Prometheus

Avec le Dark Knight rises de Christopher Nolan, le pré-quel de la saga Alien régenté par Ridley Scott, sous l’énigmatique nom Prometheus, était sans doute l’un des blockbusters fantastiques les plus fiévreusement attendus sur l’année 2012.

Point d’encrage (longtemps fantasmé par les fans de SF de la terre entière) d’une longue arlésienne débutée il y a presque dix ans, après l’annonce par le studio fox de la mise en orbite d’un cinquième (et ultime) volet des effroyables aventures sidérales du lieutenant Ripley (entre temps, entaché, il est vrai, par deux spin-off maladroits, venu culbuter la franchise Predator).

Repoussé, annulé, puis reprogrammé après avoir été repensé : exit Sigourney, et la déferlante d’alien warriors sur la planète bleue; le projet, remis entre les mains du géniteur de la saga, était de revenir aux sources par un chemin détourné, mais sans clairement dire où il comptait marcher.

Au terme d’une longue campagne promotionnelle savamment orchestrée ( une sneak preview chiche en révélations, des interviews de cast & crew bouches cousues autour d’un scénario tenu secret, des teasers laconiques, mais dévoilant des images d’une beauté renversante avec, comme point d’orgue, une station fantôme dans le métro parisien, révélant quelques éléments de décors), le film arrive enfin, lâché à la presse deux jours seulement avant sa sortie officielle en salle.

Et la question posée aux privilégiés brûle alors toutes les lèvres : Prometheus est-il le monument de cinéma d’anticipation annoncé (ou en tout cas, promus comme tel) ? …

Et bien, pour répondre à cette interrogation piège, aussi ironique que cela puisse paraitre, il faudra pour une fois s’en remettre au slogan d’accroche de l’affiche (sommaire et réducteur, comme toujours, mais ici lourd de sens) intronisant l’entreprise ainsi : ‘Par le réalisateur d’Alien et de Gladiator‘.

Car avant même d’appréhender une œuvre de science-fiction qui va forcément viser la démesure (l’objectif affiché dans ce créneau, étant désormais de talonner l’Avatar de James Cameron, au moins sur le plan esthétique), il convient de bien garder à l’esprit que le Scott qui pilote aujourd’hui le vaisseau, n’est plus le Ridley de 1979, artisan-cinéaste en devenir, qui
cherchait avant tout à développer avec réalisme un huis-clos spatial suffocant, autour d’un petit scénario d’horreur diablement écrit par Dan O’ Bannon.

Et tout l’enjeu de ce Prometheus est bien résumé là : de savoir si mister Scott, désormais habitué aux grandes enjambées hollywoodiennes, peut à nouveau remarcher sans trébucher dans les pas de sir Ridley. Car, entre temps, le cinéma du réalisateur britannique s’est en effet densifié (en même temps qu’il s’est diversifié), en se dotant d’une dimension épique et d’une ampleur visuelle qui sont aujourd’hui devenues sa marque de fabrique (et ont redéfini son style), aussi bien sur des fresques de grandes envergures ( GladiatorKingdom of Heaven) que sur des projets moins grand public.

Aussi, revenir à la matrice de la série B archétypale qu’il a initié, par un angle d’attaque radicalement différent ( on notera que l’écueil du titre ‘Alien : origins’ a été soigneusement évité) suppose un grand écart artistique périlleux; celui de satisfaire les conquis de la première heure (amoureux d’une SF anxiogène et rythmée, qui auront largement contribué à la notoriété du mythe) tout en s’émancipant de la saga originelle, en cherchant à renouveler et élever le propos (vers une sphère plus cérébrale).

Soignons honnêtes et objectifs, le pari à ce niveau est loupé.

Parce qu’il soulève plus de questionnements qu’il n’apporte véritablement d’éclairage, parce qu’il prend le parti de développer prioritairement son environnement au détriment de ses personnages, parce qu’il se cantonne à un seul niveau de lecture là où certains espéraient une œuvre tentaculaire, riche en réflexions, en révélations et en rebondissements, mais surtout parce qu’il n’est pas un film franchement tranché, Prometheus peut légitimement être perçu comme une déception.

