Erotisme – Cinétrange https://www.cinetrange.com Thu, 24 Feb 2022 09:18:40 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.0.7 Love (women in love) de Ken Russell https://www.cinetrange.com/2015/06/love-women-in-love-de-ken-russell/ https://www.cinetrange.com/2015/06/love-women-in-love-de-ken-russell/#respond Sat, 13 Jun 2015 16:04:06 +0000 http://www.cinetrange.com/?p=8484 Lire la suite]]> Ken Russel n’a que deux longs métrages à son actif quand on lui propose de réaliser Love d’après le roman Women in love de DH Lawrence. Il est l’auteur de French dressing et du troisième opus des aventures d’Harry Palmer toujours interprété par Michael Caine : Un cerveau d’un milliard de dollars. Des purs films de commande qui ne laissent pour l’instant guère entrevoir le goût de la démesure et du baroque cher au britannique dans ses œuvres ultérieures. Il n’est à priori pas le candidat idéal pour adapter un des grands classiques de la littérature du début du XXème siècle. D’ailleurs, Love était à l’origine un projet de Silvio Narizzano à qui l’on doit El gringo et l’excellent Die Die My darling, une production Hammer.
Mais des problèmes personnels l’obligent à quitter le projet en cours de route. La production va alors proposer le film à Jack Clayton, Peter Brook et même Stanley Kubrick qui refuseront tous d’adapter un roman jugé par beaucoup comme inadaptable.
Et c’est là où le choix de Ken Russell, s’il n’était pas réfléchi sur le moment, demeure un de ces hasards de la vie artistique, qui prend une grande pertinence quand on revoit le film aujourd’hui.

Love est un immense film sur l’amour, la passion, l’amitié, le couple et le sexe. L’histoire est simple et limpide. Durant les années 20, deux sœurs au caractère bien trempé, sont des femmes indépendantes et libres. Gudrun est artiste sculptrice et Ursulla institutrice. Elles rencontrent deux hommes issus de la bourgeoisie, des industriels miniers. Ces derniers, Rupert et Gerald sont séduits par ces deux féministes avant l’heure. De la séduction à la passion, du désir à l’amour, il n’y a qu’un pas que franchira ce quatuor de personnalités si contrastées, en pleine confusion des sentiments.

Admirablement réalisé, baignant dans une photographie sublime, Love frappe par la justesse des situations même les plus scabreuses, par la finesse de l’écriture et l’audace aussi bien formelle qu’idéologique dont il fait preuve. L’aspect excessif et grandiloquent du réalisateur de Gothic est canalisé par une production qui n’a pas dû le laisser complètement libre de ses choix artistiques. Tant mieux dans un sens. Car avec le temps, Love peut être considéré comme l’une des œuvres les plus maîtrisées de son auteur.
La crudité des scènes de sexe, filmées souvent caméra à l’épaule sur la musique inquiétante de George Delerue, la manière quasi-sauvage d’exhiber la nature en contrepoint de l’atmosphère étriquée de la petite bourgeoisie anglaise du début du siècle et la puissance des dialogues traduisant à merveilles tous les sentiments que peuvent engendrés une passion dévorante, transforment une sérénade à quatre en un grand film tourmenté sur l’amour et tous ses paradoxes.
Interdit dans certains pays, notamment en Turquie, Love doit son caractère sulfureux à une séquence, d’une beauté graphique sidérante rappelant au passage le passé de chorégraphe du réalisateur. Gerald et Ruppert se livrent nus à un combat de lutte gréco-romaine. L’aspect pictural des plans, magnifié par une photographie tamisée et (apparemment) naturelle (un feu de cheminée), érotise ces corps « musclés » en plein action. C’est bien la première fois qu’un cinéaste filmait deux hommes nus, entretenant ainsi une ambiguïté entre désir homosexuel et amitié virile.
L’étreinte entre Rupert et Ursulla en pleine nature est d’une sensualité fiévreuse. On ne voit pas grand-chose mais rarement on aura vu un cinéaste filmer la sexualité de façon aussi intense. Celle plus rustre et moins charnelle, entre Gerald et Gudrun, possède une force animale incroyable.
Dans une société figée, minée par des principes sociaux issus de la petite bourgeoisie, ses codes, ses bonnes manières, l’amour charnel et/ou intellectuel semble être le seul refuge à une possible liberté, une échappatoire au conservatisme ambiant. Mais rien ne dure, rien ne résiste à la complexité de l’être humain. Aussi forts que soient les sentiments, la passion des êtres, la sincérité d’un amour, le temps nous rattrape, l’incompréhension des individus entre eux aussi.
La dernière partie est d’un nihilisme lyrique rarement vu sur un écran. Seul Bergman est parvenu à montrer le mécanisme destructeur d’un couple avec une telle justesse et une telle puissance.
Love est, avec le dément Les diables, la plus grande réussite de Ken Russell, qui se perdra au fur et à mesure des années.
Les comédiens sont merveilleux et nous rappellent bien l’audace du cinéma des seventies qui n’avaient pas besoin de prendre des canons « esthétiques » pour évoquer l’amour et le sexe.
Alan Bates, Oliver Reed, Glenda Jackson et Jennie Lyndon n’ont pas des physiques de mannequin mais ils crèvent l’écran par leur présence magnétique.

