Sucker Punch

Fantasme de cinéphile érotomane, ode à l’hymen, et interrogation sur la condition de l’être-réalisateur, Sucker Punch est un film étrange et malade, caché derrière une apparence inoffensive.

Zack Snyder (haters gonna hate) réalise le premier film qu’il a scénarisé tout seul comme un grand. Sous des atours de blockbuster sans scénario et rempli d’effets spéciaux numériques, Sucker Punch cache quelque chose de plus glauque, une espèce de mise à nu complète de l’auteur, de ses fantasmes sexuels ou cinéphiles, de ses faiblesses en tant que narrateur, de sa puérilité fascinante dont les excès soudains rappellent les régressions de Michael Bay.  Si ce dernier ne fait que jouer avec des robots, Sucker Punch va beaucoup plus loin et dresse un inventaire incroyablement riche de références multimédias (jeux vidéo, film, animés japonais) servies dans un blender. Snyder s’approprie la culture à la manière d’un Gargantua. Il ne fait pas son petit malin en lançant des clins d’oeil complices au spectateur. Il ne fait pas son gros malin de Tarantino en intégrant ses références préférées dans un scénario bien à lui. Snyder aspire, ingère et utilise tout ce qu’il veut, comme un gosse, comme un Dieu, sans la moindre gêne. Cette démarche est à la fois embarrassante (comment ose-t-il braquer autant de créations ?) et à la fois géniale (comment a-t-on pu le laisser faire ?).

Baby Doll est violentée par son beau-père qui convoite un héritage familial. Elle est alors contrainte d’intégrer un asile psychiatrique. Un infirmier corrompu l’inscrit d’office à la visite du médecin, qui viendra la lobotomiser dans 5 jours. Durant ce temps, la jeune fille va s’imaginer dans un cabaret-bordel dirigé d’une main de fer par Blue, un inquiétant trafiquant. Elle devra réunir des objets afin de s’évader.

Un film d’action-sf-fantasy-guerre

Interrogeons-nous d’abord sur le scénario à la fois simpliste et alambiqué. Pour s’échapper d’une horrible réalité (un beau-père haineux, un asile psychiatrique), Baby Doll s’invente un monde tout aussi horrible (un mafieux violent, un bordel où elle devra perdre sa virginité). A l’intérieur de ce rêve, elle s’invente à nouveau des épreuves qui ressemblent à un jeu-vidéo (tuer le dragon, désamorcer une bombe, récupérer une carte). On ne comprend pas vraiment à quoi sert le concept des poupées russes ici, excepté rappeler le principe d’Inception.

Les translations d’un média vers un autre n’ont jamais vraiment réussi. Les adaptations de jeu-vidéo en film ou inversement sont rarement des succès. Zack Snyder n’en tient aucunement compte. Dans l’univers du cabaret, Baby Doll et ses copine doivent récupérer des objets : un briquet, une carte, une clé, etc. Il s’agit là d’un scénario digne des premiers jeux des années 80 !

A chaque fois que les filles doivent récupérer un élément, Baby Doll « danse », ce qui détourne l’attention des mafieux. Petite frustration de spectateur : on ne la voit jamais danser. En lieu et place de la chorégraphie, on la voit dans un univers imaginaire, en tant qu’héroïne d’une scène d’action. Snyder propose alors de visiter quatre « mondes » : une scène de guerre mondiale, une scène avec des dragons, une autre dans un style combat de sabre japonais et une dernière dans le genre science-fiction avec une bombe à désamorcer. Ces quatre « genres » ont été utilisés encore et encore, jusqu’à la corde, quelque soit le média. Tous les joueurs connaissent trois ou quatre titres de jeux vidéos se déroulant durant un conflit militaire. Les dragons, tout comme les orcs, sont un élément fantastique utilisés depuis toujours dans les récits/films/jeux qui impliquent de la fantasy. Ces mythes comme tant d’autres (le vampire, le monstre, etc.), restent valables aujourd’hui. Ce qui fait la différence, c’est l’originalité de l’histoire utilisant ces mythes ou le traitement qui en est fait; en bref : la valeur ajoutée. Justement, Zack Snyder s’en empare pour ne rien en faire. Il pourrait bien s’agir de paresse, ou d’une imagination très pauvre. Il ne faut pas dix minutes pour écrire le scénario de chacune des scènes d’action du film. Là où Snyder fait fort, c’est qu’il viole systématiquement le monde qu’il pille en y copiant-collant des éléments d’autres univers. C’est ainsi qu’un samouraï se voit doter de la cracheuse utilisée dans Predator. Dans la séquence SF impliquant des robots, les filles prennent d’assaut un train futuriste avec un hélicoptère Huey, symbole de la guerre du Vietnam. On peut trouver ça cool (lui le pense certainement). Ou pas. Comme si ça ne suffisait pas, le réalisateur tout-puissant prend ce qu’il aime dans les oeuvres qu’il a vues, sans même y changer quelque chose.

Ainsi, les trois samouraïs géants, qui pourraient être en fait des robots, s’inspirent clairement du samouraï de Brazil de Terry Gilliam.

Les panzer cops ont bien inspiré Zack Snyder pour les militaires allemands. A l’origine, il s’agit d’un manga signé Mamoru Oshii dont l’adaptation cinéma la plus mémorable reste probablement le film d’animation Jin-Roh. Difficile de moins copier : on a le casque allemand de la 2ème guerre mondiale, les yeux rouges et le masque à gaz !

On nous annonce aussi que les ennemis ont trouvé un moyen de réanimer leurs morts pour les faire combattre à nouveau, en utilisant de la vapeur et des boulons. Dans Hellboy 2, un des personnages, Johann Kraus, est également un allemand qui a le pouvoir de se dématérialiser sous forme de vapeur.

