4H44 : DERNIER JOUR SUR TERRE d’Abel Ferrara

La crise tentaculaire, la propagation du chômage de masse, et le racket généralisé de petits pains aux chocolats à la sortie des écoles, nous feraient presque oublier la principale menace qui nous condamne tous à court terme.
L’esprit humain a beau être doté de cette faculté étonnante lui permettant d’éluder copieusement les gouffres métaphysiques qui l’entourent, pour se focaliser sur d’ingrats et futiles problèmes existentiels, dans moins de deux mois maintenant, il ne s’agira plus de faire l’autruche.
Car qu’on le veuille ou non, ce sera le dépôt de bilan, le solde de tout compte, la clé sous la porte sans sommation pour toute les populations (et inutile de venir réclamer sa caution).
L’approche de l’apocalypse annoncée, le 21 décembre de cette funeste année (on le rappelle, au cas où vous comptiez vous ruiner inutilement en cadeaux de noël), à défaut d’inquiéter les esprits, alerte et inspire de plus en plus les cinéastes de tout bord : des faiseurs de blockbusters (l’emphatique 2012 de Roland Emmerich, grand balayage à l’échelle planétaire, brassant autant les océans que les cornets de pop-corn) aux  visionnaires dogmatiques (l’angoissant Melancholia de Lars Von Trier, lente mise à mort introspective, se posant comme la parfaite antithèse du film précité).
Bien décidé à apporter sa pierre à l’effondrement de l’édifice terrestre, Abel Ferrara (metteur en scène-fossoyeur de destins brisés) choisit, pour illustrer le dernier acte de l’humanité, de se focaliser sur le milieu qu’il côtoie et qu’il dépeint le mieux : le microcosme arty new-yorkais.
Un linceul qui pouvait paraître taillé sur mesure pour celui que l’on considère (à raison), dans le milieu, comme un ver solitaire et noctambule de la grosse pomme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Las, ce film docile et mollasson, prétexte à une rédemption cinématographique (le 7eme art n’étant manifestement plus l’exutoire qu’il fut pour ce révolté des 90ies) déçoit par son cruel manque de raideur et son absence totale de noirceur, deux qualificatifs autrefois constitutifs du cinéma de Ferrara.
Pourtant, les choses semblaient prendre une bonne tournure.
Dans le premier quart d’heure, l’auteur de Bad Lieutnant, brosse sommairement le tableau vétuste et fait mine d’expédier la symbolique mortifère du couple en quelques scènes : lui (Cisco) est un auteur qui accuse un bon vécu, elle (Skye) une jeune peintre figurative qui fleure bon la candeur mélancolique; leur amour vit ses dernières heures dans un huis-clos meublé, ultime bastion d’une certaine élite intellectuelle, d’un certain rêve américain, amené à bruler en plein vol… Comme le reste.
Brimbalés entre le tumulte du glas médiatique (un téléviseur assourdissant, se faisant l’écho d’un monde sur la fin) et leur gestion toute personnelle de leur angoisse face au grand saut à venir (lui cherche à se raccrocher à ses proches via les réseaux sociaux, elle, au contraire, à se soustraire au monde en se noyant dans l’art), ils se retrouvent physiquement sur le terrain de l’étreinte charnelle : l’acte sexuel étant célébré comme la plus primaire des odes à la vie.
Une séquence que Ferrara filme d’ailleurs avec une grâce et une justesse sulfureuse, entrelaçant ses plans avec un érotisme assumé, mais qui, malheureusement, sera l’unique marque de bravoure d’un film amené à se perdre par la suite dans les redondances et les discours stériles ou dérisoires.
Car passée cette scène d’exposition, c’est peu dire que le réalisateur ne s’expose pas beaucoup aux enjeux soulevés par son sujet.
On y voit le personnage joué par William Defoe (en plein mimétisme avec le réalisateur) déambuler longuement dans l’appartement, à la recherche de quelque chose à faire pour combler ses dernières heures, pendant que sa compagne recompose inlassablement son ultime tableau en l’aspergeant de gouache (faire et refaire, c’est toujours exister … Mouai : ”- En neuf lettres”, ” – pas mieux” : Lapalisse !).
Suspendu à la toile avec le reste de sa sphère privée, envieux de savoir comment eux gèrent (mieux que lui) ces précieux instants, Cisco tue son temps (et le notre), devant des programmes télé lénifiants, ressassant aux travers des allocutions journalistiques comment le pire aurait pu être évité, alignant des montages d’images documentaires bien clichées (façon : la fin de la terre vue du ciel), ou donnant en prime time la parole à ces gourous illuminés  qui dispensaient jusqu’alors leurs allégories mystiques aux coins des rues.
Des scènes bien lourdingues, filmées avec la mollesse d’un traine-savate.
Et lorsque le protagoniste s’échappe sporadiquement de sa cage, c’est pour hurler au balcon, dans un monologue balourd, que l’humanité a été bien mal inspirée de ne pas écouter que tout cela lui pendait au nez.
L’apocalypse selon Ferrara se résumant alors graphiquement à des voisins se jetant par la fenêtre par peur du pire.
On a connu le réalisateur plus imaginatif sur la forme et surtout plus subtil sur le fond.
Heureusement, il retrouve in extremis de sa verve, un peu plus tard dans sa narration (mais mieux vaut ça que jamais), lorsque enfin décidé à faire sortir son héros tourmenté hors de son bunker, il le campe dans un débat intime (avec d’anciens compagnons de galère) autour du droit à disposer de sa vie et donc de sa mort (forcément lié à la thématique de la drogue).
Prémisse d’une scène forte où Cisco s’accordera la faiblesse de vouloir replonger une dernière fois.
Une petite secousse dans un film fatigué, affichant jusque dans son dernier acte une sérénité un peu tarte.
On comprend bien ce vers quoi le réalisateur a voulu nous amener; cette idée qui veut que la véritable anxiété n’est pas tant associée à ce temps x (qui doit, à terme, tous nous tuer) que dans le temps qu’il nous reste à tuer pour justement y arriver.
On aurait simplement aimé que Ferrara ne filme pas le dernier jour sur terre comme une journée passée dans un atelier pôle-emploi.

Sortie cinéma le 19 décembre 2012 (bien vu !)

2 commentaires sur “4H44 : DERNIER JOUR SUR TERRE d’Abel Ferrara”
  1. “On aurait simplement aimé que Ferrara ne filme pas le dernier jour sur terre comme une journée passée dans un atelier pôle-emploi.”

    Yeah !

    Superbe critique.

  2. Thanx Léo 😉
    En espérant que Ferrara retrouve un jour la flamme …
    Pour avoir revu The Funeral récemment, c’était quand même d’un autre niveau !

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