(GB-1969) de Ken Russell avec Alan Bates, Oliver Reed, Glenda Jackson et Jennie Lyndon. Durée : 126 mn. Format : 1.85 (16/9). Audio : Français, Anglais. Sous-titres : Français

Bonus
Présentation du film par Patrick Brion
Présentation du film par François Guérif

Editions Sidonis Calysta

love

womeninlove

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Underwater love (onna no kappa) https://www.cinetrange.com/2011/11/underwater-love-onna-no-kappa/ https://www.cinetrange.com/2011/11/underwater-love-onna-no-kappa/#respond Sat, 19 Nov 2011 18:45:36 +0000 http://www.cinetrange.com/?p=6736 Lire la suite]]> D’un point de vue occidental, les Japonais ont un rapport étrange avec les créatures marines, et plus généralement avec les choses de la nature, qu’elles soient animales ou végétales. Dans le folklore nippon, un kappa est un petit esprit de la nature, qui se matérialise sous la forme d’une tortue anthropomorphe. Pour survivre, le kappa doit être humidifié en permanence. Il se nourrit exclusivement de concombres.

Underwater love est un authentique Pinku Eiga, qui respecte le cahier des charges du genre. Doté d’un petit budget, le film doit contenir au moins trois ou quatre scènes de sexe, plutôt explicites. Généralement, on obtient une espèce de mutant qui se situe entre sexploitation et film d’auteur.

Asuka travaille chez un poissonnier installé au bord d’un lac. Fiancé au patron de l’entreprise, elle souhaite se marier très prochainement. Mais c’est à ce moment qu’Asuka rencontre un kappa. Elle découvre que la créature s’appelle en fait Aoki, et qu’il est un ancien amoureux du lycée, mort noyé dans un marécage, puis réincarné en tortue. Aoki va tout faire pour passer du temps avec Asuka et il va même tenter de la séduire. C’est sans compter le Dieu de la mort (un fumeur rasta japonais à la robe bariolée) qui va bouleverser le destin du couple.

Le look du kappa constitue déjà une bonne tranche de rigolade puisqu’il s’agit clairement d’un homme dans un costume vaguement bricolé (une carapace collée sous la chemise, un bec accroché avec des élastiques). L’intrigue amoureuse est un peu simplette et donne lieu à quelques instants comiques légers. Le kappa tient plus du reptile que de l’humain et son organe sexuel est aussi impressionnant que monstrueux. Pourtant, cela ne rebute pas les jeunes filles qu’il croise, bien au contraire. Même si le membre a l’air d’être fait de plastique, les scènes érotiques impliquant le monstre sont clairement à connotations zoophiles !

La plus-value du film vient de ses incursions dans la comédie musicale. Les chorégraphies sont loin d’être professionnelles, d’ailleurs souvent c’est un peu n’importe quoi, mais elles sont faites avec un enthousiasme très communicatif. On finit par adhérer totalement au trip grâce à la musique de Stéréo Total, groupe electro-punk au genre indéfinissable. La chanteuse, Françoise Cactus, a interprété des chansons dans plusieurs langues : français, anglais, allemand et elle n’hésite pas à se lancer dans la pop japonaise avec un fort accent français. Peu importe, car associé à des rythmes entraînants, cela donne un charme kitsch irrésistible à l’ensemble.

OFNI à découvrir pour se changer les idées, underwater love rejoint dans son final la mythologie japonaise lorsque Aoki et Asuka s’enfoncent dans la forêt, à la rencontre d’autres kappas (avec toujours plein de costumes sophistiqués tels que des peignoirs). Ce patchwork foutraque est mis en scène par Shinji Imaoka, réalisateur d’autres films roses, et photographié par le célèbre Christopher Doyle (chef photo australien expatrié en Asie), et donc mis en musique par Stereo Total.

Ca se regarde sur dvd, au Royaume-Uni, chez l’éditeur Third Window Film. Des sous-titres anglais sont disponibles. Disponible à partir du 21 novembre 2011.

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Transgression : extreme underground https://www.cinetrange.com/2011/09/transgression-extreme-underground/ https://www.cinetrange.com/2011/09/transgression-extreme-underground/#respond Sat, 10 Sep 2011 14:10:09 +0000 http://www.cinetrange.com/?p=6598 Lire la suite]]>

Le Cinéma Nova à Bruxelles, ouvre la nouvelle saison avec du cinéma underground provocateur en présence du réalisateur  Nick Zedd et cinéaste-collectionneur Wilhelm Hein.

Au début des années 1980, à New York, se développe le Cinéma de la Transgression, une sorte d’écho filmique au courant musical No Wave (Teenage Jesus and the Jerks, DNA…).

On y retrouve des cinéastes comme Nick Zedd, Richard Kern, David Wojnarowicz, Tessa Hughes-Freeland et de nombreux autres. Leurs films se vautrent dans le vomi et les excrétions suintants du corps social américain ; ils parodient les valeurs morales et les institutions démocratiques dans un crachat anarcho-nihiliste qui ne laisse pas entrevoir de solution politique (en cela ils se différencient radicalement des cinéastes underground des générations précédentes). Les films sont bruts, sales et s’inscrivent dans une éthique de l’amateurisme : les créateurs ne doivent pas rendre leurs travaux rentables ni acceptables. Cette esthétique “trash” (dans le sens premier du mot) vient à la fois de la nécessité de créer avec ce qui est disponible et des pratiques “Do It Yourself”, mises en avant par le punk quelques années plus tôt. À la même période en Europe, plus précisément en Allemagne, des cinéastes (comme Birgit et Wilhelm Hein, Werner Nekes) abordaient les mêmes thèmes avec une extrême violence. Certains d’entre eux étaient issus du cinéma abstrait et structurel et participèrent à l’actionnisme viennois qui sévissait dans les années 1960.

