Je m’en vais vous parler d’un temps, que les moins de 20 ans pourront désormais remettre, celui où Fantastic’arts, autrefois cadet des festivals de genre hexagonal, rattrapa en longévité son illustre ainé, le défunt et sur-réputé festival du film fantastique d’Avoriaz (une institution telle, que dans l’inconscient collectif, beaucoup le croient toujours en activité) ; réussissant ce pari dans le temps, de faire durablement son trou en territoire vosgien.
Même si, à de nombreuses reprises, on ne fut pas loin de souffler des cierges sur son gâteau d’anniversaire, le bien-nommé Gérardmer (imposant finalement, par une notoriété conquise, son lieu d’encrage comme appellation de la manifestation), tel un increvable zombi, aura su traverser les crises, externes (principalement les débandades de sponsors et autres investisseurs locaux) et internes (celles d’un créneau caduc, peinant à injecter du sang neuf dans une industrie artistiquement formatée) pour couvrir tout de même deux décennies de cinéma de genre.
Alors bien sûr, on pourra légitimement trouver à redire sur le manque d’ambition de la sélection officielle cru 2013, surtout pour la mise en relief d’une telle célébration (on n’a pas tous les jours 20ans au pays des morts-vivants).
Une faiblesse par ailleurs pointée du doigts par le président du jury, Christophe Lambert (autre increvable du genre) en prologue de son discours de remise des prix, n’hésitant pas à faire part d’une déception collégiale (les autres jurés impliqués, étant tous des metteurs en scène confirmés) quant à la qualité des films présentés.
Il est vrai que l’on avait été habitué à beaucoup mieux de la part d’un festival défricheur, qui fit notamment émerger la face poétique de Peter Jackson (Heavenly Creatures), révéla de grandes figures du fantastique comme Jaume Balaguero, Kim Jee-Woon ou Hideo Nakata, et qui célébra de véritables petites perles de SF avant-gardistes comme Cube ou Norway of life, et d’horreur intimiste comme Dellamorte, Dellamore, May ou plus récemment Morse.
Dans un contexte de vache maigre (privilégiant la mixité internationale à l’audace), remettre aujourd’hui le grand prix très chéri à Màmà, grosse production Universal, dont le succés en salle est déjà tout tracé, c’était effectivement servir la soupe à un ogre qui n’en avait pas véritablement besoin.
Mais quand la concurrence rivalise de ridicule, de paresse ou d’hors-sujet, on ne peut que s’en remettre à ce choix totalement justifié.
Bref, pas de quoi parader comme au temps des 10ans (2003 restera comme l’édition faste et phare de Gérardmer), mais pas non plus de quoi se désoler car, soyons juste et fairplay, il y avait également de belles surprises au programme cette année.
A commencer par The Bay, célébrant le retour inattendu de Barry Levinson, grand faiseur hollywoodien (dont le nom est associé à des locomotives à oscars comme Rain Man, Sleepers ou encore Good Morning Vietnam) par la petite porte du film de terreur urbain.
Et forcé de constater que ce qui n’avait pas réussi à Coppola pour son come-back (son récent Twixt s’avérant aussi boiteux et anecdotique qu’une œuvre de jeunesse comme Dementia 13, c’est dire !), semble a contrario en mesure de redonner du crédit à l’auteur de Sphere (pourtant jusqu’ici fâché avec les fans de genre, justement à cause de cette purge précitée).
Pourtant, dans sa forme, The Bay repose bien plus sur un concept rusé que réellement novateur.
Présenté comme un documentaire clandestin, révélant au monde les ravages d’une pandémie dévastatrice, qui aurait sévi sur les côtes d’une petite ville du Maryland, lors de la fête nationale (avant d’être médiatiquement étouffée), le film déroule sa narration autour d’un assemblage d’images vidéos composites (found-footage amateur, upload internet, rush de vidéosurveillance ou de caméra embarquée, jusqu’aux images confisquées de deux journalistes locaux, servant ici de fil conducteur). Tiré de la confidentialité par un dérivé de wikileaks, le tout nous est vendu comme un montage relatant les faits tels qu’ils se seraient déroulés chronologiquement.
