Roches Rouges

Entretien avec le réalisateur, Rodolphe Bonnet

Tu dis avoir dépensé environ 10 000 Euros. Mais on ne les voit pas vraiment dans le film. Qu’est-ce qui a coûté si cher ?
Je serai tenté de te répondre que c’est plutôt bon signe de ne pas les avoir vus… Rob Zombie disait à l’époque où il faisait La Maison des 1000 morts qu’il était déjà très difficile de réaliser un mauvais film, mais techniquement correct. Et c’est vrai. Ce n’est pas pour me valoriser que je dis ça, mais ceux qui ne connaissent pas le « milieu » ou ce qu’est un (vrai) tournage ont du mal à imaginer la difficulté de réaliser un film techniquement correct. Par techniquement correct, j’entends un film qui supporte un visionnage sur grand écran, avec un son qui tient la route. N’importe qui peut faire son film en loucedé, sans matos, en lumière naturelle, avec la caméra de papa, et balancer le tout sur Internet. Je l’ai fait pour les Friday the 12th.

Par contre, dès que tu réfléchis en « termes cinématographiques », ton projet prend tout de suite une ampleur démesurée pour le pauvre mec sans thunes qui veut quand même faire son film. 10 000 euros c’est énorme dit comme ça, mais quand tu penses aux frais de bouffe, logement et défraiement de 25 personnes, à la location de la caméra, de l’éclairage, du matériel pour la prise de son, les costumes, maquillages, décors, accessoires, au final c’est peau de zob. Je ne dis pas ça pour me justifier mais c’est presque un miracle de réaliser un court métrage techniquement acceptable avec 10 000 euros. Si on devait payer tout le monde en faisant un film en 35 mm, le budget passerait à plus de 150 000 euros. Ce sont des ordres de grandeur qu’il faut avoir pour comprendre les budgets de court-métrages.

Avec quel modèle de caméra as-tu tourné et pourquoi ce choix ?
Il faut toujours choisir sa caméra en fonction du « workflow », c’est-à-dire de ses capacités de postproduction, et non en fonction d’une envie, d’une lubie ou alors d’une dispo. On a donc tourné avec une Digital Betacam pour les raisons suivantes :
« C’est une tuerie ! » (c’est mot pour mot ce que m’a dit mon Directeur Photo la nuit où la caméra est tombé en panne). On « maîtrise » la chaîne postproduction avec ce type de caméra (et de toutes façons on ne pouvait pas se payer de la pelloche). Le Directeur Photo du film connaît très bien cette cam’ et donc les éclairages associés. On pouvait se permettre de tourner caméra à l’épaule (le cadreur s’est fait les muscles). Tourner en vidéo, ça veut aussi dire moins de contraintes en termes de quantité de rushes (on pouvait se faire plaisir et refaire les scènes sans se poser de questions existentielles).

Comment as-tu réuni ton équipe technique et artistique ?
J’essaye au fil de mes projets de constituer un noyau dur de « collaborateurs ». Pour l’équipe technique, principalement de Rhône Alpes, j’ai donc des gens (devenus des amis) qui travaillent avec moi depuis mon précédent court, et après, quand je ne connais pas directement les personnes, c’est du bouche à oreille ou des recommandations. Pour l’équipe artistique, c’est différent. Si je n’écris pas un rôle pour un acteur en particulier (par exemple, pour le rôle de « Papa » je savais que ce serait Emmanuel BONAMI qui le jouerait), je fais un casting. Et oui, même pour un film autoproduit en Rhône Alpes où personne n’est payé, on monte à Paris faire un casting !

Les plus gros problèmes que tu as rencontrés sur ce film ?
La pluie, le froid, un tournage de nuit, des blessures, une panne de caméra, etc…

Quel était ton objectif en faisant Roches Rouges ?
Mon premier objectif, quel que soit le film dont il s’agit, est d’essayer de le faire assez bien de manière à ce que le spectateur ne s’emmerde pas. Ca, déjà, c’est une gageure en soi. Ensuite, Roches Rouges est un cadeau que je me suis fait. J’ai souvent raisonné par le passé en me disant « tu dois faire des courts métrages qui plairont au plus grand nombre ». Une fois que je me suis rendu compte que de toutes façons peu de gens regardent des courts, je me suis dit « fais toi plaisir, fais ce que tu veux vraiment, de toutes façons c’est le dernier film que tu autoproduis ». Et donc peut être le dernier film que je ferais « sérieusement ». Donc j’ai fait le film que j’aurais aimé voir en tant que spectateur de court-métrage, en France. Ce qui me permettait également de boucler la boucle car j’ai commencé à aimer le Cinéma tout petit en regardant ce genre de films.

L’objectif est-il atteint ?
Pour moi, oui. Je me suis fait plaisir, je suis fier de ce film (même s’il est loin d’être parfait). De tous mes courts c’est celui qui me ressemble le plus. Il y a trois passages que j’adore dans le film, dont la fameuse scène du scalp, qui est assez réussie je trouve (un peu d’autosatisfaction que diable !).
Certains font la comparaison avec Maniac de William Lustig, je ne vois pas trop pourquoi, si ce n’est le fait qu’à la fin le bourreau a un scalp, mais l’enjeu de ce scalp, et la manière dont il est fait, n’ont rien à voir. J’aime beaucoup le passage de la blague de Frédo (pas spécialement pour la blague) et la fin du film. Rien que pour ça je dirai que j’ai atteint MON objectif. Après le film ne m’appartient plus. Et je suis conscient de ne pas avoir réalisé un chef d’œuvre, ni renouvelé le Genre. Quel court-métrage peut se vanter d’une telle chose ? Je me suis juste frotté au Genre, et j’avoue que j’aimerais quand même bien y replonger, plus profondément. Je pense modestement en connaître pas mal rayon survival, et malgré ça, je me suis fait piégé avec certains clichés dans mon propre film. Il faut pratiquer pour s’améliorer. Et je pense que d’avoir écrit et fait ce court m’a beaucoup apporté. Je suis un pur fan de The Descent, La Colline a des yeux, Wolf Creek, ApocalyptoRoches Rouges n’arrive pas à l’ongle du pied des ces monstres cinématographiques.