Le programme complet : www.nova-cinema.org / www.offscreen.be

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Last Caress https://www.cinetrange.com/2011/08/last-caress-3/ https://www.cinetrange.com/2011/08/last-caress-3/#respond Fri, 05 Aug 2011 13:34:24 +0000 http://www.cinetrange.com/?p=6554 On avait quitté le duo François Gaillard et Christophe Robin sur Blackaria, tentative intéressante de raviver le giallo à travers un univers onirique et fétichiste évoquant à la fois Lewis Caroll, Le venin de la peur de Lucio Fulci, la série des Femme scorpion et le Brian De Palma des années 70. Sans crier au génie, le résultat était souvent surprenant, visuellement inventif et souvent touchant de par cette volonté de sortir des sentiers battus.

Last caress se situe dans la même veine mais affiche des ambitions moindres, permettant au film d’être à la fois plus efficace mais aussi plus timoré sur le plan narratif et visuel.

En s’inspirant ouvertement, du moins pendant les 20 premières minutes, du génialissime La baie sanglante, les auteurs rentrent d’emblé dans le vif du sujet, mêlant sexe, gore et humour potache dans une ambiance à la fois sensuelle, ironique et décomplexée. On pense aussi à l’excellent Torso de Sergio Martino. Le pitch, assez rudimentaire, tourne autour d’un tableau que convoitent plusieurs personnages dans un manoir. Pendant  ce temps, cinq individus, visiblement en vacances, viennent rendre visite à la propriétaire des lieux, détentrice du fameux tableau, pur « Mc Guffin » au sens Hitchcockien du terme. Le jeu de massacre commence dans une atmosphère très old school,  naviguant entre l’imagerie gothique sixties des films de Margheriti ou Bava (toutes les séquences nous plongeant dans le passé mystérieux), les slashers eighties et les films érotiques kitch dont nous abreuvait régulièrement M6 le dimanche soir.

Le scénario devient alors un prétexte à toute une série de meurtres graphiques très habilement découpés et filmés, agrémentés de scènes de cul plutôt osées dans ce type de production fauchée. Ce ne sont pas des actrices X qui sont venus faire leurs petites apparitions mais bel et bien des comédiennes amatrices  peu farouches pour montrer leurs charmes. En premier lieu la chef opératrice, Anna Naigeon, qui entretient un curieux effet miroir avec son propre corps. Pour ma part, je regrette que la jeunesse des comédiens qui ne collent pas avec l’âge réel des personnages.

Le rythme soutenu maintient le spectateur en éveil, qui ne sait pas toujours s’il assiste à un pur film de genre excessif et primaire ou à une bouffonnerie sanglante jouant à fond la carte du second degré. Connaissant François, je pencherais pour la première option mais il est évident que le film oscille constamment entre les deux tendances sans jamais vraiment trancher dans le vif. D’où parfois, l’impression d’assister à un slasher moderne « à la manière de »  qui ne s’assume pas complètement. Passé ces réserves, à prendre avec des pincettes si l’on se focalise sur le maigre budget, Last Caress (titre repris à un morceau des Misfits, group punk garage dans la lignée des Cramps) est une bonne surprise, qui démontre qu’avec un dixième du budget régie de n’importe quel film d’auteur français,  il est encore possible de réaliser des pelloches qui tiennent la route avec tout ce qui fait saliver le voyeur qui est en nous ; des effets gores crédibles (encore une fois bravo à David Scherer qui livre un travail impressionnant), de l’érotisme chic, des dialogues drôles et vulgaires comme on les aime et surtout un sens de la topographie et de la mise en scène qui n’a rien à envie à certaines productions cossues. D’autant que la direction d’acteur (mention spéciale à Anthony Cinturino très crédible en tueur impassible) est  plutôt soignée et les dialogues mieux écrits que dans les précédents opus de François Gaillard. A ce niveau, la présence de Christophe Robin est précieuse.

Une fois admis les partis pris et les intentions plastiques, Last caress séduit aussi par sa photographie contrastée,  naviguant entre l’esthétique glacée de certains bons pornos de Marc Dorcel et une luminosité éclatante teintée de rouge et de bleues héritée des meilleurs films de Mario Bava. Les séquences en extérieurs sont moins convaincantes d’un strict point de vue visuel.

Pour l’instant invisible hors festival, le film sortira très prochainement en DVD et peut-être Blu-Ray chez Le Chat qui fume. Logique, on est jamais mieux servis que par soi-même. Du pur cinéma d’exploitation, jubilatoire et racoleur, sincère et jamais ennuyeux. C’est le principal !

(FRA-2011) de François Gaillard et Christian Robin avec Julie Baron, Antony Cinturino, Guillaume Beylard, Ioanna Imbert, Yannis El Hajji, Anna Naigeon, Clara Vallet, Aurélie Godefroy.


