A moins de débarquer fraichement de Mars, impossible pour quiconque d’être passé à côté de la trajectoire médiatique du nouvel astre filant de la Warner.
D’ailleurs, nul doute que, si vous avez atterri ici, sans en être un régulier, c’est que vous avez cherché l’énième confirmation qu’un voyage singulier se préparait dans nos salles obscures cet automne.
Pour objectivement pouvoir vous livrer un avis éclairé sur Gravity, il apparait nécessaire d’évacuer d’entrée son fantasme au travers du hublot .
Glorifié sur la toile, avant même sa date d’impact sur grand écran, par des réseaux sociaux carburant au buzz atomique et le décrivant emphatiquement comme LE film spatial ultime; porté au pinacle par un cortège de critiques unanimes dans leurs louanges, gonflant un peu plus sa réputation à chacune de ses nouvelles présentations (en festivals comme en press-screening); les spectateurs en émoi (journalistes comme anonymes) semblent en effet avoir mis un point d’honneur à rivaliser d’excès pour décrire leur ressenti en sortie de salle à la vision du nouveau Alfonso Cuarón.
Des envolées de plumes trempées dans un encrier de superlatifs qui pourraient, paradoxalement, perturber l’envol de cet Icare du film de SF (Les fils de l’homme ayant nourri une certaine attente) en l’orientant, auprès d’un public impatient, vers une lignée élitiste d’astres du 7eme art dont il ne vise aucunement la trajectoire.
Pour couper court aux métaphores, soyons donc justes (avant d’être précis) : non, Gravity n’est pas le nouveau 2001, si l’on sous-entend par là un ovni filmique dont l’ambition visionnaire serait de s’affranchir d’une narration classique; non, son récit ne s’inscrit pas non plus dans une démarche Tarkovskiste, où la réflexion métaphysique aurait un rôle vertigineux à jouer; il n’est pas plus ce trip supra-onirique que certains, dans un débordement d’émotions, voudraient nous vendre, abreuvant les esprits d’images à l’abstraction obsédantes (comme ont pu le faire dernièrement certains des films hallucinés du danois Nicolas Winding Refn).
Pour autant de rectifications faites, il faut reconnaître l’indéniable tour de force esthétique que représente le film et le célébrer pour ce qu’il est réellement, à savoir : un ride en apesanteur terriblement haletant et tenu sans relâche sur presque une heure trente, avec une intensité rare; un thriller exosphérique d’une force immersive jusque là inédite en salle (édifiée sur des procédés de réalisation vraiment innovants) et relevé par un beau discours existentialiste (à défaut d’être profond).
Une histoire simple (une expédition spatiale tourne mal; un tandem d’astronautes se trouve lâché dans l’immensité du grand noir avec très peu de temps et d’oxygène pour interagir sur leur destin) mais une expérience palpitante sur un plan formel, qui marque surtout (car on a beaucoup parlé du caractère neuf de la chose) la résurrection d’un plaisir de cinéma qu’on croyait perdu ( à l’heure ou l’alliance du digital et du numérique a fini par digérer tous les rêves en matière de SFX) : celui de l’émerveillement visuel.
Cet unique argument suffit à faire de Gravity une nouvelle balise du cinéma de genre, comme ont pu l’être avant lui la grande majorité des œuvres de James Cameron (défricheur d’avancées technologiques dans son domaine, soucieux de les appliquer à un cinéma fantastique intelligent, à destination de l’entertainment populaire).
Il est d’ailleurs intéressant de noter le rapprochement des perspectives entre les deux réalisateurs.
Pas simplement sur un aspect purement technique (l’utilisation de la 3D n’ayant jamais été aussi bien mise à contribution que dans leurs derniers films respectifs) mais plus globalement sur un schéma narratif archétypal (de grands moyens au services d’une grande cause); les personnages s’y illustrant dans la
reconquête de leur destin, pris dans l’étau d’un contexte funeste.
Au point qu’on pourrait décrire Gravity, par de légitimes raccourcis, comme une relecture inversée d’Abyss, dérive d’une âme terrestre dans les grands fonds marins (le fait qu’Ed Harris prête sa voix au retour radio de la station, dans le film de Cuarón, n’est pas un hasard), dopée par la révolution graphique d’Avatar et sur fond de film catastrophe titanesque. Pas étonnant, une fois ces rapprochements relevés, que le papa de Judgment Day soit le premier défenseur de ce ballet cosmique, tant le météore en question vient traverser de plein fouet sa galaxie cinématographique.