Seule véritable nouveauté de ce genre dans le genre (la vidéo rapportée), la variété de point de vue.
Elle y est d’autant plus intrigante qu’on ne voit, pour ainsi si dire (et comme souvent avec ce type d’images), quasiment rien (le spectateur guettant chaque nouveau segment dans l’espoir d’en apprendre un peu plus, tout en redoutant ce qu’il va entrevoir).
C’est là toute la force de la mécanique persuasive du métrage, qui joue constamment sur une remontée épisodique des symptômes, filmés de façon épidermique mais presque toujours approximative (lorsqu’ils ne sont pas tout simplement relégués en arrière plan ou hors champs).
A l’image de cet épisode nocturne, peut-être le plus terrifiant du métrage, ou l’action nous est décrite au travers de la ci bi d’un véhicule de police (par un officier hystérique, ayant investi le lieu infecté), alors qu’à l’écran, seul nous est donné à voir un plan fixe sur l’extérieur de la maison. Effet saisissant !
Si l’artifice fonctionne globalement plutôt bien, il n’évite malheureusement pas l’écueil de parfois tirer autant sur la corde que ses idées par les cheveux (tout se serait déclenché en une seule journée ? … Faudrait voir à pas pousser mémé dans le marais), comme lorsqu’il nous présente des vidéos préalablement décrites comme endommagées, scénarisant des scènes de la vie quotidienne sans véritable intérêt, si ce n’est leur chute, l’enregistrement pixélisant justement au moment le plus inopportun (on nous fait décidemment toujours le coup depuis le final de Blair Witch).
Le mieux que l’on pourra donc observer, se résumera à quelques échappées pas très belles de bugs hors d’organismes aquatiques puis humains, et de poussées de cloques franchement ragoutantes.
En muselant ainsi son aspect sensationnel, à contre-courant des derniers films inscrits dans cette catégorie (Cloverfield ou le dernier exorcisme visant plutôt l’excès ), The Bay se démarque par une forte propension à la suggestion et à l’amateurisme réaliste, qui n’est pas sans rappeler les Documents Interdits de Jean Teddy Filippe, qui distillèrent un doux parfum de psychose collective par le biais de nos petites lucarnes à la fin des années 80.
Preuve surtout que, dans le domaine de la peur, comme ailleurs, rien ne se crée, tout se transforme, et que le canular d’Orson Wells de 1938 aura su faire école.
Levinson ayant bien compris que l’angoisse de voir débarquer des martiens n’inquiète désormais plus grand monde mais que notre mépris total envers l’écologie a largement de quoi nous faire psychoter sur le retour de bâton.
Autre bonne surprise, autre film efficace sans être véritablement original, You’re Next restera comme le neo-slasher qui aura secoué une sélection un peu trop sage dans son ensemble.
On s’étonne d’ailleurs qu’il ne soit pas reparti avec le prix du public, tant sa première projection suscita un réel enthousiasme, pour ne pas dire une véritable liesse populaire (chaque meurtre perpétré à l’écran, s’accompagnant de hurlements généralisés, jusqu’à un final diablement fédérateur).
A décrire, You’re Next serait un mix entre le Assaut de Carpenter et 10 petits nègres d’Agatha Christie (un soupçon d’ironie en plus). Une maison luxueuse (pleine de pièces où se réfugier), une réunion familiale autour d’un diner ( au cour duquel les antagonismes ressurgissent rapidement), deviennent le théâtre d’une hécatombe sans logique apparente ; chaque membre (ainsi que son conjoint respectif) se trouvant pris pour cible par un snipper … A fléchettes. Oui, le détail peut prêter à sourire, mais c’est justement l’ambition d’Adam Wingard, qui prend un malin plaisir à détourner adroitement les codes du film d’invasion domestique, à grand renfort de pirouettes scénaristiques. Judicieusement, mais sans verser dans la parodie analytique à la Scream, l’idée étant de prendre à revers certaines ficelles du genre pour mieux vous surprendre et gagner en efficacité… mon enfant.