Le coup des zombies faits de vapeur garde la morale intacte (ils sont déjà morts, aucun problème pour les retuer) et évite une violence trop grande. En réalité, la guerre c’est pas joli-joli, mais le but n’était pas d’être réaliste ici. On appréciera néanmoins la finesse avec laquelle on élude ce qui gêne. Zack Snyder a l’air de vouer une passion michaelbayenne pour l’imagerie guerrière et militaire (on peut revoir 300 pour s’en convaincre) mais ne semble pas assumer la violence que sous-tend cette imagerie.

Baby doll : Humbert steez

Si l’on regarde en détail le look de Baby Doll, il fait clairement référence aux lolitas, généralement adulés par les dessinateurs d’une certaine catégorie de mangas et leur public. Si elle n’est jamais vraiment impliquée dans une situation sexuelle, elle respire tout de même l’érotisme par tous les pores. On lui a fait porter une mini-jupe et le réalisateur multiplie les plans où l’on peut apercevoir furtivement ses dessous, un leitmotiv de centaines de mangas et d’animés. Si la morale ou la loi empêche de voir de jeunes filles dans des situations scabreuses, il suffit de copier ou presque les poses d’un film érotique et de les transposer dans un contexte de film d’action. Voilà comment faire du voyeurisme tout en déculpabilisant tout le monde.

Le costume de Baby Doll est un dérivé de l’uniforme scolaire japonais. Même si l’interprète Emily Browning est une jeune femme, on a tout fait pour qu’elle ressemble à une très jeune fille : blonde avec des couettes, des formes timides (des seins et des hanches quasi invisibles). Elle se retrouve d’ailleurs en dessous moulants pour un show et sa silhouette rappelle celle d’une adolescente à peine formée. Elle porte des bas noirs et des talons hauts, dont la charge érotique est aussi puissante qu’ancienne. Ajoutons à cela une bonne grosse couche de maquillage pour faire ressortir les yeux, les pommettes et surtout les lèvres, afin de la rendre plus attirante. Le pire (ou le meilleur), c’est que le film ne se cache pas de ce racolage. Dans la version longue, il y a un dialogue (un monologue en fait) très étrange, voire inquiétant, entre Baby Doll et le High Roller. Ce dernier vient purement et simplement profiter du corps de la demoiselle, qu’on lui a vendu comme vierge. Il explique chercher l’instant de vérité, l’acceptation du viol dans le regard de la jeune fille. Il est très clair : s’il déploie tous ces efforts, s’il dépense tout cet argent, c’est pour apercevoir l’innocence qui aura capitulé devant la domination du plus fort. En échange de quoi, Baby Doll sera libre ! Le high roller ressemble fort à un pervers en puissance et Baby doll n’est au final qu’une vierge prostituée pour l’occasion.

Emily Browning, avant et après l’atelier maquillage

Encore une fois, Zack Snyder a fait sien le fantasme de la lolita, déjà représentée ici ou là. Il existe par exemple une série de films japonais, un marché de niche, qui propose des écolières en uniforme avec des flingues, une exploitation un peu plus spécifique du « chicks with guns » maintes fois vu dans le cinéma bis. Baby Doll avec ses fringues et ses flingues s’en rapproche évidemment.

De même, les gunslinger girls sont des modèles étonnamment proches de Baby Doll et ses amies :

On pourrait continuer comme ça encore longtemps. Le vieux sage joué par Scott Glenn est une copie conforme du vieux sage dans Kill Bill (qui lui-même était un archétype de vieux sage). Les plans aérien d’une cathédrale en ruines rappellent ceux de Ghost in the shell : innocence. Les orcs font méchamment penser au Seigneur des Anneaux. Au final, c’est surtout la culture japonaise qui est  utilisée par le calque Snyder.

Il y a vraiment plein de choses bizarres dans ce film. Le bordel est une sorte de version édulcorée de Showgirls mais l’on a du mal à cerner l’ironie que pratiquait Verhoeven. Apparemment Snyder trouve ça plutôt funky de montrer à l’écran une asiatique surmaquillée vêtue en Ilsa tigresse du goulag et suçant nonchalamment une chupa chups à la fraise.

Le maire, il faut parler du maire, qui vient au cabaret pour avoir une danse privée. Il ressemble à un mélange de Jean-Marie Le Pen et du Swan de Phantom of the Paradise. Les robots viennent de I, Robot, ils sont coupés en deux par Baby Doll comme dans l’animé Gunnm. Le plan cool qu’il fallait avoir c’est aussi une bande de gonzesse armées qui marchent tranquillement sans regarder les explosions. Tout un genre immortalisé par Lonely Island :

Comme si ce n’était pas assez, Zack Snyder s’approprie aussi la culture musicale. La bande son est composée essentiellement de remixes de « tubes » de différentes époques. On y trouve du Björk avec le titre Army of me, titre pop-électro ici rallongé par une partie rock avec le groupe Skunk Anansie ! Décidément, le réalisateur aime les union contre-nature, ce qui en fait certainement le premier pervers cinéphile réalisateur.

On a beau se dire que tout n’est que viol et pillage, la transgression est telle que l’on reste scotchés, fascinés par une telle débauche. Un plaisir coupable, dont on peut jouir finalement sans honte, car il ne s’agit QUE d’un film d’action hollywoodien.

Sucker Punch est déjà disponible en dvd et surtout en blu-ray dans une copie irréprochable.

    1 commentaires sur “Sucker Punch”
    1. Intéressant ! J’aime qu’on me montre les influences/inspirations/copies-conformes. Je n’ai plus de motivation pour me farcir les Snyder… à vrai dire je n’ai aimé aucun de ses films, toujours un peu trop tape à l’oeil (faut voir le 300 comme il est visuellement…agaçant !)…

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