The social Network, de David Fincher

Au départ, il y a le livre The accidental billionaires, écrit par Ben Mezrich. On apprend dans cet entretien avec l’écrivain que le principal interlocuteur pour le livre fut Eduardo Saverin, le personnage dont Zuckerberg a trahi l’amitié. Avec un de ses ouvrages précédents (bringing down the house), Mezrich suscitait la polémique sur certaines libertés qu’il aurait prises vis-à-vis des faits. Le fond de commerce de Mezrich est d’écrire des livres qui ne sont pas des fictions et qui s’inspirent de la réalité. Il semble vouer une fascination pour les génies américains qui font fortune grâce à la technique (il a aussi écrit un livre sur des étudiants du MIT ayant réussi à concevoir un programme pour gagner au blackjack).

Ensuite, il y a le scénario, adapté du roman par Aaron Sorkin. Même si ce dernier a pris comme base le livre de Mezrich, il a aussi mené sa propre enquête. Au final, on peut légitimement s’interroger sur l’authenticité des faits présentés dans le film The Social Network. Mais l’écart entre fiction et réalité n’est peut-être pas si important que ça. Il faut garder dans un coin de l’esprit, que le film de Fincher, aussi passionnant soit-il, n’est peut-être pas un reflet fidèle. Cela, personne ne le dit, surtout que le film cite la marque « facebook » et le nom réel des personnes, laissant penser que tout ce que nous voyons est parfaitement authentique.

Pour autant, le film n’a pas eu de problème avec la justice, ce qui indique qu’il n’y a pas calomnie gênante. Et l’œuvre ne fait pas un portrait très reluisant de Zuckerberg : plein de rancœur, égocentrique, jaloux. Peu flatteur mais pas non plus emprunt de méchanceté. On éprouve une certaine empathie pour lui, à travers notamment du personnage de l’assistante qui voit en lui « un type sympathique qui fait tout pour être un sale con ».

Comme tout le monde, j’avais comme à priori de dire qu’un film sur Facebook serait tout sauf excitant. Et comme tout le monde, après avoir vu le film, j’ai trouvé ça génial. Il y a sans doute une part de magie mais David Fincher, en parfait narrateur, parvient à nous happer dès les premières minutes et ne cesse d’accélérer le rythme du récit.  De la magie ? Pas forcément. On commence à bien connaître David Fincher. Ses premières œuvres démontrent chez lui un goût pour l’image, les effets spéciaux et les expérimentations visuelles, toujours au service du récit. Il fut réalisateur de clips autrefois. On pourrait être tenter de dire qu’il ne se passe rien dans The Social Network, qu’il n’est qu’une succession de tunnels dialogués. Et pourtant, c’est par le biais de la mise en scène, chargée de symboles et de significations que le réalisateur parvient à nous captiver de bout en bout. Le cadrage, le placement des personnages et les décors ont été conçus de tel sorte, que nous ayons toujours des indices faisant écho au positionnement dans la relation humaine qui se joue. Et quand on parle de relation humaine, ce serait plutôt de conflits dont il s’agit. Les groupes se font et se défont au gré de l’intrigue; certains personnages sont inclus ou exclus. Cela ne se voit pas de manière évidente puisque le film sembler couler de source, mais la mise en scène participe à l’étonnante dynamique du film. Une deuxième vision fait apparaître cela assez clairement.

Toutes les scènes avec les jumeaux Winklevoss sont symptomatiques du concept. Ainsi, on les voit pratiquer l’aviron en salle avec une machine. Autrement dit : ils rament et font du sur place; ce qui illustre exactement leur situation dans le projet facebook à ce moment-là. Sans Zuckerberg, ils n’avancent pas d’un iota dans leur projet.

L’un des thèmes principaux du film n’est pas du tout facebook en soi, mais plutôt la personnalité fascinante de Mark Zuckerberg. C’est autant un génie qu’un autiste, dans le sens où personne ne partage ses visions ni sa maîtrise de la technique. Ce qui semble avoir séduit Fincher et son scénariste est sans doute aussi l’origine du projet : maladroit et condescendant, Mark se fait jeter par sa petite amie. Suite à cela, il créé dans un moment de bêtise alcoolisée, une application permettant de classer les filles du campus selon leur physique. Une idée puante mais qui a  un succès phénoménal, au point de saturer le réseau de l’école. C’est cette bêtise qui va lui permettre d’enchainer sur un projet plus ambitieux. Avec l’anecdote sur Victoria’s Secret, les auteurs semblent dire que tout grand projet naît d’une frustration et/ou d’un problème avec une femme. Vraie ou pas, cette idée de petite histoire dans la grande, est séduisante !

