Les chroniques de Court-Métrange

Rendez-vous régulier depuis 6 ans, le festival de courts-métrages de Rennes fait un travail difficile : trouver du film qui croustille, des auteurs bizarres et méconnus. Je vous propose de passer en revue quelques films de la sélection “insolite et fantastique”.

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Dix de Bif (France)
Il y est question d’un homme, victime d’un trouble obsessionnel compulsif. Il ne peut que marcher sur certaines dalles au sol, ou sinon… Le film est un exercice de style réussi qui montre que l’image de synthèse peut très bien imiter la matière organique. Film gore très propre car découpé au laser, Dix dissecte son personnage de mille et une façons, laissant apparaître les rouages du corps humain sous un angle qui rappelle les expositions de cadavres présentés en coupe. Basé presqu’entièrement sur les effets spéciaux, Dix étonne par son traitement graphique, assez réaliste pour que l’on se demande ce qui est vrai ou non dans l’image. Le film a gagné le prix du public de la sélection insolite.

Cotton Candy d’Aritz Moreno
Le film va plutôt loin dans l’absurde, au point de se demander s’il existe une explication rationnelle à tout cela. Même en étant dans la tête du réalisateur, on se demande encore comment celle-ci fonctionne.
Pourtant, le film commence comme un récit de SF. Nous sommes dans une sorte de lieu mi-high tech, mi-industriel. Un homme s’éveille et quand il tente d’enfiler son pull un peu trop serré : c’est le drame. En effet, les bras et la tête de l’homme restent coincés dans le pull, si bien qu’il n’arrive plus du tout à le retirer.

Embryo est un film slovène et il faut dire qu’on en voit peu, des films slovènes. Visuellement il est très convaincant. Le récit se déroule dans un futur proche totalement aseptisé. Les décors ne sont constitués que de couleurs blanches ou grises : néons, cellules, tout y est foncièrement technologique. Les incrustations vidéo en transparence sont très bien conçues et l’on n’a pas trop de mal à imaginer de telles vidéoprojections dans un futur proche.

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Un jeune homme souhaite avoir un enfant. Son père l’y encourage. Dans ce monde, toute naissance doit forcément se solder par la mort d’un proche. C’est la loi que l’on imagine découlant d’une surpopulation. Filmé avec une rigueur toute aussi glacée que les décors, le film fait donc froid dans le dos et la chute n’est pas très optimiste non plus… On pense bien sûr à THX1138, Soleil Vert ou l’âge de cristal. Le film a d’ailleurs du mal à se démarquer de ces influences.

Les Naufragés est un film belge de Mathieu Frances. Il constitue une sorte de déclinaison sur le genre bien connu du “thriller d’épouvante” avec des enfants inquiétants. Ce qui frappe au premier abord, c’est l’atmosphère pesante qui se dégage tout au long du film. Un couple part en vacances dans une maison au bord de la mer. Ce qui devait être idyllique est en fait angoissant dès les premiers plans grâce à une mise en scène assez subtile. La menace est constante bien qu’il ne se passe pas grand chose (le couple s’installe dans la maison, fait un brin de ménage). Petit détail : la jeune femme est enceinte de huit mois. Le film bascule ensuite clairement dans le thriller quand le mari disparaît, laissant sa femme seule. Celle-ci voit apparaître dans la maison de mystérieux enfants. Je ne vous dévoilerai pas la suite mais on tombe ensuite dans l’horreur, tant psychologique que physique. Le travail sur la mise en scène est très soigné et les acteurs finissent de rendre le tout crédible. On regrettera juste quelques longueurs, des plans un peu trop appuyés, mais le réalisateur Mathieu Frances semble bien prometteur.

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Le serrurier propose un thème quasiment “cronenberguien”. Des gens ont des serrures greffées sur la peau. Ces serrures mènent directement à leur coeur. Quand il y a un souci de serrure ou de coeur, ils vont voir le serrurier pour une réparation. Réalisé par Sylvia Guillet, il s’agit là d’une oeuvre poétique, un peu naïve, qui permet à l’auteur de s’amuser avec des images. Ainsi le serrurier pourrait être comparé au docteur, voire au gynécologue. Certaines scènes le laissent subtilement penser. Le film dit aussi que les sentiments pourraient en fait être simplement un problème de mécanique. Le serrurier est un film sensible, remarquablement servi par ses acteurs (on ne se fait pas d’autre idée de la tête d’un serrurier).

