. On ne sait très vite plus sur quel pied danser. 95% de ce qui est dit est vrai. Même les chevaux pris dans la glace ? La colline de déchets sur laquelle on fait de la luge ? Le what if day ? La série télé de l’Homme sur la corniche ? Les ectoplasmes ? Les hordes de bisons gays ? Guy Maddin c’est du ciné spé, du ciné riche et d’auteur. Il nous met Guy Maddin partout dans chacun de ses films speeds et malins, agréables et dérangeants. En vrac on pense à Lynch pour l’ésotérique souterrain, au von Trier des débuts pour l’expérimentation visuelle.
Pour le boulot sur la ville natale et la mémoire, on recommandera par surcroît la lecture du Fugitives and refugees de Chuck ‘Fight Club’ Palahniuk (un guide touristique très personnel sur Portland, Oregon) et le Disease of language de Alan ‘God’ Moore (des cérémonies magiques et psychogéographiques à Londres et Northampton).
Bref, que des bonnes choses, des heures de déambulations oniriques, au travers du labyrinthe secret où monde extérieur et monde intérieur se confondent. Je sais pas si ça se voit, mais moi j’adore.
Essayez voir. Même à jeun.

Le bonus : YÛKOKU de Mishima. Film unique et très peu visible du maître écrivain nippon, son Rites d’amour et de mort redevient diffusable ce mois-ci partout dans le monde (sortie en DVD universelle). Théâtre muet montrant les dernières heures d’un officier nationaliste et de son épouse, ça oscille entre le très élégant et le fort inquiétant. Difficile, aussi, de ne pas faire le lien entre le seppuku joué de Mishima-acteur et le seppuku réel qu’il s’infligera cinq ans plus tard. Réel et film se parasitent l’un l’autre à quarante ans de distance. J’ai beaucoup aimé la scène érotique qui précède la boucherie, avec quelques plans d’une incroyable beauté. La photo des corps, dans l’amour ou le suicide, rend une impression de grande tangibilité, tout en supprimant absolument tout caractère réel. Quand la tripaille dégouline, c’est un peu moins joli (je suis pas fan d’abbats). Une vraie curiosité à prendre avec des pincettes. De toute façon, vous le verrez.

Léo

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