Le tueur aveugle

Production britannique de 1939, Le tueur aveugle (ou littéralement Les yeux morts du tueur) est inspiré d’un roman du célèbre Edgar Wallace , célèbre alors pour ses romans policiers dans la veine de ceux de Sax Rohmer, Agatha Christie ou Arthur Conan Doyle. Rien d’étonnant alors que, pour un film qui pourrait se présenter de prime abord comme un film d’épouvante gothique,  il débute sous les auspices classiques de l’intrigue criminelle.

Un cadavre est repêché dans la Tamise. Ce qui pourrait ressembler à un suicide inquiète davantage Scotland Yards. L’inspecteur Holt est chargé de l’enquête et il est amené à interroger le professeur Orloff qui dirige un institut pour aveugles. Deux indices l’amènent à rencontrer ce personnage inquiétant : un message en braille est retrouvé sur l’une des victimes et, fait plus troublant, chacune d’entre elles a souscrit une assurance vie au bénéfice du docteur. Oui bon, le spectateur a vite compris les tenants et aboutissants de l’intrigue. Même le fameux twist final, certainement surprenant pour l’époque, saute aux yeux pour le spectateur lambda d’aujourd’hui.

En dépit d’une intrigue bien écrite mais relativement prévisible, le résultat s’avère plus qu’honorable. Le récit est bien construit, la réalisation est efficace sans être d’une folle inventivité. On est certes loin des chefs-d’œuvre de la Universal qui rendirent célèbre Bela Lugosi. Mais son interprétation est remarquable au moment où sa côte de popularité était au plus bas. En 1939, la Universal ne produit plus rien, la carrière de Lugosi est au point mort. Et la déchéance du comédien l’incite à s’envoler pour l’Angleterre pour une petite série B où il livre une prestation épatante, supérieure à mon sens à celle, usurpée, de Dracula de Tod Browning. Moins théâtral qu’à l’accoutumée, son visage ambigu et son accent hongrois convient merveilleusement au personnage machiavélique d’Orloff. A côté de lui, les autres comédiens paraissent bien ternes.

Ce qui différencie le scénario de ce Tueur aveugle de bien d’autres bandes fantastiques de la même époque concerne la dimension purement matérielle. Orloff n’est ni un savant fou, ni un être meurtri, obsédé par une vengeance et encore moins un meurtrier zigouillant ses victimes  par nécessité ou par amour de son prochain (chercher un remède pour sauver un être aimé). Nul romantisme dans ce film qui obéit aux règles du film noir classique. Le seul mobile est l’argent. Cynique et effrayant, Orloff est une figure du mal assez prosaïque en somme. 20 ans plus tard, Jess Franco reprendra le personnage d’Orloff en réalisant son très beau L’horrible docteur Orloff. Même s’il semble réfuter l’influence aujourd’hui (ah la mauvaise foi), Franco ne peut nier le fait que les deux films possèdent la même structure diégétique et des similitudes troublantes au-delà du personnage d’Orloff. L’homme-bête du Tueur aveugle assassine  pour le compte du docteur au même titre que Morpho (aveugle comme par hasard) dans le film de Franco. Mais le réalisateur de Cartes sur table y injecte une dimension romanesque et mélancolique absente du long métrage du méconnu Walter Summer, scénariste et réalisateur prolifique entre les deux guerres.

Et comme l’indique la jaquette « le maléfique docteur Orloff frappe pour la première fois ». Grace à Jesus Franco, il deviendra l’une des figures emblématiques du cinéma d’épouvante pour les amateurs de bis.

GB-1939 de Walter Summers avec Bela Lugosi, Hugh Williams, Greta Gynt

Edité par Artus film.  Durée: 73 mn. Langue; Anglais. Sous-titres: Français, Espagnol. Format : 1.33 d’origine 4/3. Noir et blanc.

Suppléments

-« Les yeux morts du Dr Orloff » par Alain Petit, spécialiste du cinéma-bis. Alain Petit revient avec beaucoup de pertinence sur la carrière stakhanoviste d’Edgar Wallace, l’un des maîtres de la littérature populaire. Il évoque notamment sa participation (fantôme en fait) sur King Kong. Malgré sa présence au générique, il n’aurait quasiment pas participé à l’écriture du film, décédant de maladie bien trop tôt. Il évoque aussi la mode des Krimi, inspiré des romans de Wallace, qui possèdent plus d’une filiation avec le giallo. Alain retrace le parcours de Bela  Lugosi et surtout les raisons qui l’on amener à venir tourner en Angleterre.

On apprend ensuite un certain nombre de faits sur les autres comédiens et le réalisateur. Enfin, en tant que proche de Jess Franco, Alain ne peut passer sous silence le fait que le personnage incarné par Howard Vernon est une inspiration directe de celui de Bela Lugosi.

L’érudition d’Alain Petit est un régal pour les amateurs de bis même si un petit malin lui a reproché d’avoir recours à des antisèches au cours de l’interview. Laissez-moi rire, qui connaît parfaitement la carrière de Walter Summers ? Personne à mon avis. A moins de réciter par cœur sa bio, je doute que le cinéphile le plus ardu soit incollable sur le sujet.

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