Post Tenebras Lux de Carlos Reygadas

Le style de Carlos Reygadas s’apparente à celui du réalisateur français Philippe Grandrieux. Tous deux n’hésitent pas à tester les limites du média cinématographique pour partager des sensations. Le son, le cadre et la durée sont utilisés, de manière assez simple mais inhabituelle, pour provoquer chez le spectateur une expérience sensorielle. Le film ressemble alors à un souvenir ou un rêve. Le but est de connecter directement le cerveau de l’auteur au public. Ce qui peut en laisser certains sur le carreau.

Certains scènes surréalistes sont difficilement compréhensibles sans l’éclairage de leur concepteur. Ainsi, dès les premières images, nous voyons une sorte de diable rougeoyant (cornes et sabots) équipé d’une boîte à outils, et qui pénètre dans la chambre des parents sous les yeux d’un petit garçon. Reygadas explique qu’il s’agit là d’une vision de la rationalisation, une hypothèse utilisé par les enfants pour expliquer certains phénomènes. Les enfants prennent une grande place dans le film. Ils sont l’innocence et l’ignorance.

Juan vit avec sa (belle) femme et ses deux enfants dans une villa au Mexique. Il emploie des locaux pour divers petits services. Malgré une bonheur évident, Juan a quelques soucis : il ne s’entend pas avec sa femme, il est obsédé par la pornographie sur Internet et il a un problème de violence envers les chiens. Il y a donc un fil rouge social. D’un côté, nous avons le blanc, le riche. De l’autre, nous avons les basanés, les pauvres au service du riche. Même si tous sont mexicains, il règne une tension latente du fait des inégalités. Reygadas semble dire que Juan vit au paradis mais qu’il est aveugle. Un événement viendra lui ouvrir les yeux. Le conte philosophique est donc un peu simpliste et ce n’est pas probablement pas ce qu’il faudra retenir du film.

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Ce qui est plus intéressant, c’est que le réalisateur laisse souvent tourner la caméra, parvient à capter des bouts de “réel” authentique, une chose qui semble l’obséder. Les plans sont donc souvent assez longs et en cela, on peut le rapprocher – toute proportions gardées – du hongrois Béla Tarr et ses plans de dix minutes sur des vaches qui se promènent. D’ailleurs les premiers plans montrent des vaches qui errent alors qu’un orage se prépare. Evidemment, nous ne sommes pas habitués à un rythme aussi lancinant mais passer outre ce rejet ouvre toutes sortes de possibilités. Le format de l’image est aussi bizarre. Il s’agit d’un 4/3 avec un effet “bonnette”, c’est-à-dire du flou et du dédoublement sur les bords, ce qui donne au final une image très étroite mais étonnamment profonde, certains plans semblent alors en 3D.

Pour faire une dernière analogie, on peut aussi dire que le collage de vignettes ressemble à la mise en scène de Terrence Malick, qui lui aussi, livre une succession de scènes intimistes, et des images de nature, qu’il élève à un rang presque mystique. Mais le cinéma de Carlos Reygadas, même s’il se rapproche de celui de plusieurs réalisateurs, fonctionne en autonomie. On sent une totale sincérité à travers les images. On sent qu’il a voulu nous montrer cela et pas autre chose. Ainsi, on passe de la nature luxuriante du Mexique à un hammam échangiste français, ce qui tient du grand écart. On pourra d’ailleurs reprocher à Reygadas un côté “provocation” avec quelques plans-chocs qui, là encore, ressemble aux excentricités d’un Gaspar Noé. Pour finir, le réalisateur nous montre des scènes qui n’ont rien à voir avec l’intrigue de Juan au Mexique. Il y a par exemple des jeunes anglais qui s’échauffent puis disputent un match de rugby. Il n’y a absolument aucun rapport sauf si on écoute l’entretien de Reygadas. L’idée est de dire que quand une personne vit une expérience quelque part, au même moment, une autre personne vit quelque chose de complètement différent à l’autre bout du monde.

Post Tenebras Lux est donc un film immersif, totalement subjectif car lié intimement à la personnalité de Carlos Reygadas et qui fait appel aux sens plus qu’à la raison. En cela, on pourra le qualifier de film d’auteur expérimental.

Disponible en blu-ray au Royaume-Uni avec des sous-titres anglais.

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