Cannibal Holocaust : le retour en blu-ray

A mi-chemin entre le mondo movie et le film de cannibales, le chef-d’oeuvre de Ruggero Deodato revient en blu-ray. Déjà édité au Royaume-Uni par Shameless, le disque va également sortir en France chez l’éditeur Opening.

Le plus étonnant est sans doute le nouveau montage proposé par l’édition anglaise. Plein de regrets, Deodato avoue avoir coupé certains plans montrant le massacre d’animaux. Il dit que ce n’était pas “utile”, que l’on avait bien compris le propos, sans avoir besoin d’en rajouter une couche. La démarche est surprenante car ce nouveau montage a été réalisé avec du recul et Deodato a gagné en maturité. Mais ce qui fait le charme du film, ce qui le rend si incroyable, ce sont justement ces excès. On peut comprendre le réalisateur : à l’époque, il était déjà sincère dans sa démarche. Son film était une réaction violente  au journalisme de sensation. N’en pouvant plus de voir des horreurs au journal télévisé, il décide de faire un film coup-de-poing, en s’inspirant de Mondo Cane et en y intégrant une bonne dose de cynisme. Les quatre jeunes reporters américains sont ainsi montrés comme de véritables terroristes, perpétrant d’atroces crimes auprès de tribus amazoniennes.

Heureusement, le blu-ray propose les deux version du film. Le passage à la haute définition est réussi. L’image présente un aspect “pellicule” assez doux, sans qu’il y ait d’excès de grain. Fini les VHS pourries de l’époque. On peut à présent voir dans tous les détails, les horribles scènes d’éviscération d’animaux. Celles-ci restent très fortes car elles sont authentiques. Si à l’époque, ce n’était pas si facile, on arrive à présent à distinguer les scènes truquées des scènes réelles. Les scènes avec maquillage ont du sang un peu trop rouge et un peu trop bien appliqué. Des astuces de montage ou de cadrage hors-champ permettent de faire apparaître les membres coupés.

A l’inverse, la célèbre scène de la tortue est filmée sans coupe et en gros plan. On voit l’animal vivant, se faire débiter en morceaux, les membres encore animés par des spasmes. Puis l’homme entreprend de vider la carapace de ses organes. Même avec tout le recul possible, il est difficile de ne pas détourner le regard ou de sentir un haut-le-cœur. Le fait que ce soit une tortue joue beaucoup dans l’émotion que provoque la scène. C’est  un animal sympa, qui ne fait de mal à personne, et que l’on ne mange pas. Cela nous pose beaucoup moins de problèmes si c’est une vache que l’on tue, tout en feignant d’ignorer un massacre industrialisé. Car il faut bien remplir le frigo. D’ailleurs, on remarquera que l’on a beaucoup moins d’empathie pour les autres bestioles sacrifiés dans le film : un serpent, une mygale.

L’autre scène choquante est l’exécution d’un mignon petit signe dont ont tranche la tête en deux. Ce qui choque toujours autant est le comportement des personnages avec leurs victimes. Dans un plan très furtif, on voit un des primitifs “étirer” le visage du petit singe avec ses doigts comme s’il s’agissait d’une poupée. De même, le tortionnaire de la tortue joue avec la tête coupée et l’expose à la caméra avec fierté. Cela va dans le sens du film mais cela reste aussi dérangeant puisque ces actes ont été faits “pour de vrai”.

Cette nouvelle édition met bien en valeur le travail de Ruggero Deodato sur la mise en scène et le cadrage. Il a pris un soin tout particulier pour filmer la jungle dans sa première partie. Celle-ci montre en fait un documentariste qui tente de retrouver les quatre jeunes disparus. Tout est mis en oeuvre pour filmer cela comme un documentaire respectueux des autochtones et de la nature. C’est le bon côté des Mondo qui est représenté ici, celui qui tient du documentaire naturaliste, avec tout de même un petite dose de voyeurisme exploitant la nudité des locaux. La deuxième partie du film est constituée par le film réalisé par la bande de jeunes. La mise en scène est en totale opposition : la qualité de l’image est moindre, la caméra est tenue à l’épaule ou à la main et il n’y a quasiment pas de montage, pour donner une impression de prise sur le vif.

Le blu-ray anglais propose deux documentaires intéressants. On y retrouve les protagonistes (le réalisateur et les deux acteurs principaux), trente ans plus tard, évoquer leurs souvenirs sur le film. Le film est en version anglaise sans sous-titre.

