Time Crimes (Los Cronocrimenes)

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Il est difficile de disserter sur ce film surprenant sans en dévoiler les enjeux cruciaux, soit une partie de son script malin et excitant, renouvelant avec intelligence le thème du paradoxe temporel.

Ce n’est pourtant pas le premier film qui traite ce sujet passionnant et toutes les implications éthiques, physiques, philosophiques et scientifiques qui en découlent. Les mêmes grandes questions reviennent en boucle : peut-on modifier le passé ? Qu’arrive-t-il si l’on rencontre son double ? Quelles conséquences pour l’humanité représente une faille temporelle ? Le destin est-il inéluctable ? Ces  questions essentielles ont été abordées de manière plus ou moins pertinentes dans des œuvres aussi disparates que Nimitz retour vers l’enfer, Philadelphia experiment, C’était demain et évidemment Retour vers le futur.

timecrimesTime crimes est pourtant d’une nature différente des exemples cités ci-dessus. L e premier long métrage de Nacho Vigalondo inscrit d’emblée son récit dans une ambiance d’une morosité presque affligeante. Il filme le quotidien peu attrayant d’un couple dénué de charisme, comme on en rencontre finalement peu dans le cinéma de genre. Hector n’a rien du héros traditionnel, victime à son insu d’une machination éhontée. Tout ce qui lui arrive est, dans un sens, mérité. C’est un type sans relief, légèrement beauf, gras du bide. Son physique ne respire pas spécialement l’intelligence.  Il n’inspire pas vraiment la sympathie. Notre sentiment à  son égard varie entre l’antipathie et, malgré tout, une forme d’empathie.  Son sort, ne nous laisse pas indifférent. Car il représente un monsieur tout le monde mais qui, pour une fois, n’aurait pas la tronche de Tom Cruise ou, même pour évoquer un espagnol, d’Edouardo Noriega.

Hector est un type normal qui vient de s’installer dans une nouvelle maison pavillonnaire. La laideur d’un décor morne, la pauvreté des dialogues, la mollesse apparente de la réalisation ne sont qu’un leurre cachant bien sûr d’autres enjeux, totalement surprenants pour celui qui tomberait par hasard sur le film.

Hector va se retrouver dans une impasse sidérante, une spirale l’entraînant toujours plus loin, alors qu’au départ, il voulait juste améliorer la situation. Poursuivi par un tueur à la tête recouverte de bandages, il va tomber par hasard sur une machine à remonter le temps et se retrouver quelques heures auparavant. La machinerie vertigineuse est en place. Hector rencontre son double, tente de reconsidérer la situation, d’améliorer ce qui a été fait. Mais l’inéluctable fatalité du temps s’en mêle. Hector ne fait qu’empirer les évènements. Au final, Time crimes forme une sorte de boucle infinie dans laquelle il n’y ni début ni fin. L’éternel retour des mêmes événements rythme ce film inquiétant, drôle et passionnant.

Petite production indépendante réalisée avec trois bout de ficelles, Time crimes évoque une autre série B, américaine celle-là, Retroaction de Louis Morneau, formidable road movie déjanté. Une jeune femme revivait à chaque fois en pire la même situation. Traquée par un serial killer redoutable, elle trouve, par hasard (décidemment !!!) le moyen de retourner en arrière pour modifier son passé. Mais à chaque voyage, les conséquences sont de plus en plus dramatiques, tragiques comme si on ne pouvait pas améliorer le passé.

Nacho Vigalondo reste prostré dans une logique beaucoup plus effrayante. Le passé ne peut être altéré,  même en pire. L’obstination  avec laquelle Hector s’enfonce à reproduire les mêmes erreurs sans rien remettre en cause nous engouffre dans une logique  effrayante. Contrairement à beaucoup de ses compatriotes attirés par le cinéma de genre (Jaume Balagueró, Nacho Cerda, Luis De la Madrid), Nacho Vigalondo n’affiche aucun sens de l’épate, de virtuosité gratuite. Le film brille par son absence d’effets spéciaux. Presque un soulagement tant les effets numériques parviennent souvent à ridiculiser des petits films bien torchés à la base. Sa mise en scène, en apparence terne et conventionnelle,  illustre remarquablement un  script brillant, plus profond qu’il n’y parait au premier abord.

