EFS 2009 : dernier jour

Je sais pas vous, mais moi j’ai les yeux qui commencent à piquer.
Une dernière tournée de bizarreries pour la route et puis on va fermer tranquillement cette quinzième édition, rempiler les chaises, passer le coup de balais et disjoncter les spots.

Ce dimanche l’ambiance était intello et historique, avec tout d’abord une reprojection de

LA PARODIE PARADE DE PAUL PAVIOT

Sous cet amusant titre assonantique se cache une queue-leu-leu de moyens métrages des années 50, visant à se foutre de la gueule des genres d’alors. Des avant-programmes comiques, réalisés par le dénommé Pavio, alors obscur chef op’ et depuis largement retombé dans l’anonymat. Les pétulantes pépites de Popaul sont pourtant d’honnêtes farces, dans des tonalités variées, qui ont pour mérite de marquer les tous débuts au cinoche de Michel Picolli, jeune premier des trois récits.

TERREUR EN OKLAHOMA est un western-cabaret tourné dans une Corrèze fleurie de cactus en carton. Bêtise enlevée, absurde et franchouillarde. A défaut de diligence on a une jeep qui cataclope. La cavalcade finale se joue à bicyclettes dans les pierriers du causse. Ruades, hennissements, fusillades, façon les Pythons de SACRE GRAAL.

CHICAGO DIGEST (DU SANG DANS LA SCIURE) m’a plus fait poiler. Parodie de Film Noir, la voix off qui commente cette sinistre affaire (femme fatale, poulets véreux et coups de matraque) est magnifiquement surécrite, filant les métaphores foireuses à l’argot bancal. “Le patron du boui-boui semblait aussi à l’aise qu’un homme orchestre tentant de jouer Tiger Rag de la main gauche enfermé avec tous ses instruments au fond d’une boîte à dominos”. Ouais ma gueule.

frankensberg

Quand à TORTICOLA CONTRE FRANKENSBERG, c’était le bout plus long et le plus mou. Tentative de faux film d’horreur années 30, la blague se tire et tourne au vieux n’importe quoi façon biture de fin de soirée. Cameos de potes qui passent, intrigue sans os et vannes pourries. A noter B.O. incongrue de Kosma, interprétée par un choeur de moines noirs du ku klux klan.

Paul Paviot, dans une toute petite vidéo d’intro, nous présentait ses bébés et nous régalait d’anecdotes de la guerre. La culture américanophile des fifties suinte de partout dans ses travaux, et ça m’a fait penser aux Prévert, au jazz à Vian et toutes ces sortes de choses qui rendent nostalgique quand on regarde le soir tomber : eh oui, le temps passe, ma bonne dame.

Le court : ALMA de Rodrigo Blaas. Dans un magasin de poupées rêvé par Gaudi, une fable twilight zone en images de synthèse, bien foutue, pas très originale.

Endlich but not least, l’ultime film de l’année pour mézigue : une avant-preums du reportage de Serge Bromberg et Ruxandra Medrea titré

L’ENFER D’HENRI-GEORGES CLOUZOT

A la fois making off quarante-cinq ans après et première diffusion de rushs jusqu’alors totalement invisibles, ce long métrage revient sur un projet culte de Clouzot et un génial film invisible du cinéma français. Plus qu’un reportage sur un échec façon la LOST IN LA MANCHA, Bromberg nous monte un récit à suspense autour d’un projet visant le chef d’oeuvre et n’ayant débouché, après des mois de cauchemar et de dépenses somptuaires, que sur une dizaine de bobines encloses dans un coffre de l’INA.

