Killer Joe, de William Friedkin

A l’heure où l’épitaphe des grands faiseurs des seventies se grave désormais sur galette bleue, à grand renforts de remasterisations (frilosité d’une industrie du cinéma préférant financer des liftings que de faire peau neuve ?); à l’heure où Peckinpah et Kubrick ont passé l’arme à gauche, où Boorman et Cimino ont passé leur tour, où Coppola et Polanski ont passé la main, une question risque de tarauder longtemps les exécutifs consensuels : Who’s gonna kill billy ? …
On leur répondra sans crainte : certainement pas la retraite, ni la jeune garde des metteurs en scène actuels (singeant son style formel sans jamais en effleurer le fond), encore moins ce  système hollywoodien castrateur, envers lequel il s’est toujours montré rétif (toujours appliqué à le réformer de l’intérieur, lorsque la notoriété lui avait donné assise, mais jamais prêt à s’y coucher pour prendre ses aises).
Friedkin l’indomptable, est la farouche antithèse d’un ‘yesman’, et ce n’est pas ce Killer Joe, nouveau pavé dans la mare aux anges, qui viendra prouver le contraire.
Seconde adaptation à l’écran d’une pièce de Tracy Letts (le huis-clos paranoïaque Bug, c’était déjà lui), cet acide drame provincial en reprend en effet la teneur poisse et suffocante, en dépeignant cette fois une misérable histoire d’escroquerie familiale qui tourne au fiasco.


Chris Smith, dealer de bas étage, traine ses dettes comme des casseroles au cul; il compte sur l’assurance vie d’une mère divorcée et toxico (dont sa proche sœur cadette Dottie serait la principale bénéficiaire) pour essuyer la sombre ardoise qui a mis sa peau au menu de mafieux très remontés. Seulement voilà, sa génitrice étant encore de ce bas monde, il lui faut trouver fissa quelqu’un d’assez couillu pour faire la sale besogne. Non sans avoir mis son couard de paternel au parfum (et sa sœur à l’amande), il engage Killer Joe, flic corrompu, arrondissant ses fins de mois en proposant ses services comme tueur à gage. Mais sans le sous pour financer son crime à l’avance, Chris est contraint d’accepter un deal douteux avec le bad-cop intransigeant et sans scrupule : hypothéquer les charmes de Dottie le temps d’une soirée.

Autant dire que l’immoralité, la perversité, et l’acrimonie se retrouvent bien tassés au cœur de ce scénario noir et machiavélique, dont le réalisateur de l’Exorciste (toujours enclin à faire voler en éclat le puritanisme de façade de sa terre natale) s’approprie le climat étouffant avec maestria.
Dès la séquence d’ouverture, on retrouve sa désinvolture légendaire, son franc filmé, et sa propension à briser les conventions : il dégrise Emile Hirsch (acteur iconique d’ Into the wild, que l’inconscient cinéphile avait canonisé dans l’écrin sauvage du film naturaliste de Sean Penn) sous les traits étriqués d’un jeune loser hystérique, insultant sa belle mère à plein gosier (la Showgirl cabossée Gina Gershon), après que cette dernière l’ait accueilli, sous une pluie battante, le minou à l’air.
L’ambiance n’est guère plus saine dans le capon familial, retranché dans un mobile-home pouilleux, entre un père sans aucune tenue et une frangine aux allures de midinette timbrée.
Cette famille bancale, aux rapports fuligineux, confinée dans un espace clos et s’invectivant de noms de vautours, enferme d’entrée le métrage dans un cadre tragi-comique qu’il ne quittera jamais; l’ambition de Friedkin étant clairement de coller au plus prêt à la théâtralité et à l’écriture ciselée (voir tranchante) du script de Letts, pas non plus avare en scènes gratinées et en rebondissements salés.
De la dentelle, son canevas remanié pour le grand écran n’en trace d’ailleurs pas un seul fil, bien plus appliqué à étouffer ses personnages dans de sales draps, retrouvant l’esprit tordu et le ton décalé des œuvres noires des frères Cohen (Blood Simple et Fargo).
A ce titre la mise en scène (sobre, mais pesante) et la direction d’acteurs sont au diapason, parfaitement calées sur cette mélodie de la fadeur, dont le cynisme se montre aussi venimeux que le score reptilien de Tyler Bates (entre guitares crasses et harmonica sournois).
On le sait, le réalisateur rigoriste excelle à ce niveau, toujours avide d’amener ses comédiens à la limite pour dégager des scènes d’une intensité et d’une puissance graphique indélébile (Linda Blair se mutilant le sexe avec un crucifix ou Gene Hackman maltraitant ses indics avec férocité).
Figure dominante de ce nid de vipères, Mattew McConaughey, livre ici une performance scotchante, sous le stetson ombrageux de Killer Joe, littéralement habité par la personnalité versatile de ce barjo charismatique, aussi redoutable qu’imprévisible.
Son jeu, extrêmement maîtrisé, laisse entrer dans les échanges des silences qui glacent le sang; mais c’est surtout lorsqu’il relâche la soupape qu’il s’avère le plus électrisant, notamment lors d’un climax final à la brutalité assommante, l’imposant de facto comme l’un des plus beaux salopards qu’ait porté le 7ème art (on pense notamment au Michael Madsen de Reservoir Dogs).

