Dream Home à l’Etrange Festival

S’il existe un genre encore plus asphyxié par ses propres codes que le film de zombies, c’est assurément le slasher, adepte d’une indéfectible propension à creuser dans le même sillon. Des titres notables sont issus de ce creuset mais on pourra constater qu’en trente ans de loyaux sévices, nous en sommes, à titre d’exemple, à un Vendredi 13 reboot où Jason, cette fois-ci, pose des pièges et tire à l’arc. Que d’évolution ! Dans ce manque d’innovation qui enserre le genre, et qui paradoxalement fait partie de son charme, Tous les garçons aiment Mandy Lane en devient presque un film révolutionnaire.

Dream Home ne tourne pas le dos au slasher, bien au contraire. Le spécialiste pourra y  recenser la tenue de travail de l’assassin, la diversité des mises à morts, des jeunes drogués-alcooliques-rigolards-obsédés, les policiers qui se font éliminer pendant leur ronde, un lieu réduit au minimum et du jump-scare. Le cahier des charges est donc, à première vue, bien rempli.

Ce qui fait toute la différence, en premier lieu, c’est que le réalisateur ne fait aucun mystère sur l’identité de l’assassin. Il est pour ainsi dire, le centre du récit. Au-delà de ce simple point de vue, la réalisation est habile et le script est, en parallèle de l’unité de temps et de lieu des crimes, une critique sociale particulièrement virulente. Même s’il le fait exclusivement à charge, Pang Ho-Cheung, auteur auparavant étranger à la célèbre Catégorie III, évoque une réalité brute, mondiale et qui n’est pas prête de s’améliorer.

Le réalisateur attaque son sujet d’emblée (ou plutôt, ses deux sujets) avec un pré-générique choc suivit d’un générique alignant les fenêtres des immeubles qui semblent interchangeables. Cheng Lai-sheung est une jeune travailleuse de Hong-Kong qui bénéficie d’économies suffisantes pour désormais réclamer l’appartement de ses rêves. Elle a joué le jeu toute sa vie, elle a “travaillé plus pour gagner plus” comme l’on dit chez nous, et finalement elle se heurte à l’incroyable inhumanité du système, gangréné par une spéculation galopante. Une nuit, elle s’introduit dans un immeuble pour arranger, à sa façon, ce petit souci.

Pang Ho-Cheung (nommé parfois Edmond Pang, à l’international) dévoile un environnement dominé par une aliénation profonde. Le travail est mécanique quand il ne tue pas (le père est mourant à cause de plusieurs années sur les chantiers). L’amour n’existe pas, les femmes et les hommes ne semblent jamais se comprendre. Les hommes trompent tous leurs épouses et se servent de leurs maitresses comme objets sexuels. D’ailleurs, le sexe est technique, dénué de complicité.

À défaut d’excuser les actes du monstre (Cheng Lai-sheung est de toute évidence insensée), on se surprend à une certaine empathie à son égard quand sont évoquées ses motivations profondes. Josie Ho incarne une “girl next door” adéquate, patiente jusqu’au point de rupture, illustré par un basculement mental visible à l’image. La déconstruction narrative du film éclate les quelques heures de tueries par des bribes du passé de Cheng. Un passé qui conduit à ces meurtres sauvages et qui, à la toute fin, une fin d’une grande immoralité, expose la logique, même si monstrueuse, de ses actes. Bien entendu, il faut adhérer à cette construction éclatée, là où un crescendo partant de l’enfance de Cheng à cette nuit rouge aurait peut-être mieux convenu. Certes, mais ce déroulement aurait été bien trop classique.

Il faut dire que les ruptures de ton y sont impressionnantes (comme dans le cinéma Coréen). Les souvenirs doux-amer de la jeune femme s’insérant ainsi entre des scènes d’une rare violence. L’inventivité sadique des scènes sus-dites, avec le sens du détail qui dégoûte, choque ou amuse, contraste d’autant plus avec la banalité du quotidien des flashbacks. Un humour noir qui vire parfois au saugrenu fait son apparition dans le denier tiers, et achève de rendre le film troublant. Sur quel pied Pang Ho-Cheung veut-il nous faire danser ? Est-ce drôlement noir ou du rire jaune ? Ce qui enfonce le clou de la bipolarité de l’oeuvre, comme si deux cerveaux opposés l’avaient réalisée, l’un maniaque, l’autre mélancolique.

Le “slasher social” est peut-être un genre en soi à exploiter à l’avenir, où les débordements auraient une raison d’être liée à notre actualité. Dans tous les cas, l’avenir offrira toujours de nombreux exemples pour les alimenter.

1 commentaires sur “Dream Home à l’Etrange Festival”
  1. C’est simple et efficace, et donne envie de revoir le film.
    Bien vu que Mad Movies le propose en DVD en accompagnement du numéro d’Avril !
    A surtout ne pas manquer

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