La version de Chabrol de L’ENFER est un des films qui m’a le plus marqué jeunot. Ca n’est qu’il y a peu que j’avais découvert, dans un bonus de dévède ou un recoin de wikipedia, qu’il s’agissait à l’origine d’un projet foiré de Clouclou. Sous prétexte de causer de la jalousie pathologique d’un propriétaire d’hôtel à l’égard de sa femme (François Cluzet et Emmanuel Béart dans la version 94), le script offre une plongée dans l’esprit malade du personnage principal, donnant à voir, comme rarement, un processus névrotique à l’oeuvre et jusqu’à son aboutissement. Réalisation, bande son, situations, tout dans ce film est affolée par la démence du héros, aboutissant à un malaise croissant chez le spectateur, culminant dans les dernières secondes. En réalité, Chabrol suivait plan à plan le scénario ultra-précis laissé par son prédécesseur, faisant de sa mouture un film simple mais puissamment inquiétant, marquant.

lenfer

Mais à voir les images tournées par Clouzot et ici enfin présentées, le Chabrol semble une promenade de santé. Si le récit est strictement le même, à aucun moment Claude n’approche la folle démesure de mise en scène d’Henri-Georges. Dans les rôles centraux, à l’origine, la gueule défaite Serge Reggiani pour espionner une Romy Schneider en pleine ascension. Pour les manifestations psychiques de la folie : la crème des expérimentateurs visuels, les pros de l’art cinétiques alors en vogue, les plus compétents trafiqueurs d’images, des maquilleurs extrême, des éclairagistes du flippant, avec carte blanche pour produire des bobines entières d’essais pré-psychédéliques. C’est ridicule parfois, inédit très souvent et, à quelques reprises, purement paniquant. La demi-heure de tests audios minutieux qui a pu être retrouvée est pareillement stupéfiante : à l’heure des débuts de la musique électronique, H.-G. fait bidouiller quarante voix qui résonnent dans la tête du héros, mélanger les syllabes, multiplier les timbres, c’est du Boulez, du Henry et du Schwitters tout mixé.

Ceci mêlé au script (intact dans le Chabrol et suffisant à lui seul à vous tirer les nerfs de la colonne), ces prises de vues aliénantes et ces sons mabouls auraient pu donner un des récits les plus terribles sur la folie au cinéma, quelque chose de physique, de violent, un génie glaçant au service de ce one way ticket pour la maladie mentale.

Comme il se doit, le documentaire fait un parallèle entre l’état psychique de Clouzot au fil de son projet (ses insomnies et dépressions servent de matière première au scénario) et le récit qu’il entend conter. Financé au-delà de toutes espérances, visant une inatteignable perfection, ambitionnant d’explorer des terres inédites du septième art, il embarque une équipe titanesque dans son aventure névrotique, rêvant de voir matérialisés les moins avouables des ses fantasmes. Les témoignages ne sont pas toujours tendre à son égard et on sent que par moment le maître yoyotte à plein flocons.
Tout ça finira par le désistement de Reggiani, la destruction du décor, un petit infarctus. Et un gros lot de bobines prenant la poussière en attendant un signe des ayants droit.

enferSi vous n’avez jamais vu le Chabrol, il me semble plus urgent de commencer par là, tâter de quoi ce récit est fait. Mais si vous aimez son film, ou si vous êtes curieux de voir ce que le cinéma français des années 60 aurait pu produire de radical dans le récit et de nouveau dans le visuel, le reportage de Bromberg & Medrea est un pür bonheur.

(minuscule doléance : pour des questions de droits, Chabrol n’est jamais évoqué ici, et les scènes clés du drame sont rejouées par Bérénice Béjo et Jacques Gamblin à fin de rendre compréhensible le récit – ça fait une troisième création du drame, donc, et des interruptions un peu bizarres dans le reportage pour qui connaît l’histoire)

*

Eh ben voilà voilà voilà. Il semblerait que malgré tout j’ai survécu à ce quinzième round de l’Etrange Festival.
Une fois de plus ce fut éprouvant, hétérogène, brillant, affligeant, génial et multicolore, tout ensemble et parfois même séparément. Plus amusant que de se coincer les doigts dans un gond de porte ou de se faire coloniser le cerveau par des ténias transgéniques, l’E.F. reste le meilleur festival du monde civilisé. En espérant en reprendre pour le million d’années qui reste, merci aux orgas, merci aux caissiers, merci à la centrale nucléaire de Fessenheim, et merci surtout de me rapporter mon portefeuille si vous l’avez retrouvé sous un siège.

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