La Horde, témoignage

Zombie Walk

Nous ne sommes plus que 86 à avoir été retenus pour ce deuxième jour de tournage. Jean-Pierre Martins se fraye un chemin parmi nous à coups d’épaules, de pieds ou de machette, distribuant les coups de poings comme Jésus les croissants (ou les petits pains, je ne sais plus). Dans la cohue, la tête d’un cascadeur projeté en arrière, heurte violemment mon menton tandis qu’un figurant me colle une béquille dans la cuisse. Je reste quelques minutes au sol, plié en deux par la douleur. Maud, la coach des zombies, s’inquiète pour moi. Elle nous dit que nous avons impressionné Dahan et Rocher de par notre investissement, notre abnégation et notre patience. Pour éviter les claquages, Maud nous fait faire des tours de hangar au pas de gymnastique en nous encourageant, nous dit qu’on est formidables, qu’elle et les réalisateurs nous aiment. Douze ans à bosser dans le management sans jamais avoir été félicité ou récompensé pour mon travail… pas un seul petit mot d’encouragement en douze ans et là, on me dit que je suis formidable…

Disons que j’ai perdu mon travail et que je ne me suis pas plus battu que ça pour le garder, pour le plus grand plaisir de mon Business Unit Manager. Pas vraiment motivé à l’idée de subir l’humiliation d’un plan social pour cause de délocalisation, j’ai préféré partir de moi-même et tenter, à 36 ans, de réaliser mon rêve d’enfant : faire du cinéma. Voilà trois mois que, moi aussi, je me heurte à la condescendance et au cynisme de ceux qui me rigolent au nez en apprenant que je suis scénariste, désireux de me spécialiser dans le cinéma de genre et que j’ai décidé d’en vivre, en plus. « Tu te construis des châteaux en Espagne ! Arrête de te faire ton film ! Faut pas rêver !… » Justement, si ! Je veux rêver et je veux me faire un film. Quant aux châteaux en Espagne, quelqu’un les a bien construits, non ?

Faut pas rêver… tout est dit. C’est peut être là la plus grosse problématique du cinéma français : il ne fait pas rêver. Ainsi le fameux « Impossible n’est pas français » a laissé la place à « Faut pas rêver ». Remarque, venant d’un type qui a voulu conquérir le monde pour finir en exil sur une île que personne n’est capable de situer sur une carte, je conçois que l’axiome prenne du plomb dans l’aile.

Vous l’aurez compris : vouloir faire un film d’horreur aujourd’hui en France, c’est un peu comme porter le perfecto, les santiags et la banane dans les années 50, ou comme vouloir jouer du Black Sabbath chez Michel Drucker. Et réclamer du Rock ‘n’ roll alors que tout le monde se gave de variétoche sirupeuse, c’est mal. Nous ne cherchons pas à révolutionner quoi que ce soit, mais réclamons simplement une alternative à ce qui nous est proposé, revendiquons le droit de faire quelque chose de… différent.

Entre les prises, je regarde les rushes sur le combo entre Dahan et Rocher en fumant une cigarette avec eux, subjugué par leur accessibilité, leur gentillesse et leur humilité. Je questionne l’assistante script sur la présentation du scénario avec lequel elle travaille. Dahan lui même nous parle de La Horde, de sa genèse, de la participation de Raphaël Rocher, le frère de Benjamin comme producteur, de la coécriture du scénario avec Stéphane Moïssakis et Arnaud Bordas. J’apprends que, comme pour Frontière(s) de Xavier Gens, les techniciens de l’équipe travaillent pour 60% du salaire minimum, budget de film d’horreur oblige : 2,5 millions d’euros. C’est bien là le plus grand handicap du cinéma de genre français : les scénarios doivent sans cesse être remaniés pour s’adapter aux budgets dérisoires.

A ma connaissance, aucun film d’horreur ne s’est vu gratifier d’un budget supérieur à 3 millions. Pour la comparaison, Bienvenue chez les Chtis, qui ne nécessite pas d’effets spéciaux et dont aucun acteur ne n’a réclamé de cachet pharaonique, a été monté pour 7 millions. Si Canal Plus, La fabrique de films et Eskwad sont derrière la majeure partie des longs-métrages distribués en salle, rares sont les producteurs qui prennent le risque d’investir dans le cinéma de genre, pas assez rentable à leurs yeux. Pourtant le récent succès critique et commercial de l’impressionnant diptyque sur Mesrine de Jean François Richet, qui avait déjà signé le remake d’Assaut de Carpenter, aura prouvé qu’un nouveau cinéma est possible en France, du moment que l’on y mette les moyens, ce qu’a compris Thomas Langmann qui a investit pas moins de 45 millions dans le projet.

Si en général, le manque de moyens se ressent cruellement à l’image dans les films d’horreur français, leur conférant un côté amateur pas vraiment attractif, là, les images pourtant brutes qui défilent sur les petits écrans du combo sont spectaculaires, hallucinantes. La profondeur, la lumière et la photo me laissent sans voix. Yannick et Benjamin se retournent : « Ça pète, hein ? ». Ma cigarette pendouille négligemment, collée par le faux sang à ma lèvre inférieure, tandis que je reste interdit, la bouche ouverte, les yeux écarquillés.

Bien que l’ambiance soit à la décontraction entre les prises, il en est tout autrement quant il s’agit de passer à l’action. Ludovic, un assistant chargé de nous gérer s’étonne de la rigueur de ses figurants, qui, disciplinés et perfectionnistes, se replacent d’eux-mêmes, ou appellent les maquilleuses à leur propre initiative pour réclamer un raccord maquillage.

Dahan, exigeant, directif, parfois autoritaire, sait ce qu’il veut et ne ménage pas ses comédiens. Rocher, rivé à son écran, traque méticuleusement les défauts, interpelant son binôme de temps à autre : « On la refait ! ».

6 commentaires sur “La Horde, témoignage”
  1. Un bien bel article. Un brin nostalgique et qui ravive notre attente de la sortie en salle de ce premier film de zombie français. Je crois qu’il sera à l’image de l’ambiance du tournage, joyeusement bordélique et extrêmement sympathique!

  2. Bien cool ce petit article. Fais juste attention, il y a quelques fautes d’orthographes me semble-t-il.

    Ça fait plaisir de se remémorer ses bons souvenirs de tournages. Remercions encore nos chers réalisateurs Benjamin Rocher et Yannick Dahan, et bien sûr toute l’équipe qui fourmille autour.

    J’étais également dans la scène de la cave (avant dernier jour de tournage), et le peu d’images que j’ai pu voir donne vraiment envie de les voir en grand !

    Si tu cherches un monteur pour tes films, je serais très heureux d’aider un mec comme moi, un passionné. Ils sont devenus rares de nos jours.

    Bonne continuation ! Bon courage et bone année !

  3. Les fautes sont la malédiction du correcteur, elles savent se cacher sournoisement même après un nombre impressionnant de relectures. Les corrections nécessaires ont été effectuées.

  4. Article fort sympathique même si forcément subjectif…
    En tout cas tu nous a fait partagé l’émulation d’un tournage forcément atypique. En espérant que le film porte ses fruits car un film de siège avec des zombies, y en a déjà eu beaucoup et pas des moindres…

  5. Monstrueux très bel article !

    Continue à poursuivre tes rêves et ne te soumet JAMAIS à cette “culture noble” que la France aime tant nous faire gaver ! T’es passionné et “you have some heart”, alors fonce !
    Bon, j’avoue rester pessimiste à l’idée d’un “âge d’or” du cinéma de genre en France, mais ce n’est peut-être pas le plus important, pas autant que de continuer à rêver et éviter de devenir des zombies de plus. C’est peut-être bateau, mais il faut faire ce qui a un sens pour soi, pas pour les autres.

    Je te souhaite le meilleur, gars !

    (et oui, “Les Oiseaux”, “2001” et “Shining” sont carrément des films de genre !!!)

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