Il faut noter que le montage original n’est pas tout à fait “uncut”. Il lui manque en effet 18 secondes, censurées par la BBFC, où l’on voit un rat musqué se faire trucider au couteau.

12 commentaires sur “Cannibal Holocaust : le retour en blu-ray”
  1. “On peut comprendre le réalisateur : à l’époque, il était déjà sincère dans sa démarche. Son film était une réaction violente au journalisme de sensation. N’en pouvant plus de voir des horreurs au journal télévisé, il décide de faire un film coup-de-poing, en s’inspirant de Mondo Cane et en y intégrant une bonne dose de cynisme. Les quatre jeunes reporters américains sont ainsi montrés comme de véritables terroristes, perpétrant d’atroces crimes auprès de tribus amazoniennes.”

    Ce film à suscité des tonnes de polémiques et d’ailleurs l’ancienne version du site de cinétrange y faisait largement écho dans ses commentaires si ma mémoire est bonne. Je voudrai pas réactivé ces polémiques qui tournaient beaucoup en rond. La problématique essentielle peut être résumée comme suit: “Cannibal Holocaust”, sous prétexte de critiquer le reportage senstionnaliste refait exactement le même type de document qui tombe sous le coup de sa critique. Je n’ai jamais trouver que c’était un bon film. Et question réflexion sur la production d’image, ça ne pisse pas loin non plus. Mais il y toujours quelque chose qui me dérangait à chaque visionnage. Je pensais que mon sentiment venait des éléments suivants:
    – la connerie caricaturale et extrême des journalistes américains.
    – les Amérindiens réduits eux-aussi à une caricature bestiale
    – la violence gratuite à l’égard des animaux, elle aussi caricaturale et extrême. (Il faut bien tuer pour manger, ok. Mais il y a une grosse différence entr tuer pour assurer sa survie et massacrer pour satisfaire ses pulsions maladives de sadique, ce qui est de manière flagrante le cas ici.)

    Mais un élément d’interprétation sous-tendait mon sentiment. J’ignorais complétement la proximité de Deodato avec les réalisateurs Jacopetti et Prosperi, auteurs ouvertement xénophobes et fascistes de “Adieu Afrique” (1966) et “Les Négriers” (1971). Revisionner à cette lumière idéologique, mon sentiment devient plus claire. Canniabl Holocaust véhicule de manière flagrante ce thème cher à tous les partisans de l’extrême-droite: le plus profond pessimisme à l’égard des hommes et de leur époque.

  2. Hello,

    Tu avances de bons arguments, mais je pense que tu vas un peu loin. Que Jacopetti et Prosperi soient des colonialistes nostalgiques et condescendants assumés, effectivement. De là à en faire des fascistes xénophobes (pléonasme ?), il y a un pas que je ne suis pas sûr de franchir. Je ne sais pas si tu as vu le documentaire “Godfathers of Mondo” et/ou les interviews qui accompagnaient le coffret Mondo Cane sorti par Néo-Publishing sorti il y a quelques années… S’ils sont peu flatteurs voire carrément accablants sur certains points, ils permettent également de nuancer un peu le regard porté sur ces deux hommes.

    C’est un peu la même chose pour Ruggero Deodato : je suis (très) loin d’avoir vu toute sa filmographie, mais les quelques autres films que j’ai vu de lui (notamment Le Dernier Mond Cannibale, pour rester sur un sujet proche) ne me semblent pas forcément refléter la mentalité d’un auteur d’extrême droite.

    Merci pour tes interventions en tout cas. Elles enrichissent souvent judicieusement le contenu des articles.

  3. Je n’ai rien vu des références que tu cites. Mondo Cane était passé à l’étrange fest de Strasbourg il y quelques temps mais je l’avais loupé et je ne parviens pas à mettre la main dessus. Il m’intrigue mais d’après les images que j’en ai vu, je m’attend au même arrière-goût fétide au fond de la bouche…
    Je viens de voir Hobo with a Shotgun et je me suis dit que les trois premières minutes du film étaient beaucoup plus critiques (tout en étant un peu marrante et surtout surtout sans se prendre au sérieux) que Deodato (sur exactement le même sujet) sans pour autant faire un voyage en Amazonie tout en massacrant des animaux sur le passage et en avilissant encore un peu plus l’image de l’homme

