Jean Rollin, mal aimé magnifique

Parmi les choses géniales qui font la beauté du Cinéma, on trouve cette possibilité d’entrer dans l’univers d’un autre, au hasard d’une séance ou d’une diffusion sous quelque format que ce soit. Encore faut-il que cet “autre”, communément appelé réalisateur dans le jargon du métier, ait effectivement ce que l’on peut qualifier d’univers et un talent pour l’imprimer sur pellicule / bande magnétique / carte mémoire. C’est souvent ardu de décrire avec précision ce qui fait un “auteur”, quelque soit son ou ses médias, et ce qui fait qu’il possède un “univers”. Ce n’est pas forcément par les thèmes abordés, les personnages décrits, mais plutôt une manière de les combiner, de se les approprier pour construire une cohérence propre. Souvent, comme chantait l’autre, c’est une question de feeling.

Brigitte Lahaie dans Fascination (1979)

C’est par le plus grand des hasards, mâtiné d’une bonne dose de curiosité, que je suis tombé très récemment dans l’univers de Jean Rollin. Une triste ironie a voulu que ce soit au court d’une période précédant de peu la date de son décès, le 15 décembre 2010. Et pourtant, rien ne m’y prédisposait. “Jean Rollin, c’est nul”, “Jean Rollin, c’est chiant”, “Jean Rollin, c’est du Z mal branlé avec des acteurs catastrophiques et des meufs à oilpé”. Voilà en substance l’avis général que je pouvais glaner au fil de conversations, y compris dans la bouche et sous la plume d’amateurs de fantastique. Rien de très engageant (hormis la promesse de meufs à oilpé, la chair est faible…), d’autant plus que le seul film que je possédais de lui était le fort justement renié Le Lac des Morts-Vivants, alias le métrage le plus mythologiquement cataclysmique de l’histoire du Cinéma Français (quoique, je considère L’Abîme des Morts Vivants de Jesus Franco largement moins regardable). Mais j’allais apprendre que Le Lac des Morts Vivants est à des années lumières de la nébuleuse galaxie Jean Rollin. J’allais apprendre bien des choses :

Jean Rollin, c’est bien.

Jean Rollin, c’est attachant.

Jean Rollin, c’est rare, voire unique, donc précieux.

Il est infiniment facile de comprendre pourquoi on peut passer à côté du cinéma de ce bonhomme. Ses films “personnels”, ceux qu’il signait de son nom, n’entrent guère dans une quelconque grille de lecture critique. Pire : Les grilles de lectures, ces films s’en contrefoutent. Jean Rollin ne faisait pas du Cinéma tel qu’on l’entend majoritairement. Jean Rollin faisait du Jean Rollin. Avec un désir de filmer aussi ample et puissant qu’un désir sexuel. Il imposait son rythme, que Jean-Pierre Dionnet qualifiait de “somnambulique”. Libre au spectateur d’y consentir ou non (et la réponse était, il faut le croire, très souvent “non”). Il filmait ce qu’il aimait, les belles femmes (à oilpé, donc), la belle image, l’amour charnel, le sang comme fluide de vie. La putréfaction à la Fulci, ça n’était que moyennement son truc. Chez lui, la chair respire la vie, même dans la semi-mort (en tout cas chez les femmes).

Mais Rollin aimait aussi le Cinéma, tout simplement. Il aimait Georges Franju (son mentor, selon lui), Bunuel, les films de la Hammer et ceux de l’Âge d’Or de l’Universal, les serials… C’était un enfant de la Cinémathèque comme d’autres sont aujourd’hui des enfants de la VHS. Il aimait et était aimé en retour de ceux et celles qui avait bossé avec lui (dont un tout jeune Benoit Lestang, qui fera ses premières armes sur le tournage de La Morte Vivante). Mais bien peu du public et moins encore de la critique. Probablement qu’il en concevait quelque tristesse.

La Vampire Nue

Mais il s’accrochait, encore et encore. La carrière de Jean Rollin était serialesque, c’était le cliffhanger permanent. Elle tient du miracle. Un miracle de la persévérance. On m’a décrit un cancre, un besogneux, et j’ai vu un héros. Un héros à échelle modeste (on parle cinéma, pas de l’impérieuse survie de l’humanité, faut pas déconner), un homme qui a vécu son art malgré tout. Un auteur, un vrai, avec sa passion tatouée au cœur et à l’âme. Oui, les financements étaient plus qu’aléatoires. Oui, la majorité de ses acteurs était au pire dans le non-jeu (mention spéciale à La Vampire Nue), au mieux dans le théâtre de patronage cabotin (mention spéciale à Les Démoniaques). Mais les films existent, bordel de merde ! Inégaux, avec leurs tares fascinantes, leur beauté cacochyme et leurs instants de magie fulgurants, ils existent. Et ça, c’est beau. C’est rare. C’est précieux. Et c’est français, môssieur.

Les Démoniaques (1974)

On a parfois décrit un Ed Wood version Vieille Europe. La comparaison atteint rapidement ses limites. Malgré toute la tendresse qu’ils peuvent m’inspirer, il n’y a généralement pas grand chose à sauver des films d’Edward Wood Jr., hormis leur titanesque nanardise imprégnant le moindre photogramme et la touchante naïveté de leur auteur. Wood semblait croire à la magie du Cinéma comme les enfants croient au Père Noël. C’est, du moins, l’image qu’en donne Tim Burton dans son biopic romancé. Rien de tel chez Rollin. Il n’était pas dupe, en particulier lorsque il se laissait piéger en relevant des défis dont personne ne voulait, juste pour la folie du geste (Le Lac des Morts Vivants, donc, mais aussi Les Trottoirs de Bangkok). Dans ses films “personnels”, il faisait simplement au mieux avec ce qu’il avait, faisait ce qu’il pouvait pour transcender ses limites et y arrivait parfois, au détour d’un plan ou d’une séquence, d’un décor magnifié, d’une Brigitte Lahaie plus iconique que jamais. Il y a toujours quelque chose à sauver d’un film de Jean Rollin.

Or donc, Jean Rollin est mort. Voilà bien de quoi me faire regretter de ne pas avoir découvert le gros de son œuvre plus tôt. Je n’aurais jamais l’occasion de le rencontrer (d’autant qu’il semblait être plutôt sympa et chaleureux) et en discuter avec lui. L’entendre parler de son univers et comment il l’a construit. L’entendre raconter l’aventure de sa filmographie. Lui demander, par exemple, s’il n’avait pas cherché à orienter son cinéma vers une sorte de transition entre le muet et le parlant.” Je trouve qu’il y a quelque chose du Vampyr de Dreyer dans vos films… Qu’est-ce que vous en dîtes, m’sieur Rollin ?…”

Il reste toujours la possibilité de se consoler en songeant à l’œuvre qu’il laisse derrière lui. J’ai encore des choses à voir, à lire aussi, puisque le bougre a également écrit. Mais c’est une part méconnue car peu revendiquée de la mémoire du Cinéma Français qui a disparu avec lui. Et ça, c’est irremplaçable. C’est précieux.

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