Yûkoku, de Yukio Mishima

Yûkoku, réalisé en 1966, est l’occasion idéale de découvrir l’oeuvre de Mishima. L’écrivain japonais est aussi cinéaste et son film est un intéressant mélange entre film d’auteur et film d’horreur; Eros et Thanatos sont de la partie également. Film muet mais accompagné de la musique de Wagner, Yûkoku est conçu comme une pièce en plusieurs actes, contant la dernière étreinte amoureuse d’un jeune lieutenant avant qu’il se donne la mort pour des raisons politiques.

A travers l’entretien filmé en 1966 et présent sur le dvd, on en sait un peu plus sur Mishima. Véritable perturbateur des bonnes moeurs, il n’hésite pas à provoquer et à bousculer un public bien-pensant. Le final de Yûkoku est d’ailleurs symptomatique puisqu’on y voit le seppuku dans les moindres détails. Rappelons que cette technique de suicide est héritée des samouraïs et qu’elle consiste à s’ouvrir le ventre avec un sabre. La méthode est cruelle (les intestins se déversent lentement par l’incision) et l’agonie est lente et douloureuse. Autant tout le film est très stylisé (les décors réduits au minimum, les costumes soignés dans les moindres détails), autant Mishima ne lésine pas sur les gros plans gores. Ce mélange de délicate poésie à la Japonaise (Mishima a écrit pour le théâtre Nô) et ces sanguinolentes effusions font de Yukio Mishima un auteur tout à fait singulier.

Avant chaque acte, un rouleau donne de nombreux détails sur la situation et explique en avance la tragédie qui va se dérouler. S’il n’y a quasiment aucun décor, c’est pour mieux mettre en valeur la beauté des corps, qui vont être détruits. Et si on y voit de la tripe à la fin, cela reste bizarrement très beau. D’une part à cause du geste aussi courageux qu’absurde. D’autre part, l’aspect extrêmement romantique de l’événement finit par transcender ces effusions très graphiques.

Si le film ne dure que 40 minutes, les éditions Montparnasse ont complété cette édition dvd avec des suppléments intéressants. Un livret, rédigé par Stéphane Giocanti, révèle pourquoi Yûkoku est une sorte de film maudit, resté longtemps invisible et introuvable. Car ce n’est qu’en 2005 qu’une copie a été retrouvée ! Le texte dresse également le portrait de l’auteur, résolument moderne dans un Japon très coincé. Il y est aussi question de l’homosexualité latente qui plane sur le film. Avec le coffret, est aussi offert une édition spéciale en livre de poche contenant la nouvelle originale ainsi que quelques autres de l’auteur. Le plus étonnant reste que plusieurs années après le film, Yukio Mishima se donnera la mort grâce au seppuku, tout comme dans son oeuvre… Sachant cela, le film prend un caractère autrement dérangeant.

Editeur : Editions Montparnasse

1 commentaires sur “Yûkoku, de Yukio Mishima”
  1. Je cite l’article précedent : “l’auteur, résolument moderne dans un Japon très coincé.”
    Alors là, autant on peut être très fan de Mishima et/ou du Seppuku, autant là, il faudrait dire ce que cela veut dire exactement. Précisément là, parce que “moderne”, au Japon cela signifie “occidental”. Ca empêche pas d’en discuter avec un japonais, mais c’est pas vraiment les mêmes connotations que chacun va s’imaginer, c’est important en général, mais concernant Mishima, c’est nécessaire d’avoir ça en tête. En particulier lorsqu’on fait référence au Seppuku qui pourrait plutôt être vu comme une “pratique” “traditionnelle” (et donc non-moderne !)
    Si on rajoute la connotation moderne = occidentale, Mishima se battait surtout pour que le Japon ait de nouveau une véritable armée et ne soit plus sous la coupe des Etats-Unis. Donc on peut dire grossièrement que le message de Mishima est résolument anti-moderne.

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