  4. Il y a assez longtemps maintenant, dans la période où le monde du DVD n’était pas encore tout à fait né, j’ai lu un article (de Mad Movies je crois) qui racontait les déboires du réalisateur au moment de la sortie du film… apparemment il a eu des ennuis parce qu’il devait prouver que ses acteurs étaient encore vivants… seulement, certains d’entre eux étaient introuvables, et donc cela lui a causé des emmerdes… bref, cela avait attiré ma curiosité, et j’ai trouvé une VHS dans un vidéoclub de campagne… chouette ambiance ! avec une jaquette noir&blanc photocopiée… ^^ j’ai visionné la chose, avec une qualité d’image assez mauvaise, mais pour ce film on peut pas dire que ce soit très gênant, au contraire. Au final je suis quand même resté sur ma fin, parce que tout cela m’a donné l’impression que le réal se trouvait un prétexte pour livrer des scènes de massacres gratuits, et même pas vraiment choquantes. Je précise que j’ai changé et qu’aujourd’hui je trouve ces scènes quand même dégueues, et lâches.
    Quelques années après la découverte de cet Holocaust décevant, j’ai voulu (vite fait) découvrir quels étaient les films les plus “borderline” de l’histoire du cinéma… Cannibal Holocaust faisait partie de LA liste, mais il n’était pas vraiment considéré comme LE vrai film dégueu, provoc, borderline (…) comparé à certaines autres oeuvres obscures… Là on se dit que ça fout un peu les boules, quand même. Alors j’ai visionné d’autres films… certains sont même toujours interdits en Europe, aux USA et ailleurs. Alors c’est vrai, on trouve toujours pire que le pire… mais à quoi bon… Si le scénario, la réalisation, le jeu, la photo, le montage…ne sont pas contrôlés par un Coppola, le glauque pour le glauque devient vite saoulant. Apocalypse Now montre des vrais cadavres exposés, mais Apocalypse Now est un film immense… Alors on pardonne à Coppola d’avoir pété un plomb, parce que c’est un génie. Moi en tout cas je comprends et je pardonne. Il faut vraiment peser la qualité du produit final. Si le produit est une bombe, il ne faut pas condamner l’auteur parce qu’il est un peu fou et déviant. Mais si le produit est moyen ou mauvais, on a le droit de condamner et de ne pas pardonner.
    Je ne dirais pas que Cannibal Holocaust est un mauvais film. Mais après ce nouveau visionnage en HD je pense surtout que l’éditeur a fait n’importe quoi, et que ceux qui aiment vraiment ce film (je m’inquiète un peu pour eux quand même) devraient conserver leur DVD, où le lifting extrême n’était pas encore opéré. Le rendu du bluray (que je n’ai pas acheté heureusement !) est abusé, l’image est passée au réducteur de bruit, les couleurs n’ont plus rien à voir avec la photographie de l’époque… Le lifting de pubars infligé à l’édition bluray de Predator de McT a lancé une sorte de photoshop-mode (aujourd’hui l’imagerie de la pub se propage à grande échelle ! faîtes attention !), une mode que certains éditeurs combattent, heureusement. Quand je me suis fait Volte/Face en HD, ça m’a fait peur, très peur. Il n’y a plus du tout de grain, et c’est tellement net qu’on voit tous les ports de la peau des acteurs… C’est hooorriiiible. La technologie c’est bien, mais savoir s’en servir c’est bien aussi. Heureusement, tous les éditeurs ne se branlent pas sur le réducteur de bruit et les photoshop-retouches des pubs de magazine.

  5. “Si le produit est une bombe, il ne faut pas condamner l’auteur parce qu’il est un peu fou et déviant”

    Je pense qu’il faut absolument dissocier l’auteur et son oeuvre. Si le réalisateur est un meurtrier, il doit être puni. Si le film est bon on garde, sinon on jette. Mais je me vois pas du tout pardonner à un trou du cul qui aurait violer et massacrer pour le plaisir sous prétexte qu’il a fait un joli dessin.

  6. Et si c’est un meurtrier qui fait de la merde, qui sera le juge du bon goût, hein gros malin ?!

  7. “Je pense qu’il faut absolument dissocier l’auteur et son oeuvre.”
    > l’auteur DE son oeuvre. Et Andrei Tarkovski n’était pas d’accord avec ça…
    oh et puis zut, ton “gros malin” va manger parce qu’il est pas bien gros et pas très malin…

  8. Après une visite sut ton site, et sa phrase d’ouverture, je pense à peu près savoir à quoi tu veux faire référence. Si il s’agit bien de ça, il n’y pas de contradiction, tout dépend de quel point de vue on se place : soit le spectateur/juge soit le “créateur”. C’est sur que du point de vue du réalisateur, il n’a pas à se dissocier de son oeuvre, ce serait contre-productif je pense, au contraire c’est mieux pour lui d’être pleinement conscient de pourquoi il fait tel ou tel chose.
    Par contre, le spectateur, malgré son énorme savoir potentiel, n’aura jamais accès à tout les liens intime qui lient l’auteur et son oeuvre (et c’est peut être mieux comme ça aussi), et il ne doit pas condamner une oeuvre a cause de son auteur (par contre l’inverse peut éventuellement être de bon sens…)