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    Saragosse Vs Roman Porno https://www.cinetrange.com/2011/02/saragosse-vs-roman-porno/ https://www.cinetrange.com/2011/02/saragosse-vs-roman-porno/#comments Sat, 12 Feb 2011 16:06:26 +0000 http://www.cinetrange.com/?p=6278 Lire la suite]]> LE MANUSCRIT TROUVE A SARAGOSSE (Wojciech HaS – 1965)

    Drôle de carrière pour ce film de 180 minutes, petite merveille du cinoche polonais distribué chez nous à l’époque dans des versions charcutées. La restauration de l’ultime copie intégrale, retrouvée dans le grenier de Has, a été financée par M. Scorsese il y a peu : à nous les trois heures de bagenaudes dans le roman alambiqué de Jan Potocki.

    LE MANUSCRIT est, à l’origine, un roman bizarre du début du XVIIIè siècle, écrit en français par un Polack et dont l’action prend place en Espagne. C’est à la fois une sorte d’hommage au QUICHOTTE et un formidable récit-monde, à la manière du DECAMERON ou des MILLE ET UNE NUIT. Sur le récit principal, celui du voyage d’un noble Wallon dans les montagnes d’Estramadure, les histoires parallèles pullulent et se contaminent. Au sein d’un rêve, le héros fait la connaissance d’un personnage qui raconte le récit de sa vie, au cours de laquelle il a fait la connaissance d’un quidam qui, partageant des épisodes de son passé, lui révèle avoir lié amitié avec un bavard, qui s’est empressé de lui narrer, etc.

    Le film de Has, s’il ne reprend qu’une infime partie du livre, parvient tout de même, dans son dernier tiers, à un quintuple enchâssement, dans lequel on ne cesse de monter et de descendre de niveau. Et ça se complique encore quand on réalise que les histoires s’interpénètrent, que les récits s’entrecroisent, les chutes de l’une éclairent à rebours le déroulé de l’autre, ou viennent contredire une version précédente du récit… Le résultat, grisant, relève à la fois du récit sur le récit et du grand huit, duquel on redescend ravi, bouldingué par le cours torrentiel des narrations. Avec l’impression confuse, aussi, qu’une fois la machine emballée, il n’y a aucune nécessité à ce qu’elle s’arrête un jour.

    La mise en scène de l’adaptation est virtuose et étonnante, aucun procédé autre que le montage ne venant signaler les changements de mode de récit. On pense aux grands Fellini, pour l’élégance de la photo noir et blanc, l’énergie, l’aspect hétérodoxe. Il paraît clair, aussi, que ce film a largement inspiré la TRILOGIE DE LA VIE de Pasolini, tant dans son rapport à la littérature qu’au propos qui tenu, sur la griserie du conteur, la joie de vivre, le plaisir de dire. On s’amuse également de ce procédé que reprendra P.P. qui consiste à faire causer ses personnages en V.O. : les bandoleros causent polonais comme Shéhérazade jactera rital, ce n’est qu’un pas de plus de notre plongée dans le rêve.

    Les acteurs, amenés à parcourir tous les registres des aventures possibles, offrent des compositions remarquables, allant du jeu nuancé à la farce outrancière, au fur qu’ils passent de la bluette à la farce au drame au récit édifiant. Les scènes, souvent filmées de derrière une fenêtre, au travers d’un cadre, signalent en permanence l’importance la mise en abyme et la rendant, tout en la rendant inopérante. Le spectateur ne pense plus qu’on lui raconte une histoire : il est en plein rêve et ne veut pas connaître le terme.

    Pourquoi raconter des histoires ? Le XVIIIème, auquel le livre de Potocki se rattache entièrement (on pense aux MEMOIRES de Casanova, aux œuvres métaleptiques Diderot), a accouché du genre romanesque en posant et reposant cette unique question. Et si la plupart des récits que rapportent les films sont en réalité de l’ordre de la nouvelle (“une bonne histoire, une bonne histoire, une bonne histoire”), LE MANUSCRIT fait un vrai hommage à ce qui constitue le roman : l’élaboration d’un monde, univers clos, artificiel, au sein duquel les histoires peuvent s’ébattre, croître, vivre. Un film-labyrinthe, oui, dans le sens ou L’ETE DE LA DERNIER ETREINTE n’est PAS un film-labyrinthe. Ni LA CHAMBRE NOIRE, d’ailleurs.



    L’ETE DE LA DERNIER ETREINTE (Nureta Shumatsu, 1979)
    LA CHAMBRE NOIRE (Kirio Uriyama, 1983)

    Les “romans pornos” de la Nikkatsu, films érotiques nippons, ont gagné en notoriété ces dernières années, avec la reconnaissance progressive du boulard comme genre cinématographique respectable. Après le western, le giallo, le gore et etc., c’est le cul qui se taille doucement une place dans le monde très select de la critique critiquante. Adoubement simplifié, dans le cas de ces films particuliers, par le fait qu’ils restent très à-côté du porno archétypal, puisqu’ils sont scénarisés, joués et réalisés avec un assez grand soin. Ils sont aussi souvent porteurs de récits dans lequel le sexe n’est pas nécessairement au centre.