Schwester Ines nous vient d’Allemagne et a été réalisé par Christiane Ilge. Il m’a particulièrement séduit (c’est mon prix du public à moi) car il évoque avec force et de façon métaphorique, le thème de la mère qui sur-protège sa fille. Ines est une jeune femme qui travaille dans une maternité. La clinique est dirigée par sa mère. Ines aimerait bien changer de travail et fuir pour quelque chose de radicalement différent, comme hôtesse de l’air par exemple. Non seulement sa patronne de mère et ses collègues tentent de l’en empêcher, mais la clinique semble également dotée d’une conscience propre. Et celle-ci est aussi bien décidée à ne pas la laisser partir. Cette présence surnaturelle se matérialise alors par des visions d’horreur. Le rose immaculé qui décore les murs de la clinique est progressivement souillé par des taches de sang. Le mobilier cache en fait une étrange structure organique. Et une patiente, enceinte de 13 mois (!) subit un accouchement plutôt difficile. Ines sera-t-elle assez forte pour sortir de cet utérus-prison ? Schwester Ines brasse des thèmes qui ont toujours été mystérieux et fascinants : l’accouchement, l’attente d’un enfant et bien sûr la relation mère-enfant, pour qui l’accouchement représente la rupture d’une fusion organique. Tout cela est brillamment mis en image dans le film de Christiane Lilge.

Entretien

Avez-vous eu des problèmes avec votre mère ?
Oui bien sûr, il y a une inspiration autobiographique. Grandir, ou plutôt se séparer des parents a toujours été un problème existentiel pour tout le monde. Vous devez partir vers l’inconnu. Mais ça peut être un fardeau important quand les parents deviennent un obstacle à votre évolution. Je suis sûre que tout le monde connait quelqu’un qui a un proche toujours sur son dos. Ma mère était schizophrène et ne comprenait pas que je changeais. Ce fut donc très violent pour moi.

La mère veut garder son enfant. Mais pourquoi les collègues d’Ines tentent de la garder également ?
En effet, ça ne suit pas exactement le schéma. Mais ce que l’on voit à l’écran est une abstration de l’univers intérieur d’Ines. Tous les personnages représentent en quelque sorte sa relation avec sa mère. Les infirmières tout comme les meubles de l’hôpital appartiennent à cet imaginaire.

Quelle explication donner à l’accouchement “par la bouche” ?
C’est la clé visuelle pour le dilemme majeur que j’illustre : pour rester en vie, ce bébé doit tuer la personne à qui il doit la vie. C’est un tabou très fort, même si la maman refuse consciemment de laisser sortir son enfant.

Avez-vous déjà réalisé d’autres films ?
J’ai fait quelques courts-métrages et un documentaire d’une heure au Soudan. Tous mes courts-métrages ont des tendances surréalistes. Schwester Ines est le premier qui verse dans le fantastique pur et dur avec des effets spéciaux.

Etait-ce difficile de trouver un producteur avec un scénario qui inclut un “accouchement par la bouche” ?
Tout à fait. D’ailleurs, j’ai dû le produire moi-même. Sinon il n’y avait aucune chance de concrétiser le projet. Mais j’ai eu des co-producteurs très motivés. Ils avaient foi dans le projet. Sans eux, je n’y serais pas arrivée. Produire est une tâche difficile. Il s’agit de Philip Gröning (Le grand silence), Susa Kuscher de Screenart, la société de post-production  Ciné plus et bien sûr mon école de cinéma DFFB. Ils m’ont tous soutenue jusqu’au bout. Le financement a pris deux ans à monter. Nous étions contents d’avoir eu droit à une aide fédérale. Avec la violence du scénario, ce n’était pas facile de produire une telle oeuvre en Allemagne.  Les gens pensent tout de suite qu’il s’agit d’un film stupide destiné uniquement aux buveurs de bières !

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Site officiel du festival Court Métrange : http://www.courtmetrange.eu

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