Ainsi, il enchaine des rebondissements jouissifs pour une salle rodée à ce genre de films, en évitant toute caricature; l’héroïne aspergeant son agresseur d’une soupe … froide ; une autre protagoniste se proposant de tracer chercher de l’aide (après avoir venté ses qualités d’endurance) se voit froidement stoppée sur le palier (gloups !). Un détournement qui s’applique au comportement même des personnages : des victimes à la peau dure, affrontent des tueurs maladroits, parfois émotifs.
Drôle, mais d’un zest seulement, You’re Next sachant rester suffisamment violent et premier degrés pour ne pas lâcher prise.
Le tout baigne dans une ambiance très eighties (la musique y est pour beaucoup) et référentielle (impossible de ne pas voir dans l’actrice principale une résurgence du personnage féminin défini selon le canon Cameronien, révélant sa force et son habiliteté dans l’adversité). On s’amusera également à chercher Ti West invité dans le casting à faire un caméo, détail d’autant plus cocasse, que le métrage ressemble fortement (dans l’esprit) aux réalisations de cet autre amoureux du cinéma des années 80, passé de l’autre côté de la barrière.
Bref, You’re Next (rien que le titre est un geek-tease !) s’avère être une bête de festival et un film plutôt rock n’roll (est-ce d’ailleurs un clin d’œil si les assaillants sont coiffés de masques d’animaux à la Queens of the stone age ?) qui tire forcément sa plus-value et voit son impact renforcé par l’effet de masse, là où il risque un plat en visionnage solitaire via dvd.
Vous êtes prévenus pour le s.a.v. !
Côté péloches en demi-teinte, reparties chacune avec une récompense, deux films qu’on décrira presque aussi attirant que frustrants, comme ces beaux gâteaux qui font instantanément détourner l’œil sur la devanture d’une boulangerie mais s’avèrent finalement un peu bourratifs une fois dans l’assiette.
Beberian Sound Studio tout d’abord (la meilleure part) qui, avec son titre énigmatique, son affiche inspirée de 4 mouches de velours gris, et son pitch hors norme, avait de quoi nourrir les fantasmes de la tranche la plus cinéphiles des festivaliers (surtout les amoureux du cinéma italien des années 70, âge d’or des expérimentations graphiques et sonores débordantes).
1976, dans le Berberian Sound Studio, miteuse antichambre de postproduction italienne où se double des films de genre plutôt corsés, nous suivons Gilderoy, vieux garçon anglais, bcbg et renfrogné, mais ingénieur du son émérite, embauché bien malgré lui (et parce qu’il faut bien en vivre), sur la dernière réalisation d’un maestro mégalo (qui a dit Argento ?) de l’horreur transalpine.
A mille lieux de l’atmosphère bucolique de ses précédents travaux (illustrations sonores de documentaires champêtres), Gilderoy se retrouve ainsi plongé dans l’univers hostile des films d’exploitation, entre actrices rugissantes, techniciens capricieux et bureaucrates récalcitrants. A mesure que les comédiennes (au talent contestable) se succèdent pour enregistrer leurs hurlements, et que d’innocents légumes, destinés aux bruitages, périssent sous les coups répétés de lame de couteaux, notre british introverti perd progressivement pied avec la réalité.
On aurait aimé pouvoir vous dire que ce film, initialement pensé et conçu par son créateur comme un hommage sincère à tout un pan de l’industrie du cinoche de genre, est une totale réussite.
D’autant qu’il s’avère plutôt captivant sur ses 40 premières minutes, réussissant l’exploit de mettre en image un univers exclusivement auditif, en lui donnant une consistance visuellement oppressante (tel un étau se resserrant autour de Gilderoy), en alternant des plans étriqués sur des visages grimaçants, en utilisant des monochromes agressifs pour recomposer la réalité sur le modèle de la fiction, et en tirant de l’obscurité des éclairages diffus faisant ressembler un amas de fruits décomposés à des viscères.
Fidèles à l’image clichée mais attachante qu’on pouvait s’en faire, les protagonistes parviennent même à susciter toute notre sympathie : le faiseur de série B prétentieux et évidemment obsédé de la cuisse, le superviseur faisant mine de travailler pour la gloire, la doubleuse ambitieuse qui trouve à redire sur son texte, et la secrétaire aigrie braquée contre les directives.