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Pourtant deux scènes tendent à penser le contraire. Le travelling somptueux  au ras du sol qui ouvre le film et surtout, le long plan séquence aérien qui le clôt. Dans ces moments, le cinéaste affiche une virtuosité incroyable, un sens de l’espace inouï, de la composition du cadre. Entre les deux, il opte pour une réalisation volontairement sobre. Les couleurs sont fades, monochromes, le décor austère, presque mortel.  La caméra bouge peu, elle se contente de suivre un personnage quasi présent de tous les plans (incroyables Karra Elejalde, déjà aperçu dans Tierra de Julio Medem et La secte sans nom de Jaume Balagueró).

Cette austérité graphique est à saluer car elle convient parfaitement à  ce film schizophrène qui raconte l’histoire extraordinaire d’un type banal évoluant dans un milieu et un décor tout aussi banal. Le contraste est saisissant, totalement jouissif et même avouons le novateur.

Oeuvre hybride et conceptuelle, à la croisée des genres (slashers, science fiction, comédie noire), Time crimes aurait largement mérité une sortie en salles. Un véritable cinéaste est né.

(ESP-2007) de Nacho Vigalondo avec Karra Elejalde, Candella Fernández , Nacho Vigalondo, Bárbara Goeaga

Editeur : Pathé. Déjà disponible en dvd. Langue : Espagnol, Français. Sous-titres : français. Bonus : Bandes annonces

8 commentaires sur “Time Crimes (Los Cronocrimenes)”
  1. Très bon film en effet. J’en avais entendu de bons échos mais même sachant cela, j’ai été agréablement surpris.

  2. Concernant le commentaire sur la sobriété du traitement, je suis assez d’accord: c’est plutôt bien vu, le perso principal comme homme moyen aussi et tout ça, c’est très bon.
    Concernant le scénario par contre, je pense qu’il apparait évident devant ce film que faire une trame cohérente avec les paradoxes temporels est quasi-impossible. Et ici, c’est plus qu’incohérent. On peut bien sûr oublié de rechercher à quel point cette histoire pourrait être vraie (avec la machinerie temporelle adéquate bien sur, mais rêvons un peu) et se laisser embarqué dans le tourbillon de ces chronocrimes, mais il y a quand même un paradoxe gigantesque avec le traitement qui se veut réaliste, quotidien et banal il me semble.
    Ce gouffre entre de multiples incohérences scénaristiques (assez propre au thème des voyages dans le temps, je le répète) et le traitement sobre et réaliste me laisse un peu perplexe, je l’avoue.
    Il paraît que Cronenberg est en train d’en faire un remake et je me demande bien ce que ça va donner. To be continued…

  3. Ah oui, j’oublié: mention spécial à la demoiselle qu’on voit sur la photo: son absence de soutien-gorge tout au long du film suffit emplement à maintenir en éveil l’attention du spectateur !

  4. Ah bah c’est ça qu’il fallait me dire tout de suite, al az if ! ! Non j’déconne Manu, respect pour ta critique qui comme les autres, donne envie de s’interesser aux films en question.

  5. Un peu déçu après cette dithyrambe, mais comment ne pas… C’est quand même un film entièrement bouffé par son script : pas de personnages, pas de direction d’acteur, pas de réal, pas de bande son, pas de profondeur, etc. etc. Mais c’est vrai que le drame est habilement bâti, avec plusieurs niveaux d’enfume. J’aime beaucoup le rôle qu’il fait jouer à son personnage féminin, et sa façon de décevoir les attentes du spectateur. Tout à fait gratuit, mais ça marche du feu de dieu. L’idée qu’on peut étayer la une scène molassonne par une ré-vision puis par une ré-ré-vision est une façon assez sacrilège de faire du cinéma, c’est plutôt marrant.

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