    Dans l’ETE, on suit les tribulations sensuelles, socioprofessionnelles et existentielles d’une secrétaire de direction que son boss a pris pour maîtresse. A la fois partenaire du moustachu, amie de sa femme et nurse de leur gamine, elle attend que Monsieur veuille bien faire son coming out et changer de foyer. La trentaine fond sur elle, accompagnée des préjugés sociaux à l’égard des femmes célibataires. Heureusement, un jeune trotskyste débile cherche à la cambrioler un soir de solitude, mettant un peu de piment dans sa vie.

    Le cul, dans ce petit film, n’est que prétexte, qu’outil. Si les corps que l’on y croise sont jolis et plutôt mis en valeur dans les scènes nues, on sent que le propos n’est pas là. Que le désir de notre héroïne de prendre en main sa sexualité est moins fort que celui de gérer sa vie, entièrement, de s’émanciper des pressions et du qu’en dira-t-on. On gratouille, semble-t-il, quelque chose de sensible dans la mentalité d’alors, le film oscillant dans le jugement à porter sur la gueuse, en même temps encouragée à fuir et dénoncée pour sa monstruosité.

    LA CHAMBRE NOIRE est plus long, plus pénible, et toujours aussi peu explicite. Là on est carrément dans l’existentiel mou, avec la présentation des affres d’un écrivain quarantenaire, hanté par une infidélité potentielle de sa femme, décédée depuis dix ans.

    Le film suit ses aventures, enchaînées à un rythme de tortue sous valium, et avec une telle subtilité scénaristique que le récit en devient filandreux, presque abstrait. Le personnage principal n’engendrant aucune sympathie, on a du mal à le suivre sans bâiller dans ses pérégrinations artistico-érotiques. D’autant que, plus encore que dans l’ETE, le pacte narratif porno est trahi par des scènes grossièrement simulée : on y baise bruyamment et à côté des trous.

    Le rapport à la sexualité est dans les deux cas, très marqué par le rapport à la société. On parle beaucoup de mariage, de concubinage, d’avortement, et beaucoup moins d’amour, de plaisir. Les femmes tentent de jouer un rôle plus complexe que celui d’objet de plaisir, on sent que la révolution sexuelle est passée par là. Mais la vision du cul reste assez désespérément machistes. Les rapports forcés y sont légions et toujours satisfaisants pour celles qui les subissent. L’évolution des relations passe invariablement par la soumission, les coups, la trahison par l’amant. Les lesbiennes sont contre-nature, l’homosexualité masculine jamais évoquée, et si l’héroïne de l’ETE revendique son droit à jouir, elle semble ne pouvoir le faire que dans la contrainte et avec ceux qu’elle n’aime pas…

    Histoires étranges, donc, de ces films qui ne parlent pas de ce dont ils causent. En tant que témoignage schizophrénique, l’ETE n’est vraiment bon que dans ses séquences Kean Loach, où l’on découvre les faubourgs de Tokyo, les banlieues pauvres, l’envers de la success story des seventies. Quant à LA CHAMBRE NOIRE, les rares beaux moments sont dans les creux, dans une scène onirique en bord de mer, une vadrouille à la campagne, des visions psychés d’une mort en approche.
    L’un comme l’autre sont des récits angoissés, imprégnée sans doute de l’esprit de leur temps, dans lequel le plaisir est toujours contrarié, l’ordre social instable et la sexualité entachée de violence et de morbidité.

    *

    A ma droite un film rêveur, alambiqué, léger, dans lequel on épouse deux femmes à la fois, on fait la nique à l’Inquisition et se régale de mets fantômes. A ma gauche des récits programmatiques et linéaires qui, sous prétexte de nous exciter, tiennent un discours inquiet sur le monde tel-qu’il-est. A quinze ans et des milliers de kilomètres d’écart, la joie de raconter s’est muée en nécessité inquiète. On ne célèbre plus les histoires sans fin, on se préoccupe de deviner comment cela va bien pouvoir finir.
    C’est le XVIIIè le plus libertin qui a engendré le romantisme et la vague de de pudibonderie du XIXè. A peine la décennie 1960 achevée, voilà que les émancipations recommencent à calcifier, que ce qui semblait évident se remet à poser question. Et où sommes-nous à présent ?
    Qui sommes-nous ? Quand est-ce qu’on mange ?

    *

    LES CINQ CONTEURS DE BAGDAD de Fabien Vehlmann (scénar) et Franck Duchazeau (dessin), a paru chez Dargaud en 2006. C’est un one-shot d’environ 80 planches, qui vaut largement son pesant d’houmous.

    LE MANUSCRIT TROUVE A SARAGOSSE de Wojciech Has (réal) a été édité en DVD il y a un an ou deux, distribué par Malavida. Une édition de référence du roman de POTOCKI a été établie dans les années 2000 pour José Corti, on en trouve aussi des versions moins complètes et moins chères en poche.

    L’ETE DE LA DERNIER ETREINTE et LA CHAMBRE NOIRE sont des films pas très coquins produits par la Nikkatsu et édités en DVD l’an dernier par Wild Side, dans leur collection L’Âge d’or du Roman Porno Japonais.