Une belle galerie … Mais qui mène où ? …
C’est la question que l’on aurait aimé poser à Peter Strickland qui, derrière sa belle patine, patine justement. Figé sur sa note d’intention, celle de décrire scrupuleusement l’envers phonique de ces bobines qui nous ont tant fait cauchemarder (et aimer furieusement le genre), mais sans jamais céder à la tentation de faire basculer son film de l’autre côté du miroir.
Pas faute d’y avoir mis un pied pourtant, on croit même assister à un tournant scénaristique lorsque la pellicule se consume à l’écran, pour laisser place aux délires visuels issus de l’inconscient du protagoniste.
Mais il ne s’agira en fait que d’un rebondissement de courte durée, l’intrigue retombant maladroitement sur ses lobes, pour finir sa marche, droit dans le mur … du sourd (n’ayant plus grand-chose d’autre à raconter pour nourrir son sujet, Strickland s’enferme dans la redite, répétant inlassablement ses séquences de litanies en cabine et ses poignardées de pastèques).
Pour un film supposé carburer à l’essence du genre, tomber en panne sèche, c’est ballot !
Autre sortie de rail, qui nous aura lamentablement laissé en pleine cambrousse, après nous avoir bien accroché au premier wagon (ah ! Ces maudites demi-heure qui nous font tant espérer), The End, de l’espagnol Jorge Torregrossa.
Ce film avait pourtant le mérite de se démarquer dans sa trame de la sempiternelle thématique de l’enfance, marque de fabrique quasi-indélébile du cinoche de genre hispanique.
Il y avait même, en exergue, matière à renouveler le canevas des films apocalyptiques (amenés à se faire beaucoup plus rares désormais, le buzz de la fin du monde annoncée étant aujourd’hui soldé).
Un groupe d’amis, qui s’était donné rendez-vous dans dix ans (même jour, même heure, même pitch à la con vu dans x films), se retrouvent le temps d’un week-end dans un chalet de montagne.
Tous répondent présents, excepté Angel, aussi connu du groupe sous le mystérieux pseudo du Prophète (Angel / Prophète … Ok rangez le stabylo, on a compris je pense).
Une sombre anecdote ( tenue secrète pour le spectateur mais partagée par tous ses anciens camarades), entoure justement ce personnage, qui s’avèrera être l’initiateur des retrouvailles du groupe (vous sniffez le slasher-vengeur à plein pif ? … Tss, tss, ici, c’est une autre colle qu’on veut vous mettre dans le nez).
Coupure d’électricité, véhicules sabotés, brouillage de réseau téléphonique, puis disparition progressive de chacun des protagonistes, la tension monte, d’autant que, dans ce paysage champêtre, toute vie humaine semble avoir disparue, et que la vie animale semble régner en maitre.
Et puis, il y a ce personnage, Félix, qui agace, parce qu’il fédère, et qui tient en sa possession un carnet de croquis illustrant chronologiquement toutes les bizarreries rencontrées par la bande. Quèsaco ? Que paso ? … N’attendez surtout pas de réponse, car vous en serez pour vos frais.
Fin (titre original, prononcé à l’espagnol SVP), étant le stéréotype du film d’ambiance fantastique où l’on reste justement sur sa fin (merde, c’était donc un panneau d’alerte ce titre !) ; volontairement énigmatique, faussement intello, mais véritablement mégalo, et qui, ‘in fine’, ennuie beaucoup plus qu’il n’intrigue.
Manifestement Torregrossa a du beaucoup aimer la série Lost (et peut-être aussi son succès public), et s’est dit qu’il y avait là matière à faire un film dans le même genre ; le bougre reprenant même à son compte le plan du crache de l’avion, à mi-parcours …
Ceux qui ne dormaient pas déjà, auront relevé le clin d’œil (ou plutôt la poutre dans l’iris). Car ne cachons pas qu’il aura fallu lutter pour ne pas s’endormir sur les longueurs de cette bobine tenant plus de la ballade pastorale (privés de voitures, les personnages se déplacent exclusivement à pieds ou à vélo) que de l’expérience véritablement anxiogène (faute largement imputable à un rythme laborieux et une photographie bien trop flatteuse de ses jolis décors à ciel ouvert pour inspirer la peur).
