Pieta, de Kim Ki-Duk

On avait un peu perdu de vue le cinéma exigeant et radical de Kim Ki-Duk depuis le magnifique Locataires. Ses deux derniers films sortis en salles (L’arc et Time) sont passés relativement inaperçus. Auréolé du Lion d’Or à Venise, Pieta nous arrive avec une réputation calamiteuse à en lire une certaine presse. A la lecture de plusieurs articles, je m’attendais à un festival de monstruosité, à un enchaînement ininterrompu de scènes de violence et de sexe à la manière des pires torture-porn.

Pieta est certes une expérience limite, une œuvre morbide, profondément désenchantée, un constat amer sur une humanité corrompue, laminée, détruite par l’argent et le capitalisme. Il s’agit sans doute du film le plus sombre et extrême d’un auteur pas encore remis de sa dépression. Pas le meilleur pour autant. En revanche, conscient de l’horreur du propos et de ce qu’il peut susciter comme malaise, Kim Ki-Duk, à l’opposée d’un réalisateur de film de genre, n’étale pas la violence à l’écran. Elle reste hors champs, jamais complaisante contrairement à tout ce qu’on a pu lire. Dérangeant, frontal et dénué de la moindre trace d’humour, Pieta raconte l’histoire d’un jeune homme limité, abandonné depuis sa naissance, qui exerce un drôle de métier. Recouvreur de dettes dans un quartier à l’abandon où règne la misère, il menace ou ampute de pauvres gens qui ne peuvent s’acquitter de leurs dettes. Un jour, il reçoit la visite d’une étrange femme qui prétend être sa mère. Se noue entre eux, une relation ambiguë, étrange, nourrie de masochisme et de manipulation. Et d’auto flagellation.

Parabole parfois pesante sur le système économique moderne qui aliène l’individu au point de lui ôter toute forme d’humanité, Pieta est aussi chargé d’un symbolisme religieux aussi agaçant que fascinant. Le titre est déjà une référence à la sculpture de Michel-Ange, plus ou moins reproduite sur l’affiche. Ayant abandonnée son enfant, la mère revient expier ses péchés, apporter aussi un peu de sens dans la vie de sa progéniture, vouée à la violence et  la souffrance.  Kim Ki-Duk filme cette relation tendue, plein de larmes contenues et de douleurs physiques, comme un chemin de croix jusqu’à la rédemption finale. Une rédemption qui tourne le dos au happy end de rigueur ou à la réflexion ambiguë d’un Scorsese.

Désespéré et cruel, Pieta est une peinture sans concession de la misère humaine, aussi bien matérielle que spirituelle. Kim Ki-Duk va tellement loin dans le nihilisme qu’il oublie toute partialité au point de délaisser la subtilité graphique de ses mises en scène épurées pour un style visuel grossier, sans artifice : caméra tremblotante, zoom avant et arrière, cadrage parfois approximatif. Il s’agit d’un choix artistique pleinement assumé mais épuisant sur la durée. On aurait aimé un peu de respiration, de poésie, de l’émotion. Tout ce qui faisait la puissance de Locataires ou de l’Ile, son chef d’œuvre.

Objet singulier et perturbant, Pieta marque néanmoins le retour d’un cinéaste qui a traversé une crise personnelle intense. Un film d’écorché vif, d’une subjectivité inquiétante qui nous fait douter de la santé mentale d’un auteur à part, une sorte de Takashi Miike qui aurait perdu totalement le sens de l’humour.

(Corée du sud-2012) de Kim Ki-Duk avec Lee Jung-Jin, Min-Soo Jo. Sortie en salles depuis le 10 avril

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