Une filiation qui s’explique avant tout par le souci (et le perfectionnisme) commun à ces deux pionniers, de redéfinir constamment la grammaire du cinéma à l’aide de nouveaux outils.
Peu de réalisateurs relèvent ce challenge, car s’il est entendu qu’il alimente le processus créatif, il met surtout le film support, comme son géniteur, en danger (une mauvaise gestion des effets pouvant faire s’effondrer tout l’édifice) en plus de le soumettre à une très longue période de gestation (5 années en l’occurrence pour Gravity) qui finit parfois par perdre le projet dans les limbes du development hell.
Ici, Cuarón se lance peut-être le plus grand des défis, en faisant le pari fou de retranscrire un des environnements les plus étrangers au grand public au travers du prisme sensoriel: l’espace, dans ce qu’il a (dans l’inconscient collectif) de plus envoutant (l’exploration de l’inconnu) et de plus terrifiant ( l’appréhension de l’inconnu).
Son talent, s’est d’y être parvenu, non pas au delà de l’imaginable, mais (et c’est aussi là son originalité) sur le terrain du palpable, à l’aide de renforts techniques dont l’efficacité s’avère redoutable.
La rétine est mise à rude épreuve, dupée par une 3D quasi tangible, des effets info-graphiques au réalisme confondant (qui nous font oublier à chaque plan que le film a été tourné au sol), ou happée dans les reflets cristallins qui polissent la visière des astronautes, d’une splendeur allogène (nul doute que l’invention de la light-box, simulateur de lumières spatiales, fera date) renforçant le raffinement du travail photographique d’Emmanuel Lubezki, toujours plus céleste (le Tree of Life de Malick, c’était déjà lui).
Plein les yeux, mais surtout, une audition au diapason !
L’ouïe est sollicitée dans ce métrage comme jamais, et à chaque instant, par un étonnant panel de strates sonores (dopé, lors de notre projection presse, par le procédé dolby atmos, de diffusion du son par le plafond) et mixant adroitement les surdités anxiogènes (monologues asphyxiés au travers des casques, explosions colossales étouffées dans les acouphènes) à une bande-son dévorante, qui surligne la menace quand elle ne la fait pas surgir de nulle part.
Ces prouesses artificielles aurait pu cantonner Gravity dans la catégorie attraction cinématographique, si le réalisateur mexicain ne s’en servait pas avant tout pour faire gravir encore d’un échelon sa mise en scène.
On n’y retrouve magnifiée sa maitrise du plan séquence, dans un affranchissement du cadre qui trouve ici toute sa (dé)mesure dès la scène d’introduction.
Une lente progression sinueuse, de presque un quart d’heure, qui débouche sur un roller-coaster sidéral projetant son héroïne littéralement hors de l’écran, la laissant sonnée, et le spectateur avec elle, face à une angoisse universelle.
Mais la virtuosité de la réalisation réside plus encore dans cette capacité qu’a Cuaron d’alterner les différences de points de vue, au cœur même de l’action, avec une fluidité et une lisibilité stupéfiante, en faisant s’entrechoquer des mouvements de caméra d’une étourdissante amplitude et des prises de vue subjectives presque claustrophobiques.
Clairement, il vise la circulation des émotions : de la perception brute du sensationnel (une caméra imprévisible, réagissant dans l’urgence et s’appuyant, par effet miroir, sur l’hyper-expressivité des acteurs) jusqu’au retentissement introspectif (chaque action se traduisant par une réaction affective).
Si la première ambition est largement dépassée, elle marque cependant nettement le pas sur la seconde, démontrant les limites réflexives du cinéma spectacle.
Car si le scénario malin et minimaliste développé par le duo père-fils (Jonas Cuarón fut largement impliqué dans l’écriture) a beau ne pas faire l’économie d’une lecture sous-jacente sur la reconquête de soi et l’instinct de survie, pris dans la dynamique d’un scènario catastrophe (la charpente du film reste avant tout un survival qui court après le cadran), il peine parfois à lui donner toute la densité escomptée.
Pas tant un reproche qu’un constat, mais disons par exemple que sur un thème opposé (l’acceptation de la mort), Darren Aronofsky arrivait dans The Fountain à substituer à son intrigue une dialectique visuelle pénétrante.
Ici, il y a bien des touches picturales inspirées (somptueux plan de Sandra Bullock en position fœtale, enroulée dans les cablages), des scènes étendards aussi (comme cette séquence finale, véritable ode à la (re)naissance) qui illustrent, par un joli symbolisme de surface, la thématique première de la résilience.
