Tokyo!

merde

A la manière de Paris, je t’aime, trois réalisateurs proposent leur vision originale de la mégapole japonaise. Deux français, dont un rare, s’y collent, avec l’aide d’un troisième luron de Corée : Bong Joon-Ho. Un nom difficile à retenir mais dont la filmographie (The Host, Memories of Murder) ne laisse pas indifférent. Le cahier des charges était, semble-t-il, assez libre. Et si chaque réalisateur a son style bien à lui, on retrouve tout de même une thématique commune aux trois films, qui découle du fonctionnement même de la ville. Les trois moyens métrages parlent en effet des difficultés pour s’intégrer à une cité conçue pour la vie en société. Des individus considérés comme bizarres, qui ne rentrent pas dans le moule, ont donc le plus grand mal à y vivre. Chez Gondry, la jeune femme se sent inutile, chez Carax l’individu est excentrique et étranger à tout code de bienséance et chez Bong Joon-Ho, le jeune homme est allergique à tout contact humain. Tous les films flirtent également avec le fantastique d’une manière ou d’une autre.

Merde, le segment de Leos Carax se démarque clairement des deux autres en proposant une espèce de choc des cultures françaises et japonaises. Carax n’a pas fait de film depuis Pola X et il commençait à nous manquer. Il précipite ici son acteur fétiche Denis Lavant, grimé en hurluberlu sans domicile fixe et psychologiquement instable dans un quartier chic de la capitale japonaise. Surréaliste à souhait, on n’est pas loin du film de monstre ou de l’invasion extra-terrestre. Merde (c’est le nom du personnage) a un oeil qui se barre de travers, une pilosité rousse excessive (que les japonais ne manqueront pas de trouver horrible) et des comportements erratiques et extrêmes : il balance par exemple des grenades dégoupillées dans la rue. Cette folie meurtrière est montrée de manière frontale et l’on ne nous épargne pas la vue des dizaines de cadavres du massacre. Bien entendu, tout cela doit être pris au second degré.

Merde est certainement le mot français le plus connu à l’étranger. Poilu, sale et méchant, Merde est le cliché ultime du français même si ce n’est jamais clairement exprimé. Il est romantique (il mange des fleurs) et passionné (il lèche l’aisselle d’une passante). On reconnaît l’enfant terrible du cinéma qu’est Leos Carax, à contre-courant de tout, explosant les conventions et libérant sa colère sur pellicule avec une énergie malgré tout positive. Car Merde est un personnage finalement sympathique. Il ne cherche pas à nuire même s’il le fait involontairement.  On se demande d’ailleurs si Carax n’a pas fait exprès d’exploser la proposition initiale des producteurs japonais. En comparaison, les deux autres moyens métrages paraissent bien “sympathiques” !

Interior Design, le film de Michel Gondry est plus classique et se rapproche de ses travaux habituels alliant comédie romantique et bricolages visuels, comme dans sa science des rêves. Il a néanmoins pris le risque de tourner avec des acteurs japonais et livre au final une bonne romance se déroulant au milieu de nombreux problèmes purement tokyoïtes : la promiscuité extrême, la difficulté de trouver un emploi, etc. Si tout le monde s’en sort à peu près, la jeune femme s’enfonce dans un désoeuvrement total. Elle se sent tellement inutile qu’elle se transforme en chaise ! Les effet spéciaux sont remarquables et l’on se demande comment ces scènes ont été conçues.

Avec Shaking Tokyo, Bong Joon-Ho se penche sur le phénomène typiquement japonais des hikimori. Ce sont des personnes qui refusent tout contact avec l’extérieur et restent cloîtrées chez elles, en passant des commandes par téléphone. Mais l’ermite tombe amoureux d’une livreuse de pizza un peu étrange. Pour la revoir, il est obligé de sortir. Pas franchement révolutionnaire, Bong Joon-Ho nous livre une comédie douce-amère comme il en a l’habitude, excellant dans le mélange comédie/drame.

L’édition dvd disponible chez MK2 propose un disque de suppléments. Pour chaque film, nous avons droit à un making-of un peu longuet (30 minutes). Michel Gondry ne nous livre pas la recette pour transformer son actrice en chaise, ce qui se révèle à la fois frustrant et ce qui permet de préserver la magie, comme le souhaite le réalisateur. Le making-of de Merde est plus intéressant puisqu’on y voit les énormes problèmes de timing que le scénario a engendré. Difficulté supplémentaire : le tournage à Tokyo a eu lieu en partie de façon sauvage, sans autorisation, à l’arrache !

Chaque réalisateur a droit également à un petit entretien. On constate que chacun a des méthodes très différentes et une vue très personnelle de ce que doit être un réalisateur. Mention spéciale une nouvelle fois à Léos Carax, mélange mutoïde  de Jean-Luc Godard et Takashi Miike. Si les réalisateurs français savent exactement ce qu’ils veulent, il est amusant de voir Bong Joon-Ho avouer son hésitation extrême sur ce qu’il attend de son film. Il voudrait d’ailleurs pouvoir le modifier indéfiniment!

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