L’étrange vice de Mme Wardh

madam Ward 06Des crimes sadiques sont commis par un maniaque. L’insatisfaite miss Wardh vit avec un mari impuissant. Elle rencontre George Corro, séduisant play boy. Son ancien amant, Jean,  tourne autour d’elle, l’épie. De plus en plus inquiète, elle se demande s’il ne s’agit pas de l’assassin.

Après une série de  shockumentaires et un western de piètre facture  (Arizona), L’étrange vice de miss Wardh est le premier film ambitieux de Sergio Martino, et il faut le souligner, une réussite exemplaire qui incitera l’auteur du Continent des hommes poissons a continuer dans la même voie avec un égal bonheur.

Le succès triomphal de L’oiseau au plumage de cristal de Dario Argento au box office italien amorce un nouveau virage pour le bis italien. Le western, dans son versant de plus en plus parodique est sur le déclin. L’épouvante gothique, le péplum et le film de pirates sont passés de mode depuis des lustres. Au début des années 70, le giallo redonne un second souffle au cinéma populaire italien.

Les scénarios sont souvent interchangeables et les figures imposées immuables. Un tueur ganté de noir s’en prend à de jolies jeunes femmes qui n’hésitent pas à  se dénuder devant une caméra complice. Les personnages évoluent dans des milieux guindés, ce qui permet aux réalisateurs de filmer complaisamment ces meurtres sadiques dans des décors exhibitionnistes à l’architecture complexes. La peur du vide anime ces films remplis d’objets insolites, de toiles post-modernes, de costumes ébouriffants et de coiffures excentriques.  Cet aspect graphique borderline est inhérent aux cinéma bis des années 70. Presque une marque de fabrique. Le giallo ne connaît ni la litote, ni la sobriété.

L’étrange vice de Miss Wardh ne déroge pas à la règle mais on a parfois l’impression que Martino filme simultanément deux histoires, imbrique deux formes de récit, non pas antinomiques mais appartenant chacune à une époque distincte. Le script signé par l’incontournable Ernesto Castaldi est construit autour d’une ingénieuse machination fortement inspirée par Les diaboliques de Clouzot et L’inconnu du nord express d’Hitchcock. L’étau de resserre autour d’une héroïne de roman-photo, victime d’un environnement hostile et anxiogène. Un classicisme désuet mais efficace souffle sur la narration. Se greffe sur cette intrigue prosaïque  des éléments plus modernes. Un psychopathe assassine des jeunes femmes lors de meurtres sauvages et ritualisés.

etrange ward espagn 02La richesse du script tient de cette conception hybride du genre entre le giallo post-moderne teinté d’ironie et le drame criminel fondé sur les motivations matérielles des personnages. L’ancien et le moderne se télescopent agréablement dans un univers de perversions et de passions parasité par les ambitions vénales de certains personnages. Captivant de bout en bout, L’étrange vice de miss Wardh évolue dans les sphères les plus raffinées du genre grâce au soin apporté à la mise en scène. Sergio Martino se révèle être un metteur en scène inspiré  utilisant la caméra comme un personnage à part entière. Flou artistique, zooms ingénieux, cadrages insolites, mouvements de caméra très fluides longeant les murs et les escaliers, montage expressif fortement inspiré par les travaux de Mario Bava composent un opéra de la violence constamment sur le fil du rasoir. Grotesque et sublime, raffiné et trivial, le giallo de Martino, à l’instar de la plupart des grandes réussites du genre, assume avec un aplomb irrésistible ses partis pris de roman photo à la limite du bon goût, son érotisme suranné, ses outrances visuelles, ses décors kitch et ses effets de style d’un autre âge (images floues, zoom sur le regard bleu azur de Georges Hilton).

Le vice caché de la pauvre héroïne prête à sourire. Mais étant donné que cette dernière est interprétée par l’exquise Edwige Fenech, tout est pardonné. Habituée aux rôles de jolies infirmière ou de fliquettes dévêtues dans des comédies polissonnes aussi débiles que jouissives, la délicieuse Edwige Fenech se révèle être aussi une excellente actrice sous la direction de Sergio Martino. Le spectateur ébahi par ses courbes divines partagerait bien son secret de petite bourgeoise esseulée en sa compagnie. D’ailleurs, Edwige Fenech reçoit des fleurs accompagnées de ce petit aphorisme mystérieux: « Ton vice est une porte fermée dont moi seul ai la clé ». Jolie phrase qui deviendra deux ans plus tard le titre d’un classique du giallo toujours signé par Martino et interprété par … Edwige.

Enfin, un petit mot pour ceux qui fustigerai l’incohérence de certaines situations (Edwige Fenech confond la rouille du radiateur avec du sang, le meurtre d’un des personnages principaux n‘est pas découvert par la police). La logique diégétique du giallo n’est pas celle du réalisme mais de la fantaisie et du fétichisme. Une logique de rêve, quasi fantasmagorique, contamine ce type de cinéma coloré et rythmé comme un morceau pop délicieusement psychédélique.

L’étrange vice de Mme Wardh est un excellent et prometteur giallo. Sergio Martino confirmera ce coup d’essai avec tout une série de films épatants: L’alliance invisible, la queue du Scorpion, Ton vice est une porte fermée dont moi seul ai la clé, Torso etc…

(Italie, Espagne – 1971) de Sergio Martino avec Edwige Fenech, George Hilton, Alberto De Mendoza, Ivan Rassimov

DVD édité par Neopublishing. Titre original : Lo strano vizio della signora Wardh. Langue : italien. Sous-titres : français. Format son : 2.0 – Dolby Digital. Format image : PAL 2.35:1 – 16/9 compatible 4/3.Durée : 97 mn

Bonus

“Histoire d’un vice” : entretien avec George Hilton et Antonio Bruschini (26 min)

Commentaire audio par Federico Caddeo

Présentation du film par George Hilton

Diaporama

2 commentaires sur “L’étrange vice de Mme Wardh”
  1. Pas vu, mais si bien conté par notre ami Manu que je ne devrais y resister. je n’avais pas remarqué cette obsession “giallique” du remplissage dans les décors, c’est bien vu. Ah, Edwige…

  2. Je viens de voir L’Etrange Vice… Votre critique très bien écrite est très intéressante, elle révèle bien certains aspects de l’esthétique du giallo (fétichisme, érotisme, etc.) Bravo!

    Personnellement, même si certaines scènes du film sont très intéressantes (en particulier les deux premiers flashbacks avec Ivan Rassimov), j’ai trouvé le film un peu inégal et brouillon. Je préfère Toutes les couleurs du vice de Martino, mais dans quelques temps, je vais découvrir certains de ses autres gialli…

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