Heartless, de Philip Ridley

Trois films en vingt ans, on ne peut pas dire que le réalisateur britannique soit très prolifique. Scénariste pour le théâtre, peintre et romancier, Philip Ridley a tout simplement du mal à trouver des financements pour ses films.

Jamie a une grosse tâche de naissance sur le visage et une autre qui lui recouvre l’épaule. Sujet aux moqueries depuis son enfance, il soufre de dépression et a déjà tenté de se suicider. Vivant avec sa mère dans un quartier populaire de Londres, le jeune homme fait de la photographie en amateur éclairé et fait des reportages sur les bas-fonds de la ville. C’est là qu’il tombe sur un étrange gang, connu pour jeter des cocktails molotov sur des passants.

Avec cette troisième oeuvre, le réalisateur reprend toujours le même personnage principal, cherchant désespérément sa place dans la société. Il soufre de solitude, et il est mis à l’écart du fait de sa différence. Tout comme Darkly Noon, le personnage est en proie à une immense dépression, lui faisant perdre peu à peu la raison, le transportant dans un univers plus ou moins imaginaire.

L’aspect le plus séduisant du film est sans doute la façon de photographier l’East end de Londres, quartier dont le réalisateur est originaire. Atteint durablement par la misère, l’endroit est saturé de tags et de graffitis en tous genres. Des gangs font régner la terreur. Malgré toute cette violence, le réalisateur cadre les environs comme un photographe, cherchant la beauté dans les ruines industrielles ou les ruelles insalubres. Toutes les scènes de jour sont filmées avec une lumière froide et toutes les scènes de nuit baignent dans une lueur orangée voire sépia. Bien que géographiquement identiques, ces deux univers sont bien séparés. Cette dualité se retrouve tout au long du film. Jamie hésite entre accepter sa difformité et la rejeter totalement. Quand il est mis à l’épreuve, il est également déchiré entre le bien et le mal. Enfin, il devra décider s’il veut exorciser ses démons, ou pas.

L’intrusion du fantastique dans un milieu urbain et banal est également un aspect intéressant du film. En cela, on se rapproche un peu de Candyman et son boogeyman hantant les HLM. Si l’on ne connait pas le réalisateur, ou si l’on n’a pas vu les bonus dans lesquels il donne clairement ses intentions, on pourra être quelque peu perdu par la narration. Si le récit démarre dans un style “social”, grâce à Jim Sturgess qui exprime physiquement son extrême mal-être, on tombe ensuite dans le fantastique lorsqu’apparaissent des démons encapuchonnés au sourire carnassier. C’est même un autre monde que découvre Jamie, soumis à des règles toutes nouvelles et qui pourront sembler illogiques si l’on ne comprend pas le postulat sur lequel repose le film, révélé tardivement et de manière un peu obscure.

Peu importe ces menus défauts, l’ambiance très spéciale du film prend le dessus, tout comme dans Darkly Noon. On a l’impression d’être en terrain connu, mais malgré les passages rassurants, il règne toujours une menace sourde et pesante sur le personnage principal.

Dvd et blu-ray sont disponibles chez Free Dolphin. Même si on a vu mieux en terme de qualité d’image, le blu-ray rend hommage à la photographie du film et notamment ses scènes nocturnes et ses vues d’ensemble sur les blocs d’immeuble de l’East End de Londres. En supplément, on retrouve une intéressante rencontre avec Philip Ridley dans un salle de spectacle underground, que le métro fait trembler à chacun de ses passages ! Et aussi : le making of, Jim Sturgess live, bande-annonce, commentaire audio.

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