En faisant le choix de contenter un peu tout le monde, sans se risquer à briser les aspirations, Ridley Scott fait celui de ne combler personne. Certes, l’attente était sans doute un peu trop grande, notamment à cause du fait que des films comme Matrix, ou plus récemment Inception, avaient prouvé (par des partis-pris audacieux) qu’il était possible de réconcilier complexité de fond, actionner ludique et opulence visuelle.

Mais le constat est là : Prometheus lui, se complet dans une approche lascive et esthétisante de son intrigue, en lui sacrifiant toute la tension générale qu’il voudrait pourtant retrouver en citant constamment Alien comme sa madeleine de Proust .

Le film se pare pourtant de quelques séquences électrisantes, rudement filmées : on se souviendra longtemps de la scène d’avortement, réalisée avec une hystérie jouissive et faisant écho au tournant choc d’Alien, celui où le chest-buster perforait le thorax de John Hurt ; de même pour la première rencontre avec les spécimens embryonnaires de face-huggers qui, bien
qu’attendue, se regarde la gorge nouée et les poings serrés.

Or, si ce type de scènes avaient une fonction clés dans l’entreprise d’origine (pensées comme les paliers progressifs d’un film de frousse structuré en crescendo), elles apparaissent bien plus ici comme des actions isolées, voir en décalage (par leur simple aspect référentiel au film fondateur) dans un métrage qui se voudrait résolument plus chimérique et axé sur la genèse de l’humanité (un point de chute qu’il atteindra au final sans réel éclat).

Ainsi, passée une double introduction surprenante (et même captivante), on comprend vite que ce Prometheus, qui se fourvoie volontairement dans de longues, très longues séquences d’exposition, sera bien plus une mutation du concept mère, qu’une nouvelle donne.

Car en gros, ce qui nous est donné à voir est la même histoire qu’il y a trente ans, sur des enjeux différents, avec un style plus grandiloquent (la dramaturgie de certains dialogues renvoient directement à Gladiator) et une narration uniquement articulée autour des zones d’ombre laissées en jachère dans le premier Alien ( la cause du crash du vaisseau arqué, l’identité
du mystérieux “space jockey”, et bien sûr les origines de l’alien queen).

Réduire le film à cette simple déconvenue pourrait laisser croire qu’il ne s’agit là que d’un remake déguisé (en gimmick) vain et prétentieux, dopé aux anabolisants digitaux. Ce serait être cruellement injuste et surtout faire bien peu cas des sérieuses qualités qui illuminent pourtant ce grand film futuriste, certes frustrant. Car il faut l’avouer, on n’a jamais vu un film de SF aussi beau !

D’une 3D magistralement immersive, aux décors somptueux, en passant par un arsenal d’éléments constitutifs d’un univers totalement visionnaire (le look des extra terrestres, la faune repensée, les scaphandres et toute la machinerie, relèvent du rêve éveillé de tout gosse nourri aux romans de K. Dick), Prometheus rappelle, dans ses fulgurances visuelles, qu’il est aussi l’œuvre d’un auteur; de cette race d’auteurs (à laquelle Moebius ou Jodorowsky pourraient être associés), dont la force de l’imagerie suffit parfois à donner une certaine aura à l’ensemble.

Les envolées de caméra gracieuses dans la coque du prometheus, ou la fluidité des scènes charnières, sublimes dans leur violence graphique (parfois même lovecraftiennes), rappellent à nos mémoires l’ambitieuse mise en scène du chef
d’oeuvre avant-gardiste de Scott, Blade-Runner, qui s’avère finalement être l’autre modèle constitutif du film (sur un plan formel).

On se rappelle encore que c’est justement de ses ambiances feutrées et de la plastique sur-esthétisante de son univers urbain que surgissaient véritablement les figures de Deckard et Rachel.

Dans une logique inversée, il en va de même du cadre de Prometheus, dominé par un duo d’acteur, surpassant de loin le reste du casting (Fassbender, brillant sous les traits d’un droïde sardonique, et Noomie Rapace, étonnement énergique en digne devancière de Ripley), et qui gagne en beauté plastique et en sensibilité artistique, ce qu’il perd assurément en cadence, en réalisme et en peur primale (bref, tous les éléments propres à un segment de la franchise Alien).

Aussi, difficile de sanctionner fermement ou de porter au pinacle une œuvre résolument bancale, qui ne s’assume pas tout à fait mais ne se renie pas complètement non plus, et qui tire même de ses défauts manifestes, son épingle du jeu.