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    Piranha 3D, d'Alexandre Aja https://www.cinetrange.com/2010/08/piranha-3d-dalexandre-aja/ https://www.cinetrange.com/2010/08/piranha-3d-dalexandre-aja/#comments Sun, 29 Aug 2010 22:04:12 +0000 http://www.cinetrange.com/?p=5483 Lire la suite]]>

    ” Contaaaaaaaact ! “

    La ville de Lake Victoria s’apprête à recevoir des centaines d’étudiants avides de t-shirts mouillés, de bikinis microscopiques et d’alcool à volonté pour une mégateuf sur le lac. Mais non loin de là, une secousse sismique libère des piranhas d’un autre âge, ne contenant plus leur faim à la vision de cuisses fermes, de derrières dodus et de grosses poitrines.
    Jake est un adolescent qui devait surveiller son frère et sa soeur durant le fameux week-end. Mais il préfère accompagner Derrick Jones sur son yacht, un réalisateur de films porno cheap, afin de lui montrer les meilleurs spots sur le lac, où l’équipe pourra tourner tranquillement ses scènes de cul aquatiques.

    J’avoue avoir pris un plaisir coupable à assister à ce divertissement décérébré pour ados aimant le gore et les nénés.

    Tout simplement parce que le film remplit son contrat de gore et de sexe. Côté cul, tout cela est assez gratuit puisque l’on y voit principalement ce Derrick Jones réaliser son film, sans que cela apporte quoi que ce soit à l’intrigue. Parodie de réalisateur porno, il accumule les tares : misogyne, vulgaire, camé, mythomane. Son excentricité borderline vole presque la vedette à Jake, héros classique, jeune, imberbe et courageux. Jerry O’Connell interprète Derrick avec grande conviction et il a l’air visiblement heureux d’être payé pour gober téquila, sel et citron dans le nombril des filles.

    Côté gore, il faudra attendre de passer l’exposition des personnages, qui est un peu longue. Mais le mâle en rut sera comblé par un saupoudrage régulier de corps parfaits en bikini, ou même avec moins de tissu, sur fond de techno assourdissante ou de Lakmé, au choix. Mais la scène de panique et de massacre est bien là, avec ses dizaines de victimes mutilées de mille et une façons, rappelant les heures les plus sanglantes de Klendathu. Le tout est évidemmebt orchestré par les ténors du membre sectionné, les sommeliers de l’hémoglobine, KNB.

    Ajoutez à cela quelques punchlines, une poignée de scènes “what the fuck” qui repousse les limites du bon goût, et des apparitions rigolotes de Christopher Lloyd (le doc de Retour vers le futur) et Richard Dreyfuss (Hooper dans les dents de la mer). Vous avez là un excellent rafraichissement de fin d’été. Attention tout de même : Aja nous avait habitué à des films d’horreur plutôt flippants (Haute Tension, le remake de la Colline a des yeux). Malgré leur côté irascible, les poiscailles en image de synthèse ont l’air d’être en plastique. De plus, l’excès de gore et de morts aussi atroces qu’absurdes provoqueront le rire plutôt que la terreur.

    Le film a été converti en relief pour être à la mode. Il faut bien avouer que la 3D n’amène absolument rien ici, si ce n’est un côté kitsch et gadget rappelant qu’une série B se doit d’appâter le chaland avec des artifices basiques (sexe, gore et donc 3D).

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    Belgique irrévérencieuse – CINEMATEK de Bruxelles https://www.cinetrange.com/2010/08/belgique-irreverencieuse-cinematek-de-bruxelles/ https://www.cinetrange.com/2010/08/belgique-irreverencieuse-cinematek-de-bruxelles/#respond Sun, 22 Aug 2010 15:59:16 +0000 http://www.cinetrange.com/?p=5439 Lire la suite]]> Programme

    Films expérimentaux subversifs (détournements, ready made), films érotico-fantastiques et provocations tous azimuts ou le mélange de tout cela à la fois — la “Belgique irrévérencieuse”, dépasse largement son intitulé.

    Satan bouche un coin
    de J-P Bouyxou & Raphael Marongiu, Belgique 1968, couleur / muet / 10′
    Sortez vos culs de ma commode
    de Jean-Pierre Bouyxou, Belgique 1972, NB / 11′
    La fée sanguinaire
    de Roland Lethem, Belgique 1968, NB / 25′
    Comme le temps paxe vite
    de Roland Lethem, Belgique 1974, NB / 10′
    Grève et pets
    de Noël Godin, Belgique – France 1975, couleur / 14′

    Quelques extraits d’un texte écrit par Jean-Pierre Bouyxou et qui résume bien la volonté de ces différents cinéastes, pour qui le terme irrévérencieux est encore trop sage :

    « Commencé à l’automne 1967 à Paris, achevé l’hiver suivant à Bordeaux, Satan bouche un coin était, à l’origine, démuni de générique. Il fut décidé de lui en adjoindre un vers la fin de l’année 1968, à Bruxelles. (…) il a suffi de ce générique bruxellois pour donner au film tout entier, jusqu’alors 100% français, un petit parfum de belgitude qui justifie sa présence dans ce pogramme. Ce film s’est fait de bric et de broc. On filmait chaque fois qu’il y avait assez d’argent pour acheter un bout de pellicule. Au total, trois bobines, de trois minutes et demie chacune, ont été utilisées. Ce film sans production et sans scénario était aussi un film sans foi ni loi, qui ignorait délibérement toutes les règles : celles du langage cinématographique, celles de la narration, celles de la logique, celles du bon goût, celles de la morale. Comme Lethem, comme Godin, comme une poignée d’autres, qui constituèrent ce que l’on peut considérer comme « l’underground » belge des années 60-70, nous étions en rupture totale avec toute forme d’académisme, de commercialisme, de oui-ouisme. Nous n’étions pas seulement irrévérencieux (…) Nous étions sales, grossiers, teigneux, offensifs, anars. A travers le cinéma dont nous malmenions les codes, c’est sur tout un système culturel, social et politique (celui-là même qui perdure aujourd’hui) que nous dégueulions de toutes nos tripes, de toutes nos caméras. »

    Quand ?

