Entrevue avec David Scherer – Blackaria et Last Caress

Troisième partie : Last Caress

On va maintenant passer à Last Caress. Peux-tu nous décrire ton travail ?

Le projet s’est tourné en mai 2010. Là, j’avais bien plus de budget. Last Caress est un mélange de giallo et de slasher. Il y a pas mal d’effets sanglants : un égorgement au câble avec une fausse gorge en silicone, une machette a travers le crâne, un crochet enfoncé dans le cou, une tête en train de brûler, enfin, une tête mécanique… Une carcasse enflammée et des blessures à gogo.

Tu as refait un corps humain en entier ?

C’était un buste, pour raison de place et de préparation. Nous avons fait un moulage de l’actrice en train de hurler et ensuite, nous avons reproduit une tête enflammée en position hurlante avec des câbles pour la faire bouger.

De l’animatronique ?

Juste un effet mécanique. En fait, c’était un système simple. La tête était vraiment en train de brûler. Nous avons fait aussi une paire de jambes aussi qui remuaient dans les flammes. De plus, il y a un buste avec le thorax ouvert et le cœur palpitant. Un clin d’œil à Suspiria.

C’est La Baie sanglante 2 !

Presque (rires) !

Nous n’avions pas encore cité ce classique-là, un lien manquant entre le giallo et le slasher que tu dois beaucoup apprécier, si je ne me trompes. Tu l’as vu tôt ? En 2011, ça doit avoir peu d’impact depuis tant de copies…

Je l’ai vu assez tôt, oui. Heureusement.

Pour la machette, c’est un effet voulu proche du style de Tom Savini ?

C’est exactement ça ! C’est une machette truquée. On a essayé de faire le plus de choses sur les acteurs, devant la caméra, pour un maximum de réalisme.

L’iconique gant pointu (semble-t-il inspiré par La Morte accarezza a mezzanotte de Luciano Ercoli) occasionne-t-il de beaux dégâts également ?

Dans le visage d’une victime, entre autres, et plutôt méchamment.

Comment est-ce réalisé ? Avec un gant solide ?

Le gant a été fabriqué par le décorateur du film, l’excellent Thomas Laporte, avec qui j’ai déjà fait plusieurs projets. On tourne à l’envers avec le gant sans pointes pour donner l’impression que le tueur frappe le visage. Thomas a conçu un gant avec des pointes qui pouvaient se détacher. Ensuite, je prenais le relais pour la partie gore avec un jeu de prothèses et un maquillage progressif sur l’actrice Aurélie Godefroy. Pour le dernier coup de poing, j’ai utilisé un liquide épais dans les plaies de façon à ce que la sortie du gant provoque des filets de sang du plus bel effet. À l’italienne, quoi.

Les poses étaient longues ?

Non, ça allait. Il fallait aller vite, le rythme de tournage était assez speed, donc il ne fallait pas trainer pour les poses de prothèses. Pour un visage bardé de coupures, j’ai utilisé le principe des transferts. C’est une technique de pose très rapide. Tu colles les coupures comme des décalcomanies et ça prenait a peine deux minutes par pièce. Les réalisateurs filmaient un plan maquillage puis un autre plan avec de nouvelles coupures et ainsi de suite.

Vu la masse de travail, tu travaillais en équipe ?

J’avais un type super avec moi sur le tournage, Léo Leroyer, qui gérait les effets de plateau, les explosifs, les effets de flammes (pour une scène de bûcher). C’est un vrai MacGyver ! Il était toujours là pour donner un coup de main pour les scènes SFX et ça fait gagner un temps précieux.

Vas-tu monter une équipe fixe pour ta société dans le futur si les projets deviennent aussi importants que Last Caress ?

Absolument. J’ai la chance de travailler avec des très bons maquilleurs comme Alexis Hervieu et Cedric Amann quand les projets et les budgets le permettent. J’espère tomber sur d’autres projets de cet acabit pour que l’on puisse continuer à évoluer !

As-tu utilisé un décor tronqué comme dans Alien avec John Hurt et Ian Holm ? Dans le premier cas quand John Hurt est sous une table pour la scène du chest-buster et dans le second cas pour la tête parlante de Ash. Ce procédé a été utilisé sur le plateau ?

Un décor truqué ? J’ai utilisé cette technique sur d’autres films mais pas sur Last Caress. Comme je le disais, on a quasi effectué tous les effets directement sur les acteurs pour les plans larges et quelques inserts. On a aussi des fausses têtes. Pour l’égorgement avec le câble tranchant, par exemple, on a fait tous les inserts sur un cou en silicone qui s’ouvrait progressivement. J’avais mis plusieurs couches de silicone pour que ça cède au fur et à mesure. Quand le câble rentre, le sang commence a couler et petit à petit, ça s’enfonce encore plus, puis il y a un geyser. On a souvent atteint le plafond avec le faux sang dans plusieurs séquences à cause de la pompe. Pour la séquence de la machette, j’ai vu l’expression de François quand le sang a jailli de la machette (rires). Il y en avait partout.