Seulement pouvons-nous déplorer que Ridley Scott ne se soit pas tout simplement émancipé de la filiation originelle, pour nous livrer un vrai film profond sur l’origine de l’humanité, ou qu’au contraire il ne se soit pas laissé complètement happer par le cadre de la franchise, pour la sublimer dans un final dantesque et sans appel.

Un film reste à faire … Ou deux … Ou pas !

 

 

10 commentaires sur “Prometheus”
  1. Je viens de le voir. Un peu décevant. Plastiquement sublime mais totalement désincarné et vraiment trop proche du premier Alien comme si Sott avait voulu en faire un remake déguisé.

  2. Bel article, merci. Samedi sera mon jour de découverte, avant de lâcher mon comm !

  3. Thanx pour le compliment Eric.
    Curieux d’avoir l’avis des fans d’Alien sur le film; j’attends un max de com’.
    Cela ne m’étonnerait pas que ce Prometheus ne soit en fait que le premier volet d’une nouvelle franchise.
    Ce qui en ferait un film d’exposition (et de transition), et pourrait donc être donné à (re)voir sous un nouvel angle, si c’était le cas.

  4. Globalement, j’ai bien aimé. Contrairement aux Michael Bay et autres Emmerich, voilà un blockbuster US qui raconte une histoire. Je ne le trouve pas désincarné : les perso de Noomi Rapace et Michael Fassbender sont intéressants. L’univers est aussi très riche, visuellement. Maintenant c’est sûr que ç’aurait pu être mieux. Les perso secondaires sont bien bâclés.

    SPOILERS !

    J’avais pas pigé la scène d’introduction. Après recherche sur le net, il s’agit de la création de l’homme par les ingénieurs. Ca devient assez évident.

    Ya pas mal de trucs un peu nazes :
    – le géologue qui se paume comme un noob alors que c’est lui qui organise la topographie des lieux. Bravo !
    – Shaw qui fait deux roulades pour éviter un vaisseau qui fait bien un kilomètre d’envergure. Bravo !
    – Shaw qui court après sa chirurgie d’urgence. Bravo !
    – le discours des “ouvriers” du vaisseau, qui se sacrifient dans l’allégresse, alors que je suis pas sûr qu’ils aient toutes les clés en main pour être à ce point motivés.
    – les effets du “virus” sont plus ou moins variés. Je n’ai pas compris s’il y avait une cohérence. Le géologue notamment, qui revient en tant que super-zombie pour attaquer tout le monde.
    – le film ne fait pas vraiment peur. Dans tous les autres, il y avait quand même cette idée de menace latente.
    – ils trouvent le site tout de suite, au bout de 5 mn d’exploration de la planète. Bravo, top crédibilité !
    – pourquoi ils garent leur vaisseau si loin ? Certains disent que sans cela, ils auraient pas pu mettre de tempête de sable dans le script et puis il se serait cassé la gueule sur l’autre vaisseau à la fin 🙂
    – comme arme de destruction massive, on a quand même vu mieux que ces organismes difficilement contrôlables.

    Des questions que je n’ai pas élucidées :

    – de mémoire, dans Alien 1, le pilote du vaisseau extra-terrestre a un trou dans la cage thoracique. Là, non ?
    – de même, il me semblait que le pilote était, genre, dix fois plus grand qu’un humain. Là, ce serait plutôt 1,5 fois…
    – pourquoi David infecte-t-il sciemment le scientifique ? Surtout qu’après avoir commis son méfait, il ne s’en préoccupe plus du tout.
    – à quoi servent les peintures rupestres ? que représentent-elles ?

  5. Voila le syndrome Star Wars, ou comment flinguer une saga.
    Mais au contraire de SW il est techniquement beau et bien joué.

  6. De toute beauté, oui. Du HR Giger partout, encore ! o/

    J’ai ouï-dire effectivement qu’il y aurait deux autres films par la suite…

    Je suis une grande fan de la saga Alien et j’ai beaucoup aimé Prometheus, malgré que ce soit assez frustrant de se retrouver au final avec plus de questions que de réponses…

    SPOILERS !

    A Jérôme :
    Le personnage de David est en effet à la fois intéressant et énigmatique… c’est Weyland qui a dû lui demander d’infecter le scientifique, non ? pour expérimenter ce que les ingénieurs avaient prévu de faire à l’humanité ?

