Dead Rising
Et « On la refait ! », je l’entends souvent en ce troisième jour de tournage, cette fois dans la cave exigüe et glauque d’un immeuble de St Ouen. Nous ne sommes plus que vingt figurants retenus pour ces derniers jours de tournage. Je participe à une scène qui ne requiert que quatre d’entre nous. Comme d’habitude, je n’ai pas été pris pour mon charisme légendaire, mais parce que, une fois de plus, j’ai faussé compagnie à mes collègues zombies et au chef de file, me faufilant furtivement entre les assistants et les scriptes pour m’installer dans un coin sombre, non loin de Dahan et Rocher.
Désireux d’en apprendre le plus possible, je ne quitte plus le plateau, abandonnant mes sympathiques collègues qui, pour tuer le temps entre deux tranches de quatre quarts, dessinent, sculptent, écrivent ou se mettent en scène, se photographiant ou se filmant. Les deux réalisateurs, pourtant concentrés sur leur combo, ne mettent pas longtemps à s’apercevoir de la présence du parasite dans leur dos. Plutôt que de me renvoyer au local figuration, un coup de pied au cul en prime, les deux comparses tolèrent ma présence et se retournent régulièrement en me disant : « Toi, t’as rien entendu ! » avec un coup d’œil complice et un sourire. Au programme d’aujourd’hui, une scène bien Badass : Julien, mon ami Myspacien collectionneur de figurines, Aurélie, une jeune actrice, Éric et moi nous faisons truffer de plomb par Claude Perron tandis qu’Eriq Ebouaney nous défragmente la gueule au fusil à pompe… en gros plan, s’il vous plaît ! Cette fois, Maud n’est pas satisfaite : « Plus agressif ! Plus désarticulé ! Plus bestial ! ».
Nous refaisons la prise sept fois. J’ai pitié du pauvre cascadeur qui, à chaque fois, vient s’écraser contre le mur devant nous, nous donnant le signal du départ. Le faux sang me brûle les yeux, les gencives et la langue. Je suis lessivé ; le rythme parisien me tue : lever 5h du matin, tournage de 8h à 20h, coucher à minuit. Je n’ai plus vingt ans. Je redécouvre cependant les sensations de ma lointaine jeunesse, avant que la vie en entreprise ne vienne à bout de mes espoirs. Avant que ma vie ressemble à celle d’un protagoniste de roman de Houellebecq.
Dernier jour de tournage. Yves Pignot nous extermine (provisoirement) à la mitrailleuse lourde. La puissance des déflagrations et telle que le capteur de la caméra ne résiste pas. Nous sommes épuisés. Les cascadeurs nous charrient : « Tire sur mon doigt ! ». Entre les prises, je discute avec d’autres geeks dont les connaissances cinématographiques forcent le respect. Bien qu’ayant les même gouts, la même passion, le même désir créatif, nous sommes pourtant tellement différents. Je prends conscience qu’il existe bel et bien une culture geek en France, mais pas d’esprit communautaire pour autant, et c’est tant mieux.
Je repense à un atelier d’écriture auquel j’ai participé le mois dernier. Le script-doctor chargé de nous enseigner les techniques narratives s’était indigné que je puisse qualifier Blade Runner de chef d’œuvre, le fantastique et la science-fiction ne relevant que du domaine du divertissement à ses yeux. Une élève avait ajouté que seuls les grands films comme ceux de Felini, Hitchcock ou Kubrick pouvaient être considérés comme des chefs d’œuvre, ce qui m’avait valu un fou rire : Les Oiseaux, Psychose, Orange mécanique, 2001 et Shining étaient peut être des films d’auteur pour elle, ils n’en sont pas moins des films de genre. J’avais rapidement été classé dans la case « mec qui aime les films de zombies », bien que mes connaissances ne se cantonnent pas à ce genre de cinéma. On aime bien mettre les gens dans des cases.
