Prisoners, de Denis Villeneuve

Denis Villeneuve, auteur du très remarqué Incendies, signe avec Prisoners son premier film américain. Pardon son deuxième car  Enemy, qui sortira dans quelques mois sur les écrans, aurait été tourné avant. Comment un cinéaste aussi exigeant et confidentiel allait  s’emparer d’un matériau qui suinte, via la bande annonce, le bon gros thriller hollywoodien plombant et glauque. Le film est par ailleurs vendu, à tort, comme un ersatz de Seven ou du Silence des agneaux.

Il est toujours à craindre que les talents venus d’ailleurs finissent par perdre toute crédibilité sur le sol américain, devenant des yes men au service de produits bien emballés mais sans saveur. Ce n’est pas le cas avec Denis Villeneuve qui possède une forte personnalité et un talent inouï de conteur. Dans la tradition des grands films noirs, Prisoners a pour première qualité de captiver de la première  à la dernière image, d’embarquer le spectateur dans un cauchemar éveillé d’une noirceur affolante, mais qui évite de sombrer dans le sordide ou le nihilisme de pacotille.

La force du récit ne tient pas dans son sujet plutôt casse-gueule au départ. Dans la banlieue de Boston, deux fillettes disparaissent. L’inspecteur Loki mène l’enquête et privilégie la thèse du kidnapping. Le suspect numéro un, un jeune étrange et limité intellectuellement, est arrêté mais aussitôt relâché faute de preuves concrètes. Le père d’une des fillettes, traumatisé par les événements, est bien décidé à retrouver le coupable jusqu’à commettre l’irréparable.

Dès les premiers plans, oppressants, la tension est palpable. Une angoisse lancinante contamine un récit tortueux, réflexion ambiguë sur le mal qui ne cesse de se confondre avec l’apparence du bien. Dans Prisoners, Villeneuve réactive intelligemment la thématique de la victime qui devient à son tour un bourreau. Il ne juge personne mais observe avec beaucoup d’empathie des êtres pleins de larmes et de souffrance qui, au nom de la justice, vont commettre l’irréparable. Jusque dans la découverte cruelle de l’identité du véritable coupable. On est loin finalement du thriller ludique à la Seven auquel le film semble dans un premier temps appartenir, impression renforcée  par une esthétique grisâtre, manifestation de l’état dépressif des personnages.

D’emblée, Denis Villeneuve  entre dans le vif du sujet avec une magistrale aisance et ne s’en écartera jamais. Il parvient à capter l’atmosphère morose d’une banlieue avec ses maisons ternes, son temps pluvieux, ses habitants taciturnes. Il ne filme ni la bourgeoisie pavillonnaire ni les pauvres red neck  mais une population intermédiaire, une classe moyenne très fragilisée par le poids de la vie. Le cinéaste saisit des instants d’une cruelle authenticité.

Prisoners nous immerge dans la psyché de personnages ambigus, rongés tour à tour par la vengeance, la culpabilité au point de nous faire oublier l’incroyable mécanique d’un scénario retors. Une fois n’est pas coutume, les retournements de situation sont imprévisibles car paradoxalement secondaires. On pense à l’un des plus beaux films de Clint Eastwood, Mystic river pour ce côté dépressif, crépusculaire, cette vision banale de l’enfer sur terre.

Il est rare de sortir d’une salle de ciné autant troublé, bouleversé par ce que l’on vient de visionner. Hélas, Denis Villeneuve rate in extremis le chef d’œuvre avec une fausse note (c’est le cas de le dire mais chut !!!!) en fin de parcours. Une faute de goût pardonnable tant l’ensemble révèle la maturité d’un cinéaste puissant et permet à trois comédiens de révéler le meilleur d’eux-mêmes : Jack Gyllenhaal tout en rage contenu, Hugh Jackman, extraordinaire en père de famille obnubilé par la vengeance, et Paul Dano inquiétant au possible en faible d’esprit.

La mise en scène parvient à réinventer l’art de la litote. Très voyante en apparence, impressionnante même, tout en long travelling sinueux et anxiogène, elle esquive brillamment tout ce qui plombe habituellement les polars modernes, à savoir les longs interrogatoires et les recherches d’indices diverses par  des experts scientifiques. Pour se concentrer davantage sur les tourments des personnages. Qui ne cessent de nous hanter longtemps après la projection.

(USA/2013) de Denis Villeneuve avec Jack Gyllenhaal, Hugh Jackman, Paul Dano, Maria Bello

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1 commentaires sur “Prisoners, de Denis Villeneuve”
  1. Attention, je spoile.

    Tout à fait captivant en effet, surtout grâce à la mise en scène. Mais :

    ça s’inspire quand même beaucoup (et trop à mon avis) du style de David Fincher. Parfois (dans l’ancien appartement en ruines), on se croirait dans le poisseux Seven, avec une photographie très esthétique en contrepoint.

    Et je trouve que c’est un thriller ludique à cause des fausses pistes que l’on nous donne.

    La fausse note dont tu parles ? C’est la fin avec le sifflet peut-être ? Ca ne m’a pas choqué même si j’ai trouvé ça un peu con de finir comme ça alors que tout le reste est tendu. Laisser le spectateur dans l’expectative aurait été autrement plus flippant (et plus risqué car là en gros, c’est un happy end).

    J’ai pas compris certains trucs :
    – comment la première fillette a fait pour s’échapper ?
    – quel est le rapport avec les serpents et le copycat et le labyrinthe ?
    – où étaient cachées les filles ? Si c’est chez la tante, il est étonnant que la police n’ait pas fouillé la maison du principal suspect ?!
    – pourquoi est-ce qu’ils kidnappaient des enfants ?

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