Plus que d’un phénomène télévisuel terminé en eau de boudin, le réalisateur aurait mieux fait de s’inspirer de l’oppressant film australien Long Weekend (l’original de 1978 et non son ridicule remake), pour tenter de retrouver un peu de cette hostilité naturelle qui manque cruellement à son film, las, inoffensif.
On s’étonne encore que cette première œuvre, bien plus présomptueuse qu’ambitieuse soit repartie avec les honneurs du prix de la critique (partagé donc avec Berberian Sound Studio).
Pas foncièrement contre la dispense d’encouragements (raison invoquée pour la remise de cette récompense), mais à mon époque, il fallait au moins la moyenne pour les obtenir.
Dur-dur, par contre, de voir repartir bredouille Michael Bartlett, pétulant californien, pourtant venu sous le bras avec une très belle surprise (et une exclusivité pour le festival) nommée House of the last things.
Une œuvre esthétiquement exigeante, certes pas totalement exempte de travers, notamment dans sa dangereuse propension à confondre hommage et plagiat (le savoir-faire de Kubrick et de Lynch s’y trouvant largement sollicités), mais suffisamment raffinée pour gagner notre intérêt.
L’histoire n’était pourtant pas plus engageante que cela au départ : Un critique de musique aisé et sa femme, encore secouée par un traumatisme passé (décidemment, le fantastique est en manque de psy !), décide de s’offrir une escapade à Venise pour faire le point. Il laisse la garde et l’entretien de leur demeure cossue entre les mains de Kelly, une jeune étudiante, qui en profite pour y faire venir son jeune frère attardé avant que son loubard de petit ami ne s’invite également dans les murs. L’intrigue dégénère lorsque ce dernier décide de kidnapper un gamin sur le parking du supermarché local pour en tirer une grosse rançon.
Problème, même au bout de quelques jours, aucun média ne semble faire état cet enlèvement, et le petit garçon s’avère être de nature très obscure.
La grande force de ce film (ou plutôt sa grande classe) est de savoir développer son intrigue de manière sinueuse, en s’appuyant sur un montage complexe, des protagonistes à la personnalité ondoyante (portés par des acteurs surprenants) et des dérives scénaristiques insolites, qui parviennent à faire glisser le spectateur avec délicatesse dans un fantastique arachnéen.
Une rigueur de traitement qui s’applique également au cadre, balisé de nombreux symboles (chaque élément de décor, chaque couleur, étant soigneusement employé à des fins éclairantes, sans pour autant lever totalement le mystère qui entoure l’imposante résidence).
Ainsi, et sans en avoir l’air (les gros sabots étant laissés sur le palier), le réalisateur parvient à revisiter subtilement le film de maison hantée à force d’inventivité narrative : lorsque le changement vestimentaire des personnages accompagne une modification comportementale, ou encore quand l’environnement musical (le propriétaire étant mélomane) imprègne la bande son jusqu’à modifier la structure même de l’intrigue (entrecroisement de lents mouvements de caméra, calés sur un adagio, avec des séquences bien plus vives relevant de l’allegro).
Tous ces détails de scénographie, associés à une dialectique de l’image, renvoient directement à une approche propre au cinéma des années 60/70.
Un peu désuette, mais tellement captivante.
Comme cette jolie séquence d’introduction (sorte de petit film dans le film) qui revisite à sa manière les génériques Hitchcockien avec une pointe d’humour et attise d’entrée la curiosité.
Ou encore ces clins d’œil esthétiques lancés au chef d’œuvre trop peu connu de Nicolas Roeg, Ne vous retournez-pas, quintessence du film d’angoisse ultra-stylisé.
Trop casse-tête pour être honnête diront les mauvaises langues ?
Pourtant, un tel reproche n’avait pas été imputé ni à Donnie Darko, ni à Brick, deux œuvres récentes qui entretiennent avec le film de Bartlett une fantaisie de ton et une exigence de forme, beaucoup trop rare à notre époque.
Ah, et puis, détail qui n’apporte rien, sinon un simple plaisir cinéphile : on y retrouve derrière le rôle titre de Kelly, Lindsay Haun, chère petite tête blonde meneuse de troupe du village des damnés (version John Carpenter) et qui a (belle et) bien grandi depuis.
