Sound of noise

Mieux vaut entendre ça que d’être sourd !

Sound of noise, de Ola Simonsson et Johannes Stjärne Nilsson, avec Bengt Nilsson, Sanna Persson, Magnus Börjeson, Marcus Haraldson, Fredrik Myhr, Anders Vestergård, Johannes Björk, (Suédois, 1h42, 2008)

Tout a commencé en 2001 avec une vidéo sur le net : Music for One Apartment and Six Drummers est un court métrage montrant six percussionnistes envahir l’appartement d’un couple de retraités qui vient de sortir, et se servir du mobilier, des objets du quotidien, pour faire de la musique, avec un air sérieux un peu étonnant de la part de musiciens qui jouent du balai à chiotte ou de l’aspirateur, qui donnent le rythme en jetant des livres sur le sol ou qui expérimentent les sonorités du double brossage de dents… Le résultat était drôle et sonnait juste : on se demandait bien sûr à quel point la scène (et comment?) était truquée mais on ne pouvait s’empêcher de taper du pied, un sourire crétin sur le visage.

Mais ce qui marchait bien sur dix minutes pouvait-il tenir la route pendant une heure quarante ? N’allait-on pas se lasser de ces gens qui font boum-boum sur des meubles ? Et est-ce que rajouter une narration sur un concept qui se tient tout seul n’allait pas tout gâcher ?

Sana et Magnus sont deux percussionnistes un peu cinglés et vaguement anarchistes. La vie urbaine bien réglée, la cacophonie de la rue, leur sont insupportables. Las des micros attentats sonores qu’ils pratiquent ensemble, ils décident de frapper un grand coup en montant un concert de grande envergure. Pour ce faire, ils recrutent quatre autres musiciens, tous plus atteints les uns que les autres, puis mettent leur plan en pratique : ils détournent un ponte télévisé à l’hôpital et se servent de son corps et de la salle d’opération comme instruments, attaquent une banque pour jouer du tampon et de la déchiqueteuse à papier (ah, le doux son des billets de banque qui partent en lambeaux), s’invitent à la première d’une symphonie de Haydn pour jouer du bulldozer et de la pelleteuse et concluent en se servant des fils électrique d’un pylône à haute tension comme des cordes d’un instrument improbable.

Pour les contrer, la police charge de l’enquête un de ses meilleurs enquêteurs, Amadeus Warnebring (Bengt Nilsson), issu d’une famille de musiciens de talent : mère pianiste, père chef d’orchestre, frère compositeur. Amadeus est le seul membre de la famille à ne pas avoir l’oreille musicale : au contraire, il est allergique à la musique qui le rend, physiquement, malade. Il va donc poursuivre notre sextuor, se rapprocher de Sana malgré ses soupçons, et découvrir un fait étrange : les « instruments » sur lesquels les six terroristes ont joués deviennent pour lui inaudibles, ne produisent plus le moindre son – il ne pourra pas même entendre les insultes véhémentes dont le pauvre présentateur télé l’abreuvera.

Sound of noise n’est pas un film réaliste, son scénario assume son côté artificiel : c’est une fable, un conte post-punk dystopique (partout, dans la ville, des petits haut-pareurs sont disposés qui diffusent en permanence une insupportable musique d’ascenseur) et fantastique (la surdité d’Amadeus). Bengt Nilson est excellent, des scènes de malaise provoquées par la musique à ses rapports avec sa famille, en passant par sa progressive dérive vers la crise de nerf. Les percussionnistes (seule Sana Persson est actrice profesionelle) composent des personnages réussis, drôles et barrés. Le film est drôle (si on aime l’humour un peu à froid des Suédois), rythmé, les scènes de poursuite et d’action tiennent la route. La ville, de squats industriels en terrain vagues, de pavillons en bureaux aseptisés, est bien filmée, que ce soit au niveau de la photo ou du placement de la caméra : la scène dans le champ de pylônes électriques plongés dans l’obscurité notamment, très réussie visuellement.

Sound of noise évite pareillement les écueils du feel-good movie hypoallergénique et du film trop hype, « attends, des suédois qui font des attentats sonores, trop bon, genre », et prétentieux. On pourra certes regretter le happy end un peu mièvre et se marrer quand à la profondeur politique du film et son propos pseudo subversif : le Project Mayhem de Fight Club en moins brutal. Voire : on peut s’attendre à ce que Sound of noise soit présenté comme un film non violent, avec des gentils « terroristes » qui ne font sommes toutes qu’essayer de réveiller leurs contemporains en injectant une dose d’inattendu dans leurs vies rangées, mais nulle doute que leurs actes seraient qualifiés de violents s’ils étaient commis, même au cinéma, par des « lycéens-casseurs » et autres « grévistes qui nous prennent en otage » : tabassage musical du présentateur télé qui manque d’y rester, agressions d’Amadeus à la corne de brume (oups, les tympans) ou à la pelleteuse, destruction de propriété privée ou de biens publics (argent, véhicules volés, mobilier urbain, etc.).

Cependant, Sound of noise n’est pas une apologie du désordre contre l’ordre, de la musique urbaine contre la musique classique. Les « terroristes » n’y cherchent pas le chaos mais plutôt un différent type de cohérence, qui n’est pas celui de l’ordre public : ils cherchent à donner à leur vie, à leurs actes, à la ville, le sens du rythme. Ainsi, l’attaque du concert de Haydn pourrait être prise comme une charge débile contre la vieille musique obsolète des chefs d’orchestres engoncés dans leurs certitudes et leur bon droit : cependant, au-delà de ce qu’en disent ses personnages, le film fait autre chose, dit autre chose à ce sujet – la façon dont la scène est montée permet à la musique de Haydn et au rythme des machines de chantier de se rencontrer, de fonctionner ensemble.

Sound of noise est ainsi un manifeste pour le montage : la bande-son tirée de centaines de bruits enregistrés et réagencés, les phases de percussion organisées pour que l’action corresponde au son (les bruits recueillis puis samplés), le mélange avec la musique classique, et jusqu’aux silences qui font ici plus qu’ailleurs sens (la scène finale, qui joue sur le silence et qu’on vous laissera découvrir, est très réussie). Sound of noise prend en compte le fait qu’un film est un montage sonore aussi bien que visuel, c’est même le sujet du film ; la musique n’est pas ici illustrative, enrobage de l’action, mais bien centrale, dans la forme comme dans le fond.

On admirera la performance technique et la somme délirante de travail nécessaire à la réalisation de Sound of noise et, outre que c’est un vrai film, quelque chose qui ne peut exister que comme film, qui joue avec les règles du média lui-même sans tomber dans l’habituelle ironie formelle, on passera une heure quarante à taper du pied en rythme et on en sortira avec un sourire, intelligent cette fois, sur le visage.

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