La lame infernale


Un nouvel éditeur DVD indépendant, The ecstasy of films,  apparaît sur un marché aujourd’hui peu florissant. Il faut avoir du courage pour monter une entreprise d’édition, de surcroît réservée exclusivement au cinéma bis transalpin (pour le moment) sans passer par le support Blu-ray qui prend tout de même de plus en plus d’ampleur.

En attendant respectivement pour le printemps et l’été, l’excellent polar gore La guerre des gangs de Lucio Fulci et le déviant pré-slasher Torso de Sergio Martino, le premier titre de la collection est le rarissime La lame infernale.  Chef opérateur de renom (notamment pour les deux premiers westerns de Sergio Leone, Pour une poignée de dollars et Et quelques dollars de plus), Massimo Dallamano est une curieuse figure au sein du cinéma d’exploitation italien. Technicien plutôt doué, il n’est pas seulement un tâcheron capable d’emballer de bons petits produits violents et sexy pour un public avide de sensations fortes. Ses meilleurs films sont portés par une thématique intéressante, traitée de manière à la fois candide limite vicieuse : la perversion de l’innocence, toujours incarnée par des jeunes lycéennes victimes de la corruption d’un système en dérive. C’était déjà le cas du magnifique Mais qu’avez-vous fait à Solange, giallo déviant où le regard ambigu du cinéaste atteint une forme de paroxysme, entre fascination et répulsion sur fond d’avortement raté. La lame infernale n’est pas un classique giallo avec tueur à mains gantées zigouillant de jeunes femmes esseulées en détresse, mais une œuvre hybride, une sorte de thriller politique en vogue à l’époque et usant des codes esthétiques et rhétoriques du giallo. Le scénario complexe, voire confus, se démarque du cinéma de consommation courante.

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Dans une chambre fermée de l’intérieur, une lycéenne est retrouvée pendue. Le suicide semble évident. Mais rapidement, l’enquête nous révélera qu’il s’agit probablement d’un meurtre. Un juge d’instruction et un inspecteur vont découvrir que cette jeune femme était mêlée à un réseau de prostitution qui impliquerait d’éminentes personnalités du monde politique notamment. En parallèle, un motard armé d’un hachoir semble bien décidé à se faire justice lui-même.

Attention spoiler : Autant l’avouer tout de suite, la résolution de l’énigme, enfin l’identité du motard, se révèle obscure, pour la simple raison que je n’ai pas reconnu le visage du tueur. C’est un peu embêtant. Si quelqu’un peut éclairer ma lanterne sur ce point, je l’en remercie d’avance. Heureusement l’épilogue, d’un pessimisme extrême qui rappelle le cinéma sans rémission d’Elio Petri, boucle le film de façon magistrale, laissant un goût d’amertume comme seuls savaient le faire les films politiques italiens des années 70. Fin de spoiler.

Baignant dans un climat délétère de corruption et de vices cachés, La lame infernale demeure un excellent thriller réalisé avec efficacité. Massimo Dallamano multiplie les cadrages insolites et se fend d’une course poursuite détonante dans un immeuble usant de longs travellings ingénieux et d’une utilisation bizarre du grand angle. Le point de vue du réalisateur, moralisateur en surface, est transcendé par sa fascination morbide pour son sujet sulfureux. En effet, le regard qu’il porte sur les lycéennes qui se prostituent n’est pas très net. Tel un voyeur, il les observe par le petit trou de la serrure et met le spectateur dans une situation inconfortable. Mais cette ambiguïté fait toute la saveur de ce film inégal mais envoûtant.

La réussite de La lame infernale est aussi tributaire d’un casting de choix. Claudio Cassinelli, très bon en inspecteur, est un habitué du bis italien (Le continent des hommes poisson, Atomic cyborg). Il est entouré de la très jolie Giovanna Ralli (El mercenario), en dépit de son affreuse coiffure choucroute,  et de l’excellent Mario Adorf, une vrai gueule du cinéma italien que l’on a pu croiser chez Risi, Argento ou encore chez Fassbinder (Lola une femme allemande).

Du bon cinéma de divertissement à l’intersection du bis classique et du cinéma politique ambitieux d’Elio Petri ou Francesco Rosi. A découvrir.

(ITA-1974) de Massimo Dallamano avec Claudio Cassinelli,  Mario Adorf, Giovannelli Ralli

Durée : 1h27. Langues : Italien, Français. Sous-titres : Français. Son : Italien Dolby Digital 2.0 mono, Français Dolby Digital 2.0 mono . Image : 2,35 : 1, 16/9eme comp. 4/3

SUPPLÉMENTS :

– Bandes annonces des films à venir ( TORSO et LA GUERRE DES GANGS )
– Bande annonce originale
– Livret de 8 pages par Jérôme Pottier ( créateur et animateur de l’émission radio « Culture Prohibée » sur l’antenne de Graf’hit et auteur d’un futur livre sur le « Giallo » )
– Entretien avec François Guérif, historien du cinéma, spécialiste de la série noire et directeur de la collection Rivages/Noir
– Court métrage « Le Destin de Torelli » de David Marchand
– Entretien avec David Marchand, réalisateur de « Le Destin de Torelli » et « Lust Murders »
– Galeries photos, Lobby card et jaquettes étrangères


A propos de Manu

Docteur ès cinéma bis, Manu est un cinévore. Il a tout vu. Sorte d'Alain Petit mais en plus jeune, son savoir encyclopédique parle aux connaisseurs de films méconnus. Il habite près de Montpellier où il peut observer la faune locale : le collectif School’s out, l’éditeur le chat qui fume et l’éditeur Artus Films. Avec son air d’Udo Kier, il n’est pas exclu qu’on le retrouve dans une production de genre.

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