Rubber de Quentin Dupieux

On avait quitté Quentin Dupieux sur l’excellent Steak, véhicule masochiste pour le duo Eric et Ramzy, véritable ovni venu de nulle part et vendu comme une comédie débile dans la lignée des Dalton ou de Double Zéro. L’échec commercial ne l’a pas incité à abandonner le cinéma ni à se conformer aux canons plus traditionnels du septième art. Au contraire, il revient avec un projet complètement fou et plutôt casse-gueule avec une histoire absurde de pneu tueur qui sillonne le paysage désertique américain. Tourné en quelques semaines, avec appareil photo numérique, Rubber a tout du film conceptuel rigolo mais foireux, grillant ses dernières bobines au bout de quelques minutes. C’est mal connaître le talent du réalisateur qui livre un objet inclassable et passionnant tant sur le fond que la forme.
Le dispositif initial a pourtant de quoi faire frémir. Une voiture percute des chaises disposées au hasard sur une route désertique. La voiture s’arrête. Un flic sort du coffre. Pour justifier l’incongruité du pitch, le flic s’adresse à la caméra et évoque l’arbitraire de certaines situations rencontré dans le cinéma le plus populaire dont un fameux (fumeux ?) mais « pourquoi E.T est-il marron ? « No reason » semble le leitmotiv qui anime Mr Oizo, nom de scène du cinéaste lorsqu’il bidouille ses platines. Il justifie d’emblée l’idiotie d’un concept pas si idiot un peu à la manière d’un Haneke qui aurait pris trop de substances illicites.
« No reason » résonne comme un rejet du réalisme, de la vraisemblance qui n’existe que de façon arbitraire et codifié au cinéma. La vie ne contient-elle pas sa part de « no reason » dans le déroulement des évènements. Rubber est un hommage à cette figure de style qui pourrait enchanter les adeptes du surréalisme.
Ce côté théorique peut agacer mais finit par séduire. Par la suite, des spectateurs avec des jumelles assistent au vrai film dans le film. Le générique débute et le héros, un pneu, débarque. Loin d’un gimmick, d’un gag qui tournerait court, ce morceau de caoutchouc est bien le nerf d’un récit en roue libre qui emprunte allègrement la structure classique des meilleurs films d’horreur.
La traversée du désert de ce psychopathe hors norme commence par la destruction d’une bouteille, puis l’écrasement d’un scorpion. Doté d’un pouvoir surnaturel, il pourra user de télépathie comme dans Scanner et éclater les têtes de ses victimes potentielles. La caméra suit au plus près le parcours rectiligne de ce tueur singulier. L’une des plus belles idées du film est que le spectateur découvre la naissance de ce pneu, ses capacités au fur et à mesure, ses pouvoirs, son quotidien. L’effet de croyance est important pour l’adhésion du spectateur.

Entre mise en abîme (le film dans le film) et pure série B citant ouvertement quelques classiques du thriller routier (Duel, Hitcher, L’enfer mécanique), Rubber est un road-movie sanglant et drôle, pensé et ludique. Les ruptures de ton sont nombreuses, cassant parfois le rythme du film tout en lenteur envoûtante. Car Quentin Dupieux ne cherche pas à faire son petit malin en balançant, soit une série Z hystérique et criarde avec un montage ultra nerveux, soit à l’opposé un faux film d’auteur avec caméra branlante et vide intersidéral. La mise en scène, composée de beaux plans fixes et de mouvements de caméra fluides à hauteur de pneu, est élégante et rigoureuse.
Et cerise sur le gâteau pour les amateurs de série B eighties, Quentin Dupieux a eu l’idée génial de déterrer ce bon vieux Wings Hauser pour un rôle sur mesure et en accord avec l’évolution du film. L’acteur impeccable d’une flopée de série Z mais surtout de l’excellent Descente aux enfers incarne le spectateur lambda à qui on ne la fait pas cependant. Le type qui connaît les ficelles du métier et connaît les codes du film de genre sur le bout des doigts. Un rôle en forme de gimmick mais qui n’est pas neutre. Il reste le seul spectateur vivant del’histoire, lui qui a traversé plusieurs décennies de bisseries en tous genres. A ses côtés, la prestation de Stephen Spinella dans le rôle du lieutenant Chad est désopilante tandis que Roxane Mesquida, depuis ses débuts remarqués chez Catherine Breillat dans A ma sœur, est en train de devenir une des actrices françaises les plus intéressantes. Elle est par ailleurs fabuleuse dans le formidable Kaboom de Greg Araki.
Réflexion brillante sur le réel et la fiction, traitée de façon décontractée comme si Godard rencontrait Henenlotter, Rubber est avant tout un beau film sur la croyance dans le cinéma comme moyen d’expression absolu.
L’un des plus beaux films sortis en 2010 qui redonnent fois dans le renouveau tant attendu du cinéma français de genre ou non (Amer, La comtesse, Enter The void, comptent parmi les bonne surprises de l’année).

(FRA-2010) de Quentin Dupieux avec Stephen Spinella, Roxane Mesquida, Wings Hauser, Jack Plotnick

Edition Blaq Out. 2 DVD + Blu Ray + livret. Durée : 1 h 18. Format : 1.85. Langue : Français, Anglais
Sous-titres : Français. Son : 5.1

Disque 1 : Blu-ray du film
Interview de Quentin Dupieux (oui enfin interview débile et nonsensique), Roxane Mesquida, jack Plotnick, Stephen Spinella
Essais filmiques
Teaser
Bande annonce

Disque 2 : DVD du film

Disque 3 :
Non Film:
Il s’agit du premier film de Dupieux réalisé sous la forme d’un moyen métrage. Visiblement tourné avec les moyens du bord , voire sans moyen du tout, Nonfilm est une expérience délirante bénéficiant de l’interprétation hilarante du musicien iconoclaste Sébastien Tellier et d’un scénario astucieux. Par un concours de circonstance malheureux, un comédien borderline assassine toute l’équipe technique (le réal compris) d’un tournage déjà chaotique. Obnubilé par son personnage et le film, il décide de continuer à tourner sans caméra, sans son, sans rien !!! Véridique. Drôle, agaçant, unique, Nonfilm confirme à l’état brut le talent de Quentin Dupieux qui éclatera pleinement dans le génial et sous-estimé Steak (j’assume pleinement et en plus j’aime bien Eric et Ramzy).
Nonfilm 2: Suite du tournage quelques mois après. Plus anecdotique mais drôle.
Making off (du Nonfilm)
Scènes coupées

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