De plus, je suis encore sous perfusion « Eden Lake » de James Watkins, la baffe que je n’attendais pas et qui fait très mal. Ce sont les goûts et les couleurs, comme on dit, mais pour moi, ce film est LE survival ultime. Je n’avais jamais ressenti ça au cinoche depuis dix ans. Un film qui prend aux tripes, cruellement intelligent et jusqu’au-boutiste. J’étais tout content de la projection de Roches Rouges au Festival Européen de Strasbourg et puis juste après déboule Eden Lake !!! Un pied immense pendant la projection. Et un gros coup de blues après, me rendant compte du chemin (plutôt du gouffre) qu’il resterait à parcourir. Ce film va tellement loin que je me suis demandé si jamais je devais réaliser un long, comment on pourrait renouveler ça ? Ca va sembler prétentieux de balancer ça comme ça, mais un an après avoir réalisé Roches Rouges et après plusieurs semaines de digestion d’Eden Lake, je crois (à mon humble avis) qu’il n’y a plus qu’une seule façon de renouveler le survival, une approche tellement évidente qu’à ma connaissance personne n’y a encore pensé, et bien sur je me la garde (sait-on jamais…). Oui, c’est un effet d’annonce gratos, mais je m’en fous.

Qu’as-tu appris en faisant ce court-métrage ?
Qu’on a beau avoir imaginé toutes les crasses possibles en pré production, une fois sur le tournage, c’est encore pire. Ca, tout le monde le sait. Après c’est une histoire de postproduction… On a tourné le film il y a plus d’un an et il n’est toujours pas fini… Autoproduire a un gros avantage : tourner rapidement. Par contre, le deuxième effet kiss cool vient après le tournage : tout le monde travaillant « sur son temps libre », les délais sont impressionnants. Mais on va finir par le terminer !

Si tu pouvais changer quelque chose, ce serait quoi ?
Plein de trucs. Par exemple, je ne suis pas super satisfait de la séquence de présentation des personnages. On l’a tourné en premier, il y avait quatre persos à la fois et, connement, je souhaitais faire des plans séquence. Heureusement on s’en est sorti au montage. A la Fabrice du Welz quand il parle de la photo sur Vinyan, je dirai qu’on montage on a beaucoup travaillé par « soustraction » (plusieurs séquences et moult dialogues ont sauté). Un autre point qui me chagrine, c’est la relation entre Papa et Maman, les « bourreaux » du film.

Certains diront, c’est leur droit, qu’ils font « pâle figure » par rapport aux dégénérés de Massacre à la Tronçonneuse ou Frontière(s) (que je n’ai pas vu cela dit). Mais ce n’était vraiment pas le but du jeu ! J’ai essayé d’aborder leur relation comme un « couple » presque banal, qui s’aime et souffre de ne pas avoir d’enfant, et qui arrive à commettre des actes horribles car ils sont dans leur bulle de démence, déconnectés du monde réel. Il y a certains indices disséminés dans le film qui permettent d’envisager ce qu’était leur vie avant qu’elle ne bascule… Je pensais que le spectateur ressentirait quand même un peu d’empathie pour ces persos. Si ça n’est pas perceptible dans le film, c’est que oui, j’ai raté quelque chose. Papa et maman ne devaient pas n’être que des « gogols psychopathes qui torturent des teens pour le fun».

A lire le dossier de presse, on te sent limite épuisé et pas vraiment enthousiaste à l’idée d’un nouveau projet. Est-ce une impression ou tu comptes t’y remettre rapidement ?
Si tu as ressenti ça en lisant le dossier de presse, c’est que je me suis mal exprimé. Je me dis juste que ça serait le pied de n’avoir « qu’à réaliser » un film, sans devoir l’autoproduire ni accueillir une équipe 15 personnes chez toi et 10 autres chez ta belle famille pour limiter les coûts. Donc non, je suis prêt à m’y remettre rapidement, mais dans des conditions décentes. Il y a des choses que je n’accepterai plus de faire, même par amour du Cinéma. Tourner un court métrage doit rester un plaisir, pas un chemin de croix.

3 commentaires sur “Roches Rouges”
  1. J’ai jamais vu un court-métrage de genre aussi bon que Roches Rouges. Jle trouve même supérieur à certains longs-métrages de genre. Jtrouve l’histoire un peu strop simple. Sinon, franchement, très bon! Flippant à souhait et déstabilisant. Bravo!

  2. Vu à Trouville ! Vraiment sympa et bien glauque malgré une actrice principale tres peu convaincante qui hurle à tout va pour un oui pour un non ( elle crie plus que les personnages qui se font torturer !!!!) Sinon les “mechants” sont réussis et l’ambiance est là !!!

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