    Ven 27.08.10 / 18:00 / Salle Plateau

    Où ?

    CINEMATEK

    Rue Baron Horta 9, 1000 Bruxelles
    www.cinematek.be

    ]]> https://www.cinetrange.com/2010/08/belgique-irreverencieuse-cinematek-de-bruxelles/feed/ 0 L’empire des sens, en blu-ray https://www.cinetrange.com/2009/12/lempire-des-sens-en-blu-ray/ https://www.cinetrange.com/2009/12/lempire-des-sens-en-blu-ray/#respond Sat, 19 Dec 2009 18:40:58 +0000 http://www.cinetrange.com/?p=3951 Lire la suite]]> empiredessens1

    Le chef d’oeuvre de Nagisa Oshima traverse les âges de façon insolente car il est reste toujours aussi dérangeant et avant-gardiste. Pour les hérétiques qui n’auraient pas encore vu ce monument, il raconte l’histoire vraie d’Abe Sada, une jeune japonaise qui a vécu une histoire d’amour si intense qu’elle en est venue à tuer son mari. Quand la police l’a arrêtée, elle avait dans les mains le pénis coupé de son compagnon !

    L’empire des sens est un film parfait car il s’appuie sur un scénario fort (la relation amoureuse de Sada et de Kichizo en forme de crescendo), des acteurs crédibles, des décors traditionnels japonais epoustouflants, et surtout des scènes de sexe clairement hardcore. Oshima est un réalisateur génial car il a réussi à créer la symbiose parfaite entre film pornographique et film d’auteur. Peu de films (aucun ?) peuvent se vanter de montrer la sexualité avec autant d’audace. Rappelons que le film a déjà 33 ans !

    D’un côté, il s’agit d’un inventaire de tout ce qui fait la beauté du Japon : la cérémonie du thé, les parois en bois et en papier, les bonsaïs, les chants des geishas, les kimonos colorés, les jardins zen, etc. De l’autre côté, le film nous propose des scènes de sexe non simulées plutôt déviantes : la fellation en gros plan (avec effet boule de neige), la consommation de champignons aromatisés à la vulve, la dégustation de sang menstruel, et des jeux sadomasochistes consistant à étrangler l’autre pour éprouver de nouvelles sensations. C’est sans compter la fameuse scène de l’oeuf qui restera dans les annales de l’étrange.

    empire-psLe support blu-ray est un superbe écrin pour ce film. On y gagne bien sûr en définition et en précision d’image. On pourra observer les imperfections de la peau, le tatouage de scorpion sur le lobe de l’actrice et bien sûr tous les détails anatomiques. Les couleurs des décors et des costumes sont chatoyantes. Seuls quelques plans sont un peu fourmillants et d’autres de nuit sont plus bleus que noirs. Mais étant l’âge du film, le transfert reste exceptionnel.

    Le blu-ray inclut également un documentaire sur l’histoire du film, et fait intervenir notamment le directeur de production, Koji Wakamatsu, réalisateur de Quand l’embryon part braconner. On en apprend beaucoup sur la personnalité des auteurs (des gauchistes contestataires !) et des conditions extrêmes de tournage. La censure japonaise était en effet très forte et le tournage fut toléré car le film était considéré comme français (car financé par un producteur français). D’ailleurs, la censure japonaise n’a que peu faibli (on connaît son aversion pour les toisons pubiennes) et le film n’est visible là-bas qu’avec des flous cachant les parties intimes. Le disque contient également un entretien de l’acteur principal, Tatsuya Fuji, qui apporte de nombreuses anecdotes très cocasses.
    Egalement dans cette édition, l’on peut accéder à un montage avec des scènes coupées, ces dernières n’apportant rien de fondamental.

    Le film est disponible en coffret blu-ray contenant L’empire des sens mais aussi L’empire de la passion, du même réalisateur.