Juno Temple (Dottie) s’impose par sa malice sulfureuse comme l’autre figure marquante du film, a mi-chemin entre la Lolita de Nabokov et l’Alabama de True Romance.
Habile, Friedkin utilise la fantaisie douteuse de ses personnages (les dialogues sont hautement chargés d’ironie) pour imposer des scènes outrageantes, pour ne pas dire borderline (avec le détournement quasi pornographique d’un aileron de poulet … On vous laissera apprécier !), rendant au passage un hommage appuyé à Bertolucci et Peckinpah, en leur empruntant le souffre et la poudre qui firent d’eux des marginaux.
Belliqueux (à la frontière de la démence), audacieux (à la limite de l’obscène) et diablement tenu, ce Killer Joe prouve (s’il était encore besoin) que le cinéma de Friedkin a encore de belles heures devant lui, et Hollywood de sales quart-d’heures à passer.
Et lorsque l’on sait que le film sera projeté prochainement lors du très respectable festival du film américain de Deauville (terre d’accueil de nos retraités coincés dans leurs survêtements de marques), on jubile d’avance.

Sortie en salle le 5 septembre 2012

7 commentaires sur “Killer Joe, de William Friedkin”
  1. Assurément un chef d’œuvre. Friedkin est grand. Son film, viscéral et nihiliste, dépasse l’esprit référentiel et ironique des Coen et Tarantino. Car Friedkin à la différence de ses gentils élèves, est un authentique torturé, un type obsédé par le mal. La mise en scène, précise et puissante est un modèle du genre. Et putain que c’est bien écrit et interprété avec une force inouïe. Bref un classique instantané.

  2. Pareil, vu hier soir et j’ai trouvé ça mortel. C’est froid, acerbe, impitoyable… Un film qui redonne (du) goût au cinéma !!

  3. Déçu, je suis ! J’aurais tellement aimé dissoner dans le chœur angélique… mais faut l’avouer, c’est quand même sacrément dessalé.
    J’ai des petites réserves (Emile Hirsch joue comme une patate, on croirait voir Di Caprio; il y a un côté petit enfant qui joue avec de la purée dans ce souci de transgression systématique de l’american way of life…), il n’empêche que c’est putain de bien fait, très bien écrit, super-réalisé. Dans le genre salaud immense, Killer Joe prend direct sa place entre Anton Chigurh et le pasteur de la Nuit du chasseur.

  4. Lie and die, et French connection.

    Kdo, les paroles de la chanson du générique de fin.

    Spoken:
    When I start making love,
    I don’t just make love,

    Sung:
    I be strokin’.
    That’s what I be doin’, heh!
    I be strokin’.

    Chorus, sung:
    I stroke it to the east,
    An’ I stroke it to the west,
    I stroke it to the woman,
    That I love the best.
    Ah, I be strokin’.

    Spoken:
    Let me ask you something…
    What time of the day,
    Do you like to make love?

    Sung:
    Have you ever made love,
    Just befo’ breakfast?
    Have you ever made love,
    While you watched the late, late show?

    Spoken:
    Well, let me ask you this…

    Sung:
    Have you ever made love,
    On a couch?

    Spoken:
    Well, le’me ask you this…

    Sung:
    Have you ever made love,
    On a back seat of a car?

    Spoken:
    I remember one time I made love,
    On the back seat of a car,
    An’ the police came an’ shined
    His light on me, an’ I said,

    Sung:
    “I’m strokin’,
    That’s what I’m doin’,
    I be strokin’.”

    Chorus, sung:
    I stroke it to the east,
    An’ I stroke it to the west,
    I stroke it to the woman,
    That I love the best.
    I be strokin’.

    Spoken:
    Let me ask you something…
    How long has it been,
    Since you made love? Huh?

    Did you make love yesterday?
    Did you make love last week?
    Did you make love last year?
    Or maybe it might be that you plannin’,
    On making love tonight!
    But jes’ remember, when you start making love,
    You make it hard, long, soft, short…

    Sung:
    An’ be strokin’!
    I be strokin’.

    Chorus, sung:
    I stroke it to the east,
    An’ I stroke it to the west,
    I stroke it to the woman,
    That I love the best.
    Ah, I be strokin’.

    Spoken:
    Now when I start making love to my woman,
    I don’t stop until I know she’s sasified.
    An’ I can always tell when she gets sasified,
    Because when she gets sasified,
    She start callin’ my name.
    She say, “Clarence Carter, Clarence Carter,
    Clarence Carter, Clarence Carter,
    Ooooh shit, Clarence Carter!”

    The other night I was strokin’ my woman,
    An’ it got so good to her,
    You know what she told me?
    Let me tell you what she told me,
    She say, “Stroke it Clarence Carter,
    But don’t stroke so fast.
    If my stuff ain’t tight enough,
    You can stick it up my…” WOO!

    Sung:
    I be strokin’. Ha! Ha! Ha! Ha!
    I be strokin’.

    Chorus, sung:
    I stroke it to the east,
    An’ I stroke it to the west,
    I stroke it to the woman,
    That I love the best.

    Spoken:
    Ah, I be strokin’.
    I be strokin’. Ha! Ha! Ha! Ha!
    I be strokin’, Yeah!
    I be strokin’.

    Sung:
    I stroke it to the north.
    I stroke it to the south.
    I stroke it everywhere.
    I even stroke it with my… WOO!

    Spoken:
    I be strokin’.
    Fade.
    I be strokin’. Ha! Ha!
    I be strokin’..

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