Feffs 2016 : Maestro Dario

La master class est devenu un rendez-vous privilégié pendant le FEFFS, avec à l’honneur cette année : Dario Argento. L’entretien est animé par Jean-François Rauger (directeur de la programmation de la Cinémathèque Française) qui excelle dans l’exercice. En quelques questions, il a su retracer une carrière prolifique faite de hauts et de bas.

Dans un premier temps, on évoque la vie de Dario Argento avant sa carrière de réalisateur. Son père était producteur de cinéma et sa mère photographe. Mais pour lui, ce sont les films qu’il a vus lors de son enfance qui l’ont fortement influencé, notamment la série des Universal Monsters. Ces films vont lui permettre de mettre au point un imaginaire qu’il retranscrira à travers ses réalisations.

Il a mis les pieds dans le milieu du cinéma à travers son travail de critique qu’il a exercé dans le quotidien romain Paese Sera. Plusieurs années après, il devient scénariste et sera à l’origine avec Bertolucci d’Il était une fois dans l’Ouest.

Sa première réalisation, L’oiseau au plumage de cristal, est essentielle dans sa carrière pour plusieurs raisons. Mettre en scène un giallo n’était pas une volonté au départ mais le genre devenu à la mode a influencé considérablement le reste de sa filmographie. La scène du meurtre au début du film est primordiale pour comprendre son œuvre de cinéma, que l’on peut résumer en quelques mots : regarder n’est pas voir. De manière évidente, Argento a été influencé par Antonioni (Blow up) et reprendra ce procédé dans Profondo rosso. En ce qui concerne la musique, il a travaillé avec Ennio Morricone pour ses trois premiers films (la trilogie animale – les animaux étaient à la mode dans les gialli à l’époque) et changera radicalement de genre puisqu’il sera à la recherche d’un groupe de musique à la mode au milieu des années 1970. Il a failli travailler avec Pink Floyd, groupe noyé dans de nombreux projets à cette époque. Son choix se portera sur le groupe Goblin avec lequel il aura une longue collaboration.

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Un thème essentiel est abordé au cours de cette leçon de cinéma : la mise en scène. Impossible de ne pas parler de film d’auteur lorsque l’on évoque son nom. Argento fait apparaître des éléments biographiques dans ses films. Ses personnages principaux peuvent être musicien, écrivain, danseur. Cela correspond à une réflexion sur la création en tant qu’artiste qui apparaît tout au long de sa filmographie.

Il place ses influences à travers ses oeuvres : Suspiria, connu pour être le dernier film en Technicolor, est un hommage à ce procédé largement utilisé dans le cinéma hollywoodien dans les années 1930 et 1940. Il s’inspire aussi des  dessins-animés de Walt Disney, et des contes plus généralement.

Inferno a une place particulière dans sa filmographie. Le film répond à une logique poétique que les producteurs et les majors comme la 20th Century Fox ont eu du mal à comprendre. Le film est une suite d’associations d’idées. En songeant à la scène dans Central Park et à la mort de l’antiquaire qui veut noyer des chats, cette logique poétique apparaît plus claire.

A partir de Phenomena en 1985, le maestro s’attache à la psyché féminine et poursuit ses références aux contes. Deux principales influences émergent dans cette œuvre des eighties : l’expressionnisme allemand (la scène de somnambulisme fait beaucoup penser au Nosferatu de Murnau) et le cinéma italien des années 1910, période peu connue  où les divas italiennes sont au cœur des films, et peut-être à l’origine des giallli. En effet, le giallo, comme le répète Jean-François Rauger (il l’évoque déjà dans un bonus du Venin de la peur), c’est une femme qui a peur. Elle a peur du désir et désire ce qui l’effraie.

Autre élément du thème central de cette leçon de cinéma : le défi technique. Difficile de choisir une séquence tant le choix est vaste dans l’œuvre d’Argento. Tout le monde a en tête le plan à la Louma dans Ténèbres où l’on voit le meurtre d’une femme avant une longue description de l’espace dans lequel elle vit. Jean-François Rauger a fait le choix de choisir le début du Syndrome de Stendhal. Balade au cœur de Florence, plans dans le musée des Offices et un lien évident se construit avec le début de cet entretien au fur et à mesure de cet extrait : Asia Argento plonge dans l’image à cause de son syndrome et parvient à voir concrètement ce que regarde le simple mortel dans une œuvre.

Cet extrait conclut l’entretien et révèle à nouveau toute l’ambition esthétique de cet auteur qui a tenté de mêler l’art noble (la peinture, la sculpture, l’écriture, la musique…) à l’art populaire (le cinéma de genre) tout au long de sa filmographie dont la deuxième partie semble moins convaincante (à réévaluer ?).

Après cet entretien passionnant, place au cinéma : Profondo rosso, œuvre majeure du réalisateur, restaurée en 2014, est proposé à l’assemblée entièrement acquise au travail d’Argento.

Inutile de s’attarder trop longuement sur ce film car les principaux éléments de la mise en scène ont été évoqués ci-dessus. La copie proposée dans sa version restaurée par la CSC (Cineteca Nazionale de Rome) sous la supervision de Luciano Tovoli, est tout simplement magnifique. L’ambiance froide de la rue, un peu avant la scène du meurtre de Macha Méril, médium intrigante, est très bien rendue. L’influence d’Hopper est vraiment perceptible et voir cette scène sur grand écran permet de comprendre la réflexion esthétique d’Argento par rapport au personnage de David Hemmings. Il est bien seul dans cette enquête et pour cause : seul à avoir vu l’assassin, il doit mieux regarder cette image mentale afin de découvrir la vérité. Les scènes d’intérieur dans la maison avant le meurtre et dans le manoir mettent en avant le clair-obscur (ce que ne faisait pas la version DVD).

Un autre plaisir coupable de cette séance a été de redécouvrir la musique de Goblin qui accompagne l’enquête du héros musicien. Cette musique envoûte et illustre parfaitement les moments rituels du meurtrier.

Le film voit sa durée augmenter de 20 minutes pour passer d’1 h 40 à 2 h et c’est peut-être là où le bât blesse. Des longueurs apparaissent alors que la version DVD (la version internationale de 1977) ne laissait pas de répit au spectateur dans cette enquête. Ces longueurs sont visibles dans les recherches faites au manoir et les échanges avec Daria Nicolodi.

Cette relecture de Blow up reste une des oeuvres majeures produites en Europe dans les années 1970 et c’est un vrai privilège de l’avoir vu dans une salle de cinéma après l’entretien de l’un des réalisateurs de genre les plus importants du XXème siècle.

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