Les cowboys de Thomas Bidegain

Le titre n’a rien d’incongru, l’allusion au western est plus qu’évidente dans ce premier film du scénariste de Jacques Audiard (Un prophète et Dheepan notamment) et du Saint Laurent de Bertrand Bonnello. Thomas Bidegain rend un hommage révérencieux aux film de Hawks, notamment à La rivière rouge pour les rapports humains et reprend, du moins dans sa première partie, la trame du chef d’œuvre de John Ford, La prisonnière du désert, transposée en pleine campagne française quelque part dans l’Ain au début des années 90. Les cowboys débute intelligemment par un festival country appuyant à la fois la filiation avec le genre tout en n’étant pas dupe de l’aspect factice d’une telle entreprise. Bidegain assume le côté folklorique de son film et se focalise d’emblée sur une famille tout ce qu’elle de plus banale. Alain est un des piliers de ce rassemblement « country western ». Il est présent avec sa fille Kelly, son fils Kid (comme Billy) et sa femme. Ils représentent la famille idéale et soudée comme le cinéma de Ford n’a jamais cessé de la filmer avec un respect lénifiant.

Mais un jour Kelly disparaît et la vie de famille s’effondre. Alain n’a désormais qu’une obsession : retrouver sa fille à n’importe quel prix, quitte à tout perdre. Il part alors avec son fils dans cette quête sans fin et se rapproche de plus en plus de réseaux islamiques.

Les Cowboys

La question politique dans Les cowboys n’est finalement qu’un prétexte. Bidegain ne nous dit rien des réseaux islamiques, n’évoque à aucun moment l’embrigadement et saborde toute réflexion à ce sujet. Il a envisagé son film comme un pur film de genre avec certes le risque d’être quelque peu déconnecté de la réalité.

Pourtant la première partie est remarquable. L’obstination quasi-pathologique d’Alain pour retrouver sa fille est retranscrit à l’écran avec un sens parfait de l’économie et du timing. Bidegain prends le risque de l’abstraction, de miser sur les (trop peut-être) nombreuses ellipses ne permettant pas toujours de trouver le récit très clair (les sautes de temps surprennent parfois). En même temps cette narration un peu chaotique traduit l’état d’esprit dans lequel évolue Alain. Il a un peu perdu pied, sa notion de l’espace temps s’est diluée. Tout comme le personnage de John Wayne dans La prisonnière du désert, il affiche un mépris  et une peur  envers les musulmans qui ne sont rien d’autres que les indiens d’aujourd’hui. Alain est un personnage ambigu, touchant parfois dans son désespoir mais aussi insupportable dans sa vision archaïque du monde, incapable d’accepter que, peut-être, sa fille ait pu s’enfuir d’elle-même. Dans le rôle de ce père au bord de la rupture, François Damien, décidément de plus en plus intéressant à mes yeux, impressionne avec son jeu tendu et opaque.

Bidegain réussit également d’étonnantes incursions nocturnes suscitant l’angoisse. La scène où les islamistes apparaissent sur les toits à l’instar d’Apaches sur les collines évoque le meilleur du western mais aussi le génial Assaut de John Carpenter. La mise en scène, très maîtrisée, grâce à une utilisation pertinente du scope et une lumière favorisant les ambiances nocturnes,  insuffle une tension palpable jusqu’à l’inévitable tragédie qui invite alors le spectateur à voir au bout d’une heure un autre film beaucoup moins habité.

Mais la deuxième partie qui nous emmène jusqu’en Afghanistan se dilue dans les clichés et une esthétique « façon reporter sans frontière » un peu ronflante. Le récit se traîne, les références au western deviennent plus grossières, comme ce joint fumé comme un calumet de la paix ou ce tueur à gages sorti de nulle part incarné par John Reilly. Les paysages sont somptueux, certe,s et le jeune Finegan Oldfield crève littéralement l’écran dans le rôle du Kid mais Les cowboys,  en s’éloignant progressivement du pur film de genre, pêche alors par l’absence de regard et pire, de compréhension, de la situation actuelle.  Surtout après les évènements du 13 novembre. Le côté “je ne fais pas de politique mais j’utilise « un sujet grave »” comme toile de fond révèle la tendance du cinéma français à être un peu à la ramasse dès qu’il s’agit de traiter des problèmes contemporains.

Pur film d’hommes, proche en cela de certains Jacques Audiard, ce premier long métrage réserve aussi une place étrange et un peu embarrassante aux femmes, notamment la jeune pakistanaise que ramène le fils en France. Elle n’a aucun droit d’exister sinon de remercier le Kid de la sortir du pays et de lui offrir une “vraie vie”. Un point de vue à mon sens plus que tendancieux. Qui révèle aussi une vision très ethnocentrique heureusement contrebalancée par un épilogue plutôt réussi.

(FRA-2015) de Thomas Bidegain avec François Damiens, Finnegan Oldfield, John C.Reilly

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