Passion de Brian de Palma

Parmi tous les grands auteurs du nouvel Hollywood, Brian De Palma est, avec dans une moindre mesure William Friedkin, le mal aimé de la bande, celui qui malgré quelques succès publiques et critiques, n’aura jamais pu s’enrichir et s’asseoir sur une respectabilité. Rarement considéré comme un grand cinéaste, il aura au mieux gagner les jalons de formaliste avec tout le côté péjoratif que ça implique. Depuis l’échec retentissant de Mission to Mars, la filmographie de De palma a pris un sérieux coup dans l’aile en dépit de ses passionnantes incursions dans l’univers ouaté de James Ellroy, avec le thriller sophistiqué Femme fatale et son faux documentaire rageur Redacted. Aucun de ses films n’a su trouver son public et les échos critiques restent mitigés.

Et pourtant, De palma, est, à mon sens, le plus grand cinéaste américain. Il partage avec Lynch ou Ferrara un désaveu qui l’a mis sur le bas côté. A tel point qu’il est forcé aujourd’hui de tourner en Europe pour trouver des financements. Suprême ironie. Il revient par la petite porte en réalisant un remake d’un film honorable mais sans grande envergure, Crime d’amour du regretté Alain Corneau. Qu’est-ce qui a pu motivé le cinéaste dans l’entreprise d’une telle reprise ? La réponse est pourtant évidente. De Palma n’a jamais réalisé des remakes de films qu’il admirait, il a toujours rendu son tribu à Hitchcock et aussi à Lang et Welles par des moyens détournés. L’ambition folle de Passion est de conjuguer la réunion improbable entre deux maîtres : Fritz Lang et Hitchcock. Le résultat est vertigineux, loin de l’exercice gratuit  et tape à l’œil redouté.

La brune la blonde et la rousse aurait pu être le titre un peu tiré par les cheveux de ce drôle de film. Pendant 45 mn, De Palma suit les traces du film de Corneau, reprenant à deux trois variations près la trame scénaristique. Soit l’histoire arachnéenne d’une relation perverse entre deux jeunes femmes dans une multinationale de publicité. Isabelle, la brune,  est sous le charme de sa supérieure, la très ambiguë Christine, la blonde manipulatrice tout droit sortie d’un film noir. Cette dernière profite de son pouvoir pour entraîner Christine dans un jeu de séduction et de domination qui finira par transformer leur relation en véritable enfer. Intervient alors dans le deuxième acte l’assistante lesbienne d’Isabelle, la rousse, qui va jouer un rôle central dans le dénouement de l’histoire.

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Conscient du potentiel narratif, De Palma brouille les pistes et n’ouvre pas son film par un morceau de bravoure avec un long plan séquence excitant et clinquant.  La mise en scène, sobre et rigoureuse, s’attache aux relations tordues entre les personnages. La virtuosité coutumière du cinéaste est en stand by. Du moins en apparence. Car à y regarder de plus près, l’attention portée aux décors, aux costumes, la rigueur du cadre et la lumière très papier glacée offrent une magnifique variation autour du chef d’œuvre de Fritz Lang, L’invraisemblable vérité. Les similitudes ne s’arrêtent pas là puisque le scénario en reprend les grandes lignes. Mais cette approche était déjà présente dans le Corneau. Et puis à la moitié du film, par un effet de césure totalement perturbant, Passion change de cap, devient un objet complètement schizophrène en bouleversant totalement les règles qu’il s’était fixé jusque là.

Isabelle rentre dans le bureau de Christine. Cette dernière  lui annonce qu’elle a essayé de la menacer par un mail. Brian De palma filme cette séquence avec un haut degré de sophistication : cadrage oblique dans une lumière bleuté. Mais une sophistication décadente et agressive qui évoquerait presque un Hollywood night de luxe. Passion bascule dès lors dans ce que De Palma sait faire de mieux. Il transgresse l’univers hitchcockien en multipliant les effets de mise en scène les plus inventifs qui soit, dont un split screen de toute beauté et d’une richesse plastique inédite. D’un côté la représentation du ballet L’après midi d’un faune et de l’autre la fameuse scène de meurtre. Le dispositif quasi-théorique est délirant. On a l’impression que les danseurs du ballet deviennent des spectateurs et assistent « au grand morceau de bravoure ». Rarement de Palma n’était allé aussi loin dans la pensée formaliste. Il interroge aussi notre place en tant que spectateur sur la notion de regard.

Toutes les obsessions depalmiennes refont surface : le double, la gémellité, les masques, sont des signes portés à un haut point de fétichisme. Le cinéaste érotise le moindre de ses plans qui baignent alors dans les splendides éclairages signés par le chef op attitré d’Almodovar, José Luis Alcaine. Et il utilise à merveille la musique faussement sirupeuse de Pino Donnagio, un de ses compositeurs fétiche (Pulsions, Blow Out, Body Double, L’esprit de Caïn). Noomi Rapace et surtout Rachel McAdams sont magnifiques de perversités rentrées. Les autres personnages n’existent pas, ils sont des figures archétypales sans envergure à commencer par le personnage masculin central totalement transparent.

Car Passion est un film de femmes fatales réalisé par un cinéaste lubrique et voyeur. Et libre comme jamais. Et la fin, renvoyant bien sûr à Pulsion et Carrie ravira les amateurs du cinéaste qui ne cesseront jamais d’admirer ses redites, ses répétitions, puisqu’elles sont au cœur même de son projet.

(FRA/ALL) de Brian De Palma avec Noomi Rapace, Rachel McAdams, Karoline Herfurth, Paul Anderson

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1 commentaires sur “Passion de Brian de Palma”
  1. Vu et bien apprécié malgré le pitch qui semblait foireux au départ (ça sent quand même fort le Basic Instinct).
    Effectivement, la mise en scène sublime l’intrigue, qui ne reste toutefois pas évidente. J’aime beaucoup les changements de rythme et d’atmosphère, le film étant divisé en trois actes.

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