Bref, dommages que cet intriguant métrage est été ainsi snobé ; espérons seulement que ce manque de reconnaissance ne lui inflige pas une simple sortie dtv par chez nous.
Nous n’en voudrons par contre aucunement aux distributeurs des films post-cités, si jamais ils décidaient de sanctionner par un tel châtiment les trois maillons faibles de la sélection (sur lesquels nous passerons en mode raquette; profitant qu’il y avait un peu de neige sur place pour bien les tasser sous nos pieds).
Commençons (déférence oblige) par le nouveau Hideo Nakata, dont on attendait autre chose, pour accompagner son grand retour, qu’une pale et piètre copie de Dark Water (ce que s’avère être en définitive The Complex).
Déception d’autant plus grande, que l’auteur de Ring avait su prouver par le passé qu’il était capable de proposer un cinéma de genre japonais, purgé de fantômes à longues tignasses, tout en restant sérieusement efficace (le pernicieux thriller Chaos).
The Complex lui, nous rabat la carte du film de malédiction, ancré dans un lourd contexte social (l’isolement d’une personne âgée succédant au calvaire de la modeste mère célibataire, mais l’histoire restant grosso modo la même).
Il faudra qu’une jeune infirmière recompose le puzzle autour des apparitions fantomatiques d’un chérubin aussi triste qu’inquiétant pour espérer retrouver le sommeil.
Rien d’original à signaler dans ce long métrage feignant, qui nous impose une séquence d’exposition interminable et des effets de réalisation obsolètes.
Reste un climat poisse, dont Nakata maitrise toujours les contours, et une bande originale vraiment terrifiante signée Kenji Kawai (compositeur clés de Mamoru Oshii), qui sauve les meubles du vide-grenier.
Coté brocante, on peut par contre se demander si le programmateur n’a pas carrément fait les encombrants pour aller nous dénicher les deux purges que sont The Crack et Zombadings (enfin, Zombadings 1, précision qui laisse augurer du pire pour la suite).
Sans doute dans un souci de faire le focus sur le cinéma fantastique Colombien et Philippin (nationalités respectives des deux films) qu’on n’a pas coutume de voir représentés, il est vrai.
Cependant, ce n’est certainement pas ces purs nanars qui nous donneront l’envie de creuser plus en profondeur leur catalogue.
Le premier, carrément hors-sujet (il y a bien une scène de meurtre en bout de course, mais sans aucune appartenance au genre), nous déballe un règlement de compte familiale tout en retenue sur près d’une heure quarante qui en paraissent le double.
Attirance muselée, désir caché, sombre secret, antagonisme affiché, on croirait assister aux sinistres déballages intimes des plateaux télé de Mireille Dumas.
Filmé par un manchot (de lents mouvements de caméra ascendant sans aucune logique), joué par des pingouins (on a parfois envie de leur couper des ognons sous le pif pour que leur pleurs soient crédibles), tout relève ici du fiasco.
Même Lambert, côté jury, probablement au bord de la crise de nerfs, avait fini par se lever de son siège 20 minutes avant la fin ,accroché à la porte de sortie comme pour être certain de fuir le premier ce calvaire.
Découpé en carton (jour 1, jour 2, jour 3) c’est un tonnerre d’applaudissements qui accompagna, côté public,l’annonce de l’ultime séquence, preuve (s’il en était besoin) que le ras-le-bol était unanime.
Moins gonflant, mais complètement idiot, le navet philippin avait lui bien plus sa place dans la soupe du soir (la nuit fantastique réputée pour ses zèderies réservées aux insomniaques), entre le Sushi Tueur et le gang full-monty-piteux de New Kids Nitro, qu’au sein de la sélection officielle.
Grotesque dans sa gay-friendly attitude, bariolée d’honteux clichés (homo et transsexuels sont mis à la même enseigne) il se paye l’outrecuidance incohérente de déboucher sur une morale carrément homophobe.
Le prétexte fantastique ? Une malédiction qui s’abat sur un jeune macho gouailleur qui va devoir lutter contre un mal intérieur pour ne pas virer sa cuti, au moment même où il tombe amoureux d’une jeune étudiante au caractère bien trempé. D’autant qu’un autre mal, extérieur, sévit, un serial killer s’attaquant exclusivement aux invertis.