Mais la trame concise, millimétrée, n’autorise pas les latitudes nécessaires pour développer toute l’étendue des troubles qui peuvent chahuter l’esprit humain lorsqu’il est confronté au véritable vide intérieur.
Dans le même ordre d’idées (tronquées), certains dialogues apparaissent un peu trop cartésiens pour être honnêtes, à l’image des personnages.
Le Clooney léger (qui nous est sympathique), tirant vers lui une ‘Bullock next door’ au lourd passé (qui nous est empathique), forcent tout deux les clichés de l’identification, même si la justesse de leur interprétation n’est aucunement à remettre en cause.
Il y a également une pointe de ‘too much’ dans cette Odyssée effervescente, notamment sur le sens du sacrifice; sans spoiler, on dira aussi que les forces de la nature le sont parfois au-delà du raisonnable.
Mais reconnaissons sans mauvaise fois qu’elles font aussi partie de l’aspect euphorisant des films de SF, au ressort épique, et il serait injuste de lui en tenir rigueur au regard du spectacle global délivré.
Aussi, il est temps pour vous, qui lisez ces lignes, de ne rien lâcher à la critique et de vous libérer des avis (basés sur l’unique subjectivité de ceux qui vous les donnent) pour vous laisser transporter par votre propre ressenti, en allant vivre l’expérience Gravity en salle, vers l’infini … ou au delà (du Buzz).
Une chose est sûre, quoiqu’on en dise, vous ne serez pas déçus du voyage.
Sortie cinéma le 23 Octobre 2013 –
« vers l’infini … ou au delà (du Buzz). »
joli !!!
Chuis tellement jaloux que j’ai même pas lu le papier, encore. Mais je me réjouis de voir ce flim.
Tu peux, et je pense que j’y retournerai aussi à la sortie.
Comme le grand 8, à peine débarqué, on n’a qu’une envie, c’est d’y retourner de suite 🙂
LOL! Merci 😉
Cadeau d’anniversaire fait à mon fiston en aout dernier. Du coup, je me tape la réplique de l’homme en platique à peu près 2 fois par jour; il fallait absolument que je trouve un moyen de la placer. L’occase était trop belle.
PS : Ma réplique préférée du TOY : ‘C’est fou comme tout paraît plus grand sans la visière’.
Et donc, je suis d’accord, point à point, avec tout ce que dit cette critique. C’en est presque inquiétant.
Cuaron y va à fond les ballons, encore plus que dans les précédents, sur tout ce qui fait sa patte : le show, le récits émouvants, le premier degré et le miracle de Noël.
C’est complètement abusé et tout à fait épatant. Et la preuve que ce qui manque au cinéma d’action en général c’est 1. la maîtrise des techniques de base 2. se prendre suffisamment au sérieux.
Gravity est LE film d’action. Point.
Kof, kof. J’ai pas du tout accroché. Le plus gênant est sans doute cette non-caractérisation des personnages, des coquilles vides comme j’en ai rarement vu au ciné.
Du mièvre tout dégoulinant : « oh mon Dieu, c’est beau le soleil sur le Gange » avec la voix suave de Nespresso. De l’empathie facile : difficile de trouver un truc pire que de perdre un enfant. L’image du foetus me parait aussi super gratuite.
Une succession artificielle de péripéties qui m’a rappelé Fort Boyard. Avec dans le casque les commentaires des petits copains (sors, sors, tourne sur toi-même, respire, à droite, à gauche). Franchement, ils ont fait un listing de toutes les merdes que l’on peut avoir dans l’espace (plus d’arrimage, plus d’air, du feu, etc, etc, etc.)
Le seul point positif : Sandra Bullock en boxer.
Beau film techniquement irréprochable, impressionnant parfois mais très terre à terre un comble pour un film de SF. le scénario est très décevant et Cuaron a une peur totale du silence. Du coup le film est excessivement bavard et la musique omniprésente. La plan séquence d’ouverture est sidérant en revanche.
c’est drôle Georges Clooney m’a fait penser à Buzz l’éclair
en effet, Buzz l’éclair. Il parle tout le temps pour ne rien dire.
J’avais aussi lu un peu partout que le son était important mais pour moi justement c’était parfois pas cohérent.
Je me demande si ne mettre aucune musique n’aurait pas été judicieux par exemple.
A la fin, la musique est étouffée en même temps que les sons, ce qui donne un effet très bizarre.
http://fr.eonline.com/shows/the_soup/photos/10072/renamed-gravity-posters/320046#320049