Only god forgives, de Nicolas Winding Refn


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Le couple gagnant de Drive récidive avec un film assez radical qui risque d’en surprendre  plus d’un. Ne vous attendez pas un Drive 2. Si c’est le cas, la douche froide est assurée. Drive était un splendide exercice de style qui parvenait à transcender sa violence graphique et son minimalisme grâce à une histoire d’amour plutôt touchante.

Only god forgives déroute dès ses premières images hypnotiques. Bienvenue à Bangkok ! Et bonjour les digressions, les fausses pistes. Le début annonce le film de boxe thaï, plein de sueur et de virilité. Puis, un personnage malfaisant apparaît. Tellement outré qu’il apparaît comme une pure abstraction, une incarnation du mal à l’état pur. Un type qui n’a qu’une envie, se taper une jeune prostituée et la torturer ensuite. Comme ça pour le plaisir. Une pulsion peu courante en somme. On  pense alors à une version asiatique de Seven ou du Silence des agneaux. Et bien non ! Encore perdu.

Ce psychopathe est sauvagement assassiné, vengé par le père de la victime, utilisé par un flic retors et impassible. Fou de rage d’apprendre le décès de son fils préféré, la mère, à la tête d’une organisation mafieuse, a bien décidé de se venger. Et c’est parti pour le film de vengeance basique. Pendant ce temps, Julian, le frère du taré, tenancier d’un club de boxe, et dealer notoire, hésite à agir. Drôle de film. Drôle de climat aussi.

Nicolas Winding Refn s’empare d’un récit débile, pas si éloigné que ça de certains films de baston avec Steven Seagal et le transforme en gros trip sensoriel d’une beauté visuelle sidérante, une sorte de thriller « mental » entièrement régi par les pulsions de morts. Refn cite Dieu dans le titre mais ne filme que l’enfer. Ce polar exotique est travaillé par des dispositifs radicaux proche du cinéma expérimental. Les acteurs ne jouent pas, ils posent.  Ils sont filmés comme de pures abstractions, des objets mouvants. Au mieux, ils sont le véhicule d’un symbolisme volontairement appuyé (la mère castratrice un peu sorcière sur les bords. Elle rappelle la mère de Lula dans Sailor et Lula de Lynch). Nicolas Winding Refn ne filme pas des personnages de chair et de sang pour qui on éprouverait de l’empathie mais des  marionnettes intronisées dans un décor cauchemardesque.  Le réalisateur de la trilogie Pusher pousse une certaine idée du maniérisme à son paroxysme, à un tel point que l’on finit par se demander si tout cela est bel et bien sérieux. L’hypothèse d’assister parfois à une auto parodie (volontaire ou non) n’est pas à écarter. La ringardise de certains dialogues laisse à penser que le danois s’amuse avec les clichés des séries B bourrines.

D’ailleurs la mythique réplique « Tu sais te battre ? » nous  plonge dans la perplexité la plus totale. Refn se foutrait-il littéralement de notre gueule ? J’en vois déjà certains gloser sur la profondeur métaphysique du film, dresser une liste de tous les symboles sexuels qui défilent et édifier les thématiques de Refn. Dit comme ça, vous pouvez pensez que je n’aime pas le film. Bien au contraire. Only god fogives est un mixte fascinant, culotté et parfois indigeste de Michael Mann, Alejandro Jodorowsky, Gaspard Noé et David Lynch, du pur cinéma de mise en scène, qui affiche fièrement son côté ostentatoire. La lumière a forte dominante rouge sublime des décors impressionnants qui nous emmènent dans un autre monde, un univers glauque, ultra-violent où les sentiments n’existent pas. L’incroyable synergie qui habite le film donne lieu à des séquences géniales comme la scène de torture où le flic demande à toutes les hôtesses présentes de fermer les yeux, tels des poupées mécaniques. Un moment de pur folie, une idée de cinéma comme on en rencontre peu.