On rajoutera que des zombis follasses viendront saigner vengeance dans le dernier tiers du film pour appuyer l’argument fantastique.
Aussi moche qu’une sitcom et finalement presqu’aussi con que les grasses paillardises italiennes avec Alvaro Vitali, cette comédie adolescente en forme d’escroquerie du genre est en plus passablement drôle dans son insistance à surenchérir sur les travers efféminés.
On n’est en tout cas très loin des délires bien sentis d’Alex de La Iglesia, cas rare et désormais notoire, de réalisateur ayant su concilier farce pure et profond respect de la série B.
Mais ne restons pas sur cette fausse note, et évoquons enfin le fleuron de cette édition 2013 (soigneusement gardé pour la fin), le long métrage Màmà de l’argentin Andrès Muschietti.
Reparti avec la récompense suprême, ce film aura eu le mérite de faire consensus sur ses qualités, même si les allergiques à un certain classicisme (les mêmes qui auront tiqués sur le sacre de l’Orphelinat, Fragile ou La maison des ombres, primés dans ce même festival) ne seront pas franchement de cet avis.
Ok, entérinons une vérité, Màmà est bien une production Guillermo Del Toro (n’en déplaise à son auteur, qui voudrait nous assurer qu’il s’agit juste là d’un parrainage de convenance), et cela se ressent presque à chaque plan (l’atmosphère, l’histoire, les personnages, et cette approche anti-manichéenne des rapports aux êtres et au surnaturel).
Basé sur un (très)court métrage (largement rependu sur le net), qui s’en tenait à un simple plan séquence énigmatique, bousculé dans ses dernières secondes par une course poursuite terrifiante (mettant deux jeunes sœurs aux prises avec une mère fantomatique), le long développé par le duo Muschietti (Barbara, sœur d’Andrès est également productrice et co-autrice) a avant-tout l’ambition de raconter une histoire autour de ce premier jet uniquement sensoriel, sans portée narrative.
Le point de départ du synopsis étoffé, garde cependant sa part d’ombre.
On y voit un père de famille, paniqué, lancé à toute berzingue sur une autoroute, avec ses deux fillettes à bord.
Forcément le véhicule finit sa course dans le fossé, mais pas le trio de personnages, qui poursuit sa fuite dans les méandres d’une forêt, où une cabane à l’abandon leur sert de refuge.
Là, stupeur, le papa semble vouloir abattre une des bambines dans le dos à l’aide d’un petit calibre, jusqu’à ce que … Une entité ténébreuse ne l’arrache à son acte.
Un prologue qui nous fait bien comprendre que ce qui va se jouer à l’écran tournera autour du rapport entre l’humanité et la monstruosité, essence même du conte qui nous fit très tôt nous interroger sur cette énigme : finalement le plus horrible, est-ce d’échouer dans le chaudron de la sorcière ou d’avoir été volontairement abandonné dans les bois par ses géniteurs ?
Ce rapport entre la fable et le réalisme social, Muschietti se l’approprie avec réel talent, prenant le parti de bousculer les lieux communs.
L’état sauvage, dont sont extirpées les deux jeunes filles, en rupture avec le monde adulte, s’avère être un retranchement hospitalier (de leur point de vue), face à une tutelle imposée et hésitante (si l’oncle s’appuie sur les liens du sang, la tante, bassiste rock marginale, qui n’a pas de filiation avec les orphelines, se voie contrainte d’endosser le rôle de mère).
Dans ce contexte de réadaptation, aux contours fragiles, la menace est bien moins discernable et en tout cas plus sournoise qu’il n’y parait.
Intelligemment, le réalisateur fait d’abord émerger la sensation de terreur du comportement des fillettes farouches : inquiétantes, comploteuses, et évoluant de manière bestiale. Ce sont vers elles que se tournent en premier lieu toutes les craintes, avant que ne surgisse l’entité maléfique.
Si bien que l’archétypal combat bien contre mal, se trouve déplacé sur le terrain d’une reconquête sociale, dont le bien fondé incertain donne toute sa place au déploiement d’un fantastique imprévisible.