Les séquences à effets ont été tournées au même endroit ?

Au Mas de Gentil, dans une très grande maison, là où habite Anna Naigeon, la chef opératrice du film.

Elle était dans un sale état à la fin ? Je parle de la maison et non de la chef opératrice, bien sûr, je ne me permettrais pas.

Oui (rires). Mais la chef op’ aussi vu qu’elle finit avec un crochet dans la gorge.

C’est un dur métier… Quel est l’effet qui fut le plus dur à produire ?

On a réussi a tous les obtenir parce qu’ils avaient été bien étudiés avant et que François sait adapter sa mise en scène. Du coup, on a pas eu de mauvaises surprises. La tête carbonisée, malgré tout, était quand même compliquée à mettre en œuvre. Il fallait beaucoup de monde pour la faire bouger. En plus des effets mécaniques, Léo avait mis au point un système de flammes contrôlables. Il y avait pas mal de logistique mais c’était sympa à tourner.

Le public peut-il être encore choqué par le « splatter » (*) de nos jours ? On a vu tellement d’effets.

Je pense que tout dépends de la mise en images et du contexte. S’il s’agit d’une approche réaliste ou plus esthétique…

Tu vas te consacrer uniquement aux long-métrages désormais ?

À voir selon les projets.

Quels sont tes projets (en préservant les secrets de production, bien sûr) ?

Un projet de long-métrage au Canada très “cronenbergien”. Je ne peux pas encore trop en parler. Il y a aussi d’autres projets en France et tres prochainement un en Suisse.

C’est d’autant plus amusant que David Cronenberg a commencé sa carrière au Canada. Tu vas aller vers des effets à la Videodrome ?

Plutôt des effets de décomposition. Il y aura là aussi un mélange d’effets mécaniques et d’effets de maquillages. Tout sera effectué en direct. Nous allons encore travailler à l’ancienne.

Quelle est ton étape suivante dans ta progression dans les effets de maquillage ? Serais-tu tenté par la conception de monstres, un peu comme le parcours de Savini qui s’est lassé des effets « splatter » et qui s’est amusé sur Creepshow à créer le monstre de la caisse ?

J’aimerais beaucoup ! Encore une fois, tout dépends des projets, de ce qui va venir. Le film de monstres est un genre trop rare en France.

Puisque qu’on parle de monstres, je sais que tu as vu Proie d’Antoine Blossier au Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg. Tu as apprécié le film ?

Carrément ! Le film est vraiment intéressant et l’approche des personnages est plutôt bien vue, je trouve. C’était une bonne surprise ce film. Les rôles sont biens, il y a une bonne tension et les créatures sont très efficaces ! Franchement, arriver à ce résultat pour un premier film , je dis chapeau !

Comment vois-tu les effets spéciaux numériques ? C’est une sorte d’ennemi ou ça ne te dérange pas pour compléter des effets de plateaux, selon toi ?

Je suis pour quand ça complète les effets de plateau. Là, c’est intéressant. J’ai pour ma part travaillé sur des films où on mélangeait effets de maquillages et trucages numériques et ça apporte un bon plus, je trouve. Dans Mon Père de Patrice Gablin (ndlr : un court-métrage diffusé au FEFFS de 2010 et apprécié par Jérôme) ou Zachry de Guillaume Hanoun, ça permettait d’obtenir des choses que nous ne pouvions pas faire directement avec les SFX traditionnels. Disons que c’est faisable mais ça aurait couté bien trop cher. Les effets numériques ont servis à renforcer l’impact des scènes. Donc, j’apprécie cette combinaison.

Merci pour tes réponses.

Je t’en prie. Merci à toi.

Propos recueillis par Eric Udéka.

(*) Petites précisions concernant le terme anglais “splatter” ou “éclaboussure”.

L’expression “splatter cinema” a été inventée par le réalisateur George Andrew Romero pour désigner son Dawn of the Dead / Zombie en 1978. Son fidèle complice, le maquilleur Tom Savini, en fut le représentant le plus renommé, non seulement pour les films de Romero et l’électrochoc Maniac mais aussi sur son travail sur plusieurs slasher (genre plus que pléthorique au début des années 80) et en particulier sur le premier Vendredi 13.

Le terme est communément associé au cinéma gore, mais suivant les définitions, il y aurait une légère différence qui réside au sein même de son origine, le film Zombie. Le slasher est le genre “splatter” par excellence, avec des meurtres à l’arme blanche très graphiques dans des plans courts et choc, puisque seul compte l’impact physique du plan provocateur, tandis que le gore s’attarderait longuement sur l’image choc en très gros plan, voir zoomerait avec insistance sur l’effet spécial. Dans le film Zombie, le plan splatter est en majorité de courte durée et n’est que rarement illustré en très gros plan mais plutôt en plans moyens, américains ou rapprochés.

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