  9. ah tu es tombé sur le vieux site de “Reign of Sick” ? C’est un film amateur qui date de 2006, mais c’était un projet porté par une vraie motivation.
    Désolé pour la correction en lettres majuscules, c’est pas mon style.
    Tarkovski était persuadé qu’un auteur ne pouvait pas vivre en contradiction avec son oeuvre, qu’elle et lui ne faisaient qu’un… Il parle de ça dans un documentaire présent dans le DVD du “Sacrifice” édité chez arte. C’est très touchant.
    Au sujet d’Apocalypse Now… Coppola est le premier à critiquer les méthodes employées à l’époque sur son tournage, il a pris beaucoup de recul depuis. S’il avait fait de la prison pour avoir utilisé des cadavres, cela aurait été normal. Il a eu de la chance. Mais c’est vrai que j’ai une certaine compassion pour un homme comme lui, qui a accouché d’un tel monstre cinématographique.
    Qui serait capable de réaliser Apocalypse Now sans péter les plombs ? C’est la question…
    Coppola a dit à l’époque que les grands films ont la même couleur que les grands vins… Sacrée métaphore qui indique tout de suite qu’un tel tournage ressemble plus à une guerre qu’à une partie de pétanque.
    Il n’y a qu’un mec comme Herzog qui serait capable de garder toute sa tête, et encore, lui aussi était à la limite de péter les plombs sur Fitzcarraldo… Il était à deux doigts de tuer Klaus Kinski (il voulait le brûler vif)…
    Les grands films comme Fitzcarraldo ou Apocalypse Now sont des expériences humaines extrêmes dans lesquelles les lois ont tendance à disparaitre. En tout cas il faut être un sacré combattant pour mener ces aventures à leur terme, il n’y a pas 36 films qui ressemblent à ceux-là. Je pense à “Sorcerer” de Friedkin là tout de suite.
    D’un point de vue technique ou artistique, Cannibal Holocaust n’arrive pas à la cheville de ces oeuvres… C’est pourquoi les vraies scènes violentes qui s’y trouvent me paraissent vraiment à côté de la plaque. Il est clair que c’est du gratuit de chez gratuit. Mais bon je conseille quand même encore à ceux qui aiment ce film (!!!) de ne pas acheter ce bluray, le DVD est bien suffisant dans son contenu, et surtout beaucoup plus fidèle à la photo d’origine.

  10. Moi j’ai vu Cannibal holocaust en vhs d’occasion (version française et parasites compris, remarques à l’attention des jeunes… que nous redeviendrons tous dans quelques années quand on aura oublié ce fameux support). Voila c’était juste pour l’anecdote. Je l’ai regardé deux ou trois fois, mais maintenant y’en a marre.
    Pour Apocalypse Now, c’est peut être le premier film qui m’a fait comprendre qu’on pouvait faire un film pour parler d’autre chose que de mitraillage intensif et d’explosionite aiguë. Je connais pas trop les détails de la réalisation, j’ai assez peu d’affinités avec les discours tenu par les “gros” (Coppola, Lucas, Spielberg), Quand ils sont interviewés ils ont un discours plein d’emphase, et j’ai vraiment l’impression que eux-mêmes n’ont jamais du pensé ce qu’ils sont en train de raconter àl ‘époque où ils devaient s’imposer. En tout cas, je crois pas que Coppola ait tuer des mecs pour avoir des cadavres non ? Il me semble (mais je suis pas sur, quelqu’un rectifiera) que c’est plutôt des cadavres qui trainaient dans la forêt et dont il s’est servi. C’est quand même pas la même chose. Un réalisateur doit savoir composé avec les éléments de décors dont il dispose…

  11. Je ne sais pas comment Coppola a récupéré les cadavres, mais je pense pas que son équipe ait tué des gens pour le film, ça c’est sûr. Et puis pour Cannibal H., t’as raison y’en a marre.
    Coppola n’est pas un type très au courant de ce qui se fait en dehors des USA, c’est le principal reproche qu’on pourrait lui faire. Un jour, Emir Kusturica l’a abordé dans un aéroport, et le Francis ne savait pas qui il était… faut le faire quand même ^^

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