Cette nuance est concrètement relayée dans le film par un magnifique sens du cadrage, confrontant (parfois au sein d’un même plan) une vraie légèreté et une extrême tension (selon l’angle du protagoniste envisagé par le spectateur).
Idem pour l’apparition du spectre, qui se manifeste parfois par petites touches, non sans une pointe d’humour (faisant écho au E.T. de Spielberg) et d’autres fois de manière beaucoup plus graphique et menaçante, dérivant vers la pure terreur, avec des séquences chocs très inspirées des yurei eiga japonais (et je ne dis pas cela juste à cause des longues tresses de cheveux trainant par terre … D’ailleurs je m’en fous, ce n’est pas moi qui passerai le balais !).
L’autre force du film, c’est son encrage dramatique qui s’articule autour des angoisses liées à la maternité (et métaphoriquement enrobée dans cette histoire de fantôme contrarié): peur de perdre son enfant ou peur de devenir mère, peur de la maturité qui fait plonger dans la raideur adulte ou peur de l’enfance, souvent ingérable et indomptable; apprendre à devenir une ainée puis à souffrir l’émancipation de sa cadette, avant le déchirement de la séparation, pure est simple.
Le film brasse tout ça, avec beaucoup de justesse et de finesse.
Il s’appuie pour cela, sur un casting féminin solide et poignant ; deux petites prodiges, pas encore entrées en adolescence, qui par un réalisme féroce, sortent à grands coups de pieds l’enfant sauvage du fantasme Kiplinguien, mais aussi et surtout Jessica Chastain, qui (après Zero Dark Thirty ) prouve une fois encore son aptitude à endosser des rôles épineux et drus, loin de l’image effacée qui nous l’avait fait découvrir dans le Tree of Life de Terrence Malick.
J’aimerais pouvoir objectivement mettre un poil de sel pour nuancer tout cela ; vous dire qu’il y a parfois dans Màmà de grosses ficelles du genres, qui ressurgissent sporadiquement : des jump-scares un peu faciles, qui ne servent pas nécessairement la narration, ou une séquence de flashback rudement expédiée, sous un filtre disgracieux, pour nous expliquer le pourquoi du comment ce fait-ce que ce fantôme … enfin !
Seulement voilà, la séquence finale déploie une telle poésie funèbre (s’adossant fermement au happy-end de convenance), et dans un lyrisme gothique à la beauté visuelle si saisissante et lacrymale (c’est bien simple, on n’avait pas vu ça depuis le Labyrinthe de Pan) qu’on ne peut que baisser les armes sur de petites maladresses de style, qui n’entachent finalement en rien une forte impression d’ensemble.
Sur ce bel exemple de fantastique exigeant et respectueux d’une certaine idée du genre, cet article bilan touche enfin au but.
Désolé de vous avoir fait scroller autant, mais il fallait bien cela pour rendre compte fidèlement de ce qui s’est joué au pays du yéti cette année.
Je pourrais encore en remettre une tartine (si l’envie de confiture qui tache me prenait).Car Gérardmer, hors des sentiers de sa sélection, c’est aussi des hommages (cette année, un posthume, dédié au réalisateur multi-casquettes mexicain Carlos Enrique Taboada), des séances d’inédits vidéos (pas folichonnes, on vous rassure), des films hors-compète, combinant le très bon (Cloud Atlas et le retour en grâce des géniteurs de Matrix, mais l’on reviendra dessus, promis !) et le très mauvais (Hansel & Gretel … Lâchez-moi la jambe, je n’écrirai rien sur ce film, c’est une merde).
Aussi des nuits, trop longues pour en voir le bout, et des films lithuaniens, projetés à l’autre bout de la ville, à des horaires trop rapprochés du repas (si bien qu’après une raclette, on botte en touche … Pas vrai chef ?).
Allez, remballez les glaçons, fermeture du bar … Et rendez-vous l’année prochaine dans les Vosges, pour un nouveau cocktail glacial. Brrrr !
Remerciements chaleureux à Céline Petit, Annelise Landureau,Youmaly Ba, ainsi qu’à toute l’équipe du public système cinéma; à Michael Bartlett, Andres & Barbara Muschietti et Anaïs Lelong pour leur gentillesse et leur disponibilité.