Le problème, néanmoins, de cette proposition singulière d’un cinéma tout entier dédié aux sensations, est que, paradoxalement, il ne touche pas, ni n’émeut. On regarde cet objet impressionnant avec détachement. Un peu comme lorsqu’on visite une expo d’art contemporain ou entre respect, fascination et incompréhension, rien au final ne nous transporte. A contrario d’un David Lynch, chez qui l’émotion est à la source même de ses dispositifs formels, plus intuitifs que réfléchis, Refn pêche par excès de virtuosité et, plus gênant, une auto-célébration de son talent. Un film certes personnel et très fort, mais imbu de sa personne. Un point amusant : Ryan Gosling n’est pas le personnage principal du film, c’est une sorte d’ectoplasme mou, qui en prend plein la gueule, qui ne prend pas de décisions, qui ne sait pas vraiment s’exprimer ni se battre.

 (DAN/FRA-2013) de Nicolas Winding Refn  avec Ryan Gosling, Kristin Scott Thomas, Yayaying, Vithaya Pansringarm 

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4 commentaires sur “Only god forgives, de Nicolas Winding Refn”
  1. Tu as bien noté le côté auto-parodique avec lequel je suis d’accord, côté déjà présent dans Drive, dans Bronson aussi. Je pense que c’est loin d’être anecdotique, je pense même que c’est le sujet principal du film qui est exposé à travers l’impuissance de Ryan Gosling, qui est bien l’acteur principal du film mais pas son “héros”. C’est l’acteur principal dans le sens où c’est lui qui est la cible de l’identification des spectateur : le spectateur s’identifie à un impuissant qui se fait maraver la gueule. La première scène avec la prostituée montre ça : Ryan es tattaché à son siège et ne peu rien faire d’autre que mater, c’est le spectateur de cinéma. Plus tard il se fera insulter par sa propre mère, fera passer une prostituée pour sa femme pour tenter de sauver la face et se faire tabasser par un vieux thaï : c’est l’inversion des fantasmes qui montre la réalité. Critique d’une société du spectacle castratrice, c’est le film lui-même qui passe à tabac le spectateur dubitatif ou hypnotisé. Cette réflexion sur le voyeurisme, le spectacle et la mise en scène de la violence était déjà présente dans Bronson. On peu estimer que c’est aussi elle qui préside à la réalisation fameuse des 3 Pusher. Les “fausses pistes” font également parties de ce processus. Ce qui est déstabilisant, c’est finalement qu’on n’arrive pas à savoir si Refn se contente de se foutre de la gueule de ses spectateurs ou si il a un autre projet… mais dans ce cas, pourquoi le générique de fin arrive-t-il si rapidement ? A la fin de Only god, Ryan est définitivement castré sans qu’on sâche si on se trouve dans un rêve ou dans la “réalité” diégétique et ce dispositif revient 2 ou 3 fois : rêve ou réalité du personnage de Ryan ? Et le message de Refn, à quelle réalité s’applique t il ?

  2. Très intéressante réflexion sur le côté auto-parodique du film et la mise en scène de la violence… Refn aurait-il le même genre de démarche que Michael Haneke ? (cf Funny Games en particulier, Benny’s video ou encore Caché)

    Parmi les références du film, outre Michael Mann, Alejandro Jodorowsky, Gaspard Noé et David Lynch, j’aurais bien cité également Stanley Kubrick… ce n’est d’ailleurs pas un hasard de retrouver Larry Smith, directeur de la photo sur Only God Forgives, Bronson mais également Eyes Wide Shut…
    Une autre référence flagrante à mon sens est Santa Sangre de Jodorowski et ses thématiques de l’impuissance, de la mère tyrannique et castratrice, ainsi que d’autres éléments qui risqueraient de spoiler le film…
    Par contre je ne trouve pas que ce soit juste un mix, mais ces références sont au contraire bien digérées, ce n’est pas juste un film de fan… et j’ai bien aimé que Refn renoue avec le film expérimental…

  3. plus le temps passe et plus le film reste gravé dans ma mémoire. Et j ‘ai assez hâte de le revoir. Une autre influence m’est venue après coup c’est celle du giallo. Et d’une esthétique parfois proche de Suspiria. Et quand on sait que Refn est un fan de bis italien je me dis que ce n’est pas simplement un hasard

  4. Je suis étonné de voir à quel point je suis d’accord avec cette analyse. j’en ai écrit deux, trois mots il y a quelques jours, comme ça, histoire de savoir où je me situais par rapport au film, et je retrouve ici des arguments semblables, ainsi que des allusions semblables.
    Chouette papier. 😉

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