    Disponible chez Arte Editions

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    https://www.cinetrange.com/2009/12/lempire-des-sens-en-blu-ray/feed/ 0
    Les Anges exterminateurs https://www.cinetrange.com/2007/07/les-anges-exterminateurs/ https://www.cinetrange.com/2007/07/les-anges-exterminateurs/#respond Wed, 11 Jul 2007 11:46:33 +0000 http://www.cinetrange.com/?p=1020 Lire la suite]]> A la première vision des Anges Exterminateurs, je me suis dit que j’avais vu là un bon film, beau, intriguant, ne versant pas dans le vulgaire. Mais je n’ai pas pour autant perçu l’exceptionnelle transcendance du sujet.
    Puis j’ai participé à la rencontre avec le réalisateur Jean-Claude Brisseau (au vidéo-club Hors-Circuits, Paris XI). Premier constat : nombreuses et unanimes sont les femmes à reconnaître ce film comme le premier à avoir pu cerner le plaisir féminin.
    Deuxième constat : d’après les rencontres et les anecdotes qu’a pu récolter Brisseau depuis des années, il s’avère, à mon humble surprise, que beaucoup de gens (de femmes) découvrent à travers ce film qu’il est normal de se masturber ou de penser à des choses “osées” ; et qu’ils/elles ne sont donc pas victimes de ce trouble psychologique qu’ils cachaient depuis si longtemps ! Soulagement ! Ce trouble n’en est finalement pas un !
    En tant que lectrice ou lecteur de Cinétrange, vous ne vivrez certainement pas le film de cette façon ! Mais il est important de souligner cette étrange utilité du film.

    Pour en venir au film en lui-même, l’intrigue se base sur l’histoire d’un réalisateur cherchant des actrices pour un film sur le plaisir féminin, pour des rôles érotiques donc. Brisseau parvient aisément à réaliser un film avec des femmes presque constamment nues sans tomber dans le travers de la vulgarité. Les actrices, dans leurs rôles d’actrices néophytes, sont convaincantes. Elles jouent très bien ce malaise naturel qui se transforme en aisance au fur et à mesure des expériences.  Les femmes sont belles. Leurs expériences de plaisir sont intrigantes et font quasiment oublier aux hommes de penser à se concentrer sur leurs poitrines.

    Mais que nous apprend le film ? Pas tant que ça, après tout. Pourtant il semble que parfois on passe à côté des évidences et qu’il peut être utile de les rappeler. Et la question est plus complexe et subjective qu’il n’y paraît.
    Je citerai l’idée que le fait d’être vue ou observée, si on arrive à le surpasser, devient un catalyseur, un excitant. Pas une idée nouvelle donc. Mais bien développée par Brisseau.

    A ce sujet, je pense qu’il n’a pas été noté que cette étude du plaisir féminin est aussi une étude du plaisir humain tout simplement.
    Brisseau ne s’est intéressé qu’aux femmes, il n’a pas cherché à comprendre ou à comparer le plaisir masculin. Le film se veut bien être une étude du plaisir féminin. Mais par effet de bord, il touche les hommes dans une certaine mesure.

    Pour un homme aussi, les expériences exhibitionnistes pourront probablement lui apporter un certain plaisir.
    Les expériences du film seraient bien sûr beaucoup plus difficiles à tenter pour des hommes. Il y a d’abord les raisons culturelles du culte de la virilité : le fait que les femmes nues et les lesbiennes sont bien plus admises que les gays, en particulier dans les films pornos, mais dans la société en général. Idem pour ce qui serait d’affirmer que les hommes peuvent encore apprendre comment prendre du plaisir.
    Ensuite, la nature technique du plaisir n’est pas la même chez les hommes non plus et ça y change sans doute beaucoup. Mais il me semble que ce film n’est justement pas d’ordre technique.
    Les hommes sont quelque peu écartés de ce film. L’explication est bien sûr que les femmes sont mieux à même de savoir comment donner du plaisir à une autre femme. Mais il ne faudrait pas non plus prendre cela comme l’unique vérité.
    D’autant que ce film traite plus de la question d’être à l’aise, de penser à son propre plaisir, d’oublier ce qui se passe autour de soi, que de la recherche d’un point G ou d’un exploit physique.

    Les images sont érotiques. Les parties fantastiques qui se collent sur l’intrigue de base apportent une beauté et un mystère, amplifiant l’idée que le plaisir féminin est vraiment mystérieux.
    Ce film ressemble incroyablement, dans sa forme, à l’excellent De Bruit Et De Fureur (1986) d’il y a vingt ans (ce dernier traitait d’un tout autre thème, la vie difficile d’un jeune garçon vivant en banlieue, avec une touche de fantastique aussi). Le côté érotique, le plaisir et les expériences féminines ne sont pas sans rappeler, quant à eux, Choses secrètes (2002), du même réalisateur. Brisseau avait donc probablement bien maturé ce film, même s’il indique avoir changé le montage jusqu’après le tournage (allégeant la part du fantastique).

    Le fantastique est un artefact qui, à la fois, se glisse allègrement dans l’histoire, et à la fois ne semble pas nécessaire. L’intrigue fantastique et sa construction tragique n’apportent rien directement à la question du plaisir féminin, mais permettent cependant d’insérer des commentaires off (selon les règles de la tragédie) et d’amener la déchéance du réalisateur qui est de plus en plus évidente et inéluctable.
    Brisseau savait bien de quoi il parlait, puisque son film s’avère raconter plus ou moins sa propre histoire, a posteriori. Quelques ennuis juridiques et des critiques acérées et polémiques ont été le lot du réalisateur et de son équipe.
    La dimension tragique et fantastique servait donc à insérer en filigrane cette critique de la société sur ses positions par rapport au sexe, et au plaisir. Une critique de l’autocensure du cinéma qui déteint sur le public. Car finalement, ce film ne fait que parler d’une chose “banale” : le plaisir (sexuel).

    Dvd disponible chez Blaqout

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