Gorge Coeur Ventre : la vache qui rit pas

Gorge Coeur Ventre est le premier long-métrage de la réalisatrice Maud Alpi. Évoquant la condition animale, le film se situe à l’opposé des vidéos “choc” de L214 dénonçant régulièrement les maltraitances dans les abattoirs. Ici, les animaux sont justement traités avec “humanité”, ce qui n’empêche pas de les exterminer en masse. La réalisatrice choisit le parti-pris audacieux de mélanger documentaire et fiction, ce qui donne au film un côté expérimental avec un rythme en roue libre, pas forcément désagréable.

Nous suivons le quotidien de Virgile, un jeune homme que l’on imagine marginal. Il habite dans un squat, prend de la drogue occasionnellement et il vit avec son chien Boston, qui l’accompagne au travail. Il exerce le métier de bouvier, sorte de “rabatteur” dans un abattoir. Il est chargé de conduire les animaux à travers un labyrinthe de fer de leur lieu de livraison jusqu’à l’endroit où on les tue. Maud Alpi ne fait pas dans le sensationnel mais développe lentement une ambiance anxiogène. Le chien est utilisé dans de nombreuses scènes et semble nous “parler” à travers son regard. Lui est né du bon côté de la barrière. C’est un chien, on ne le mange pas. Il observe alors ses copains animaux, vaches, cochons et moutons. Il fraternise avec certains, renifle les recoins de l’abattoir, intrigué et inquiet par ce qui s’y déroule.  La plupart des scènes montre des animaux vivants et la caméra scrute leur regard en gros plan. Pas besoin d’analyse scientifique pour lire dans leurs yeux la peur et même la terreur. Virgile ayant un chien qui lui sert de compagnon, il est évidemment plus à même d’éprouver de l’empathie pour les animaux. Il leur apporte de la tendresse, il les rassure et les caresse. Un homme en blanc se moque de lui : “vas-y, chante-leur une chanson!”.

La mort n’est presque pas ou peu montrée, mais suggérée par des bruits (une vache qui écroule après un coup de pistolet, ça s’entend). On la voit de loin et aussi lors d’une scène assez impressionnante d’une machine qui dépèce les cadavres de vache avec une facilité déconcertante.

Le plus intéressant est sans doute le lieu du film, l’abattoir. C’est un dédale de métal et de béton, globalement sombre mais plongé dans un éclairage sépia assez chaleureux. Un travail important a été fait au niveau du son. L’abattoir est une véritable usine, pleine de bruits de vérins hydrauliques et de moteurs qui tournent. A cela, on ajoute les cris des animaux lorsqu’on les pousse à aller là où ils ne veulent pas. L’endroit m’a fait pensé à l’univers carcéral d’Alien 3, une suite de longs et étroits corridors avec la mort au bout du tunnel. La photo du film de Jonathan Ricquebourg est d’ailleurs proche de celle d’Alex Thomson dans le film de David Fincher.  L’atmosphère du film appartient donc clairement au domaine du fantastique, voire de la science-fiction, à mille lieues du quotidien banal, c’est-à-dire le supermarché où l’on retrouve ces bêtes reconditionnées sous plastique. Ceci est confirmée par la fin ouverte, à l’allure crypto-post-apocalyptique, qui laisse le spectateur se faire son idée.

La grande force du film est de ne pas militer mais de juste montrer. Cela dit, il est clair que ce qui se passe dans les abattoirs tend à rester cacher. Personne n’a envie de savoir que son déjeuner est issu d’une scène de film d’horreur. Or la réalisatrice nous rapproche de ces êtres, avec lesquels nous avons mis volontairement une distance. A travers son personnage de fiction, Maud Alpi montre qu’une relation affectueuse entre un homme et un chien, peut très bien avoir lieu avec un autre animal.

Dans un genre similaire, on pourra voir aussi Entrée du Personnel, qui se focalise sur les salariés des abattoirs.

Dvd disponible chez Shellac

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