    Malgré les similitudes, Alien le 8e passager, et Prometheus, ne se passent pas sur la même planète. Dans Prometheus c’est LV223, une base militaire. Dans Alien 1 c’est LV426, une planète où s’est crashé un pilote avec sa cargaison.
    Le pilote n’est donc pas le même…
    (Il me semble bien par contre que le pilote dans Prometheus se retrouve avec un gros trou lui aussi dans le thorax ??)

    En tout cas le film Prometheus nous renseigne sur l’origine des xenomorphes, et la nature de leurs créateurs, plutôt que sur ce qui est arrivé exactement au pilote de Alien 1.
    J’avais lu une interview de Ridley Scott qui racontait que le pilote de Alien 1 n’était pas en partance pour la Terre, lui… J’espère qu’on en saura plus par la suite.

  7. Que rajouter à tout cela ?! le moins qu’on puisse dire c’est que Scott n’est pas très soutenu avec ce Prometheus très… bancal. Il y a bien quelques scènes qui m’ont parlé, mais elles se comptent sur les doigts d’une main. On est méchamment déçus avec ma nana. On se refait les trois premiers Alien (en versions cinéma) !

  8. Le film paraitrait peut-être moins bancal, s’il était complet.
    Ce que je trouve pour ma part décevant, au vu des quelques scènes coupées sur lesquelles je suis tombée sur le net, c’est que ce film a été bien charcuté… et vidé ainsi d’une partie de sa substance et de son sens.
    Certains passages sont presque incompréhensibles sans la scène entière! L’ingénieur qui s’énerve au réveil par exemple…

    Et puis certains personnages perdent en épaisseur (Vickers a par exemple une scène importante avec son père qui a été coupée).
    D’autres scènes ont été refaites, alors que l’idée initiale était bien meilleure (ex de la transformation du géologue).

    Il y aurait apparemment environ 40 minutes de scènes coupées et alternatives….

  9. Oui j’imagine qu’il y a de la charcuterie dans l’air… Mais je reste sans voix devant les déclarations de Scott… Il dit qu’il avait songé à insérer une vingtaine de minutes en plus pour la distribution blu-ray, mais qu’en fin de compte il se fixe sur la version cinéma. Certains disent qu’il a peur de voir son film subir plusieurs montages comme c’est arrivé pour Blade Runner (au moins 5 montages), Legend (3), Kingdom of Heaven (2), etc. hum, ça me semble assez étrange tout ça. Pourquoi aurait-il peur de ces relectures à son âge et après toutes ces aventures cinématographiques douloureuses ? Il devrait être habitué maintenant… Il doit savoir que de toute façon le plus important est de pouvoir sortir une version intégrale… Après peu importe les multi-versions, malheureusement ces charcutages font partie du business depuis très longtemps… Mais s’il pense vraiment que la version actuelle est satisfaisante, alors je n’arrive pas à le suivre.

  10. Vu ce soir. Face aux dernières daubes regardés d’un oeil torve, Prom est un chef d’oeuvre. Mais comme beaucoup d’entre nous, j’ai du me creuser les méninges pour saisir les tortuosité du scenar, pris entre ce que je connaissais de la mythologue d’Alien, des scènes clés du 1er, et de l’histoire autour de la création des humains. Ca faisait beaucoup parfois, pour un même film. Un film au démarrage mou et parfois inquiétant sur les stéréotypies du réalisateur, très prononcées; au point que d’enchainer avec le Alien 1 risquerait de voir pointer l’agacement. La deuxième partie est plus passionnante, malgré certaines lourdeurs (voir commentaires de Jérome auxquels je rajouterais les scaphandres parfaitement lisses et propres malgré une sortie de “tempête de silice” très bruyante). En particulier une montée en pression efficace, une violence graphique heureuse et en cohérence avec la franchise. Les acteurs ne sortent pas d’American Pie et l’actrice principale au physique justement quelconque, s’en sort bien. Honnêtement, et c’est souvent un bon baromètre en ce qui me concerne, je serais partant pour un numéro 2, rien que pour combler les trous (j’aurais voulu voir l’ingé en chef remonter péniblement sur son vaisseau, la cage thoracique explosée, et mourant sans pouvoir démarrer, mais apparemment, et même si la chute du U boat est insistante pour qu’il prenne la position observée dans Alien 1, ce serait pas celui là…) Bref, c’est pas encore clair pour moi.

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