C’est aussi la jalousie vis-à-vis des final clubs de Harvard qui va motiver Zuckerberg à créer son propre club privé via Facebook. Cette sélection et par conséquent cette exclusion rend le jeune homme malade. On voit son malaise à plusieurs moments. Par exemple quand il rencontre son ex-petite amie Erika dans un bar. Celle-ci est en présence d’un groupe d’amis. Elle ne veut pas quitter ce groupe pour s’entretenir avec Mark. Ce dernier s’en trouve alors définitivement exclu. Facebook n’est finalement rien d’autre qu’un réseau où l’on sélectionne ses amis; des gens que l’on inclura ou que l’on exclura selon son bon vouloir et qui procure un sentiment fictif de maîtrise des relations humaine.

The Social Network est aussi un constat sur l’évolution de l’industrie. Les jumeaux Winklevoss sont des caricatures symbolisant les anciens pouvoirs : l’argent, la force physique, les relations. Mais rien de tout cela ne pourra faire vasciller le projet du nerd. Il y a aussi un discours Frankensteinien sur la créature qui échappe à son créateur. La progression et le succès du programme sont fulgurants et l’on voit un capitalisme complètement fou, investissant massivement dans le domaine des nouvelles technologies de l’information. A ce jour, les internautes passent plus de temps sur Facebook que sur l’autre géant du net : Google. Cependant, Zuckerberg a été assez malin pour conserver la société, sans être tenté de la revendre. Contrairement à certains de ses collaborateurs qui ont été évincés.

Sans être frontal, Fincher nous pose la question : quel est la réalité du réseau virtuel Facebook ? L’application nous permet à tous d’être de petits Zuckerberg, d’être le chef suprême de son propre réseau et de choisir à volonté : ami ou pas ami, j’aime ou pas. On y retrouve la possibilité de sélection, propre aux final clubs (fight club?!) des prestigieuses universités américaines. L’ironie c’est qu’en vrai (dans le film en tout cas), Zuckerberg n’a qu’un seul ami, qu’il perd dans le processus.

Le blu-ray, sorti chez Sony Pictures Home Entertainment, est un vrai bonheur, tant au niveau de l’image que du son. Evidemment, David Fincher donne beaucoup d’importance à la photo et à la musique, des morceaux d’ambient/indus composés par le duo Trent Reznor et Atticus Ross.


    1 commentaires sur “The social Network, de David Fincher”
    1. Demeure très caricaturale au service de cette bonne vieille entreprise des familles: c’est le mythe du “self-made man” (toutefois fortement nuancé par le fait que Zuckerberg est aussi un membre de la catégorie socio-professionnelle “fils à papa” comme les deux frères qui font office de “méchant” et son pote qui a un peu la trouille de tant d’innovation. Néanmoins le film insiste sur le fait qu’il existe également des différences de classes au sein même de ces classes dominantes. C’est sans doute vrai bien sûr.
      Il s’agit plus surement d’une sorte de démonstration de deux types différents de la figure du capitaliste: le manager-gestionnaire qui ne crée pas vraiment de richesse mais se contente de gérer ce qui existe (les méchants dans l’idéologie libérale, car il ne permettent pas au système de se développer; c’est pourtant le type-idéal qu’on fabrique dans les “écoles de management” en France.. (sic)
      Et l’autre figure c’est bien entendu l’entrepreneur innovant, celui qui prend des risques pour ses idées, le véritable héros du capitalisme libéral, la figure de prou du monde libre, également illustré par Steve Jobs (dans un documentaire sur M6, ils construisaient son portait en opposition avec Bill Gates, exactement comme dans ce film….)
      Bref de l’idéologie dominante, une tentative d’incarner la fin de l’histoire dont un gamin en savate aurait pris le relais, Yann Barthès serrant la main de Nicolas Sarkozy en se fendant la poire. Le monde merveilleux de “que du bonheur”, “enjoy coca-cola”, “yes we can”, “the war is over” et cie.

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