La Peau de Bax, d’Alex Van Warmerdam

la peau de bax

Le titre français, proche du contre sens, nous induit en erreur. Et le titre original, ludique, évoquant explicitement le cinéma d’exploitation, est pour le moins pertinent : Schneider versus Bax comme on a pu voir un Freddy versus Jason ou un Godzilla versus King Kong. Cet aspect immédiatement référentiel n’est pas contenu uniquement dans le titre. La peau de Bax est un film de genre, détourné et iconoclaste certes, mais reprenant à son compte les codes du western et du film noir au sein d’un cadre insolite.

Le prologue, baignant dans une esthétique volontairement publicitaire, donne le ton. Le jour de son anniversaire, Schneider se réveille près de sa femme, modèle de l’épouse parfaite (ou cauchemardesque) presque irréelle. On la verrait bien dans une publicité pour une marque de lessive ou de goûter pour enfants. Ces derniers se jettent évidemment dans le lit des parents, symbolisant alors la famille idéale. Tout va bien dans le meilleur des mondes et la préparation de la petite fête en l’honneur de Schneider semble démarrer sous les meilleurs hospices.

Sauf que hic… Un coup de téléphone va bouleverser la donne et tordre ainsi les apparences; Schneider est en réalité un tueur à gages et se voit missionner pour abattre Ramon Bax, écrivain solitaire, drogué et alcoolo vivant au milieu des marécages. Si aucun élément perturbateur  ne va enrayer un travail qui semble facile, Bax sera rentré pour midi. Mais évidemment, rien ne se passe comme prévu. Les quiproquos s’enchaînent, les personnages loufoques et iconoclastes s’immiscent dans le cadre afin de tordre le récit et l’amener à chaque fois vers des contrées inattendues. Une des premières qualités du film d’Alex Van Warmerdam est d’embarquer le spectateur vers une histoire toujours surprenante dans laquelle il est difficile d’anticiper. Ce qui fait du bien par les temps qui courent où la plupart des scénarios sont conventionnels, surtout quand il s’agit de s’immiscer au cœur du cinéma de genre.

La peau de Bax est aussi une excellente porte d’entrée pour appréhender le cinéma si singulier et précieux du Hollandais qui avait opéré  il y a deux ans un retour fracassant avec le formidable Borgman, satire absurde sur une famille bourgeoise progressivement séquestrée par une mystérieuse organisation. Cette comédie noire s’apparente au film de nettoyeur, sous-genre sans grand intérêt mais qui ici, prend une dimension euphorique s’inscrivant dans le sillage de certaines œuvres des Frères Coen, tels que Fargo ou The Barber.

Le cinéaste continue d’explorer son thème fétiche, le dysfonctionnement familial à travers une galerie de personnages borderline particulièrement savoureux : un écrivain junkie au bord du gouffre, la fille névrosée et dépressive, le grand père pervers à tendance pédophile comme contre point d’une introduction ironique, sorte de miroir inversé de l’univers de Van Warmerdam. Les comédiens  forment eux aussi une famille depuis 30 ans. On retrouve souvent les mêmes têtes et notamment Henri Garcin. Ils prennent un plaisir très communicatif à jouer des personnages décalés et tous un peu au bord de la folie, à commencer par le cinéaste lui-même, génial, dans le rôle de Bax.

La mise en scène, point fort de son cinéma, peut en revanche en rebuter certains : la sur-exposition presque systématique, de la lumière, qui va ternir toutes les couleurs, peut apparaître comme une faute de goût. C’est oublier, à mon sens, la pertinence du dispositif, de réaliser un polar solaire, inhabituel, utilisant à merveille l’univers topographique, à savoir les marécages et une maison en bois retrouvant parfois le souffle du « western classique ».

Van Warmerdam livre un exercice de style brillant et plaisant, doté de dialogues forts drôles et d’un comique de situation stimulant par les temps qui courent. La peau de Bax est le film le plus abordable de son auteur, une manière pour les néophytes de s’immerger dans un univers particulier tant d’un point de vue esthétique que narratif. Et ensuite j’invite fortement les lecteurs  à découvrir les autres œuvres du cinéaste tels que Abel, les Habitants et La Robe, et l’effet qu’elle produit sur les femmes qui la portent et les hommes qui la regardent.

(HOLLANDE/2014) de Alex Van Warmerdam avec  Tom Dewispelaere, Alex Van Warmerdam, Maria Kraakman, Gene Bervoets

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