Dahan nous présente ses parents. Sa mère est un peu intimidée parmi les apôtres sanglants de son fils : « C’est pas comme ça que je l’ai élevé ! » dit elle, amusée.
Jeudi 6 novembre 2008. Je suis dans le train de retour pour Strasbourg. Le blues post-tournage n’est pas une légende. Les images de ces quatre derniers jours repassent en boucle dans ma tête. Je suis en état second. Aux visages de zombies se superposent ceux de mes anciens collaborateurs que j’ai côtoyés un tiers de ma vie. Je réfléchis aux propos d’une jeune assistante de production qui, après avoir lu mon dernier scénario, m’a avoué, gênée, que le fait que le méchant de mon histoire soit une femme cadre supérieur la dérangeait un peu, quand même.
Je me remémore des films comme Rocky Balboa et JCVD, comprenant mieux les messages qu’ils véhiculent. Je réalise qu’il n’y a pas d’âge pour croire en ses rêves et surtout se battre pour les concrétiser. Je me dis que l’intégrité, l’authenticité et la sincérité sont les meilleures armes pour résister au cynisme et au jugement. Et, comme dirait le vieux boxeur, ce qui compte dans la vie, ce n’est pas la force des coups que l’on peut porter mais le nombre de ceux que l’on peut encaisser. Je revois encore le fond d’écran de l’affiche de Shaun of the dead que j’avais installé sur mon ordinateur au boulot en signe de rébellion : « Have you ever felt like you were surronded by zombies ? » et la tête de mon responsable d’exploitation en le voyant. Je me dis que la vie est parfois ironique car, paradoxalement, c’est au moment de rejoindre la Horde que j’ai cessé d’être un zombie.
Texte original & photographies : Cédric Muller
Edition Cinétrange : Udéka
Un bien bel article. Un brin nostalgique et qui ravive notre attente de la sortie en salle de ce premier film de zombie français. Je crois qu’il sera à l’image de l’ambiance du tournage, joyeusement bordélique et extrêmement sympathique!
Respect!
BIG UP.
…
…
et merci beaucoup!
😉
Bien cool ce petit article. Fais juste attention, il y a quelques fautes d’orthographes me semble-t-il.
Ça fait plaisir de se remémorer ses bons souvenirs de tournages. Remercions encore nos chers réalisateurs Benjamin Rocher et Yannick Dahan, et bien sûr toute l’équipe qui fourmille autour.
J’étais également dans la scène de la cave (avant dernier jour de tournage), et le peu d’images que j’ai pu voir donne vraiment envie de les voir en grand !
Si tu cherches un monteur pour tes films, je serais très heureux d’aider un mec comme moi, un passionné. Ils sont devenus rares de nos jours.
Bonne continuation ! Bon courage et bone année !
Les fautes sont la malédiction du correcteur, elles savent se cacher sournoisement même après un nombre impressionnant de relectures. Les corrections nécessaires ont été effectuées.
Article fort sympathique même si forcément subjectif…
En tout cas tu nous a fait partagé l’émulation d’un tournage forcément atypique. En espérant que le film porte ses fruits car un film de siège avec des zombies, y en a déjà eu beaucoup et pas des moindres…
Monstrueux très bel article !
Continue à poursuivre tes rêves et ne te soumet JAMAIS à cette « culture noble » que la France aime tant nous faire gaver ! T’es passionné et « you have some heart », alors fonce !
Bon, j’avoue rester pessimiste à l’idée d’un « âge d’or » du cinéma de genre en France, mais ce n’est peut-être pas le plus important, pas autant que de continuer à rêver et éviter de devenir des zombies de plus. C’est peut-être bateau, mais il faut faire ce qui a un sens pour soi, pas pour les autres.
Je te souhaite le meilleur, gars !
(et oui, « Les Oiseaux », « 2001 » et « Shining » sont carrément des films de genre !!!)