Alerte spoilers : quelques révélations sont faites.
Dernier opus du triptyque cornetto élaboré par le trio Wright / Pegg / Frost, ce World’s end est un film bien étrange. En apparence, c’est une nouvelle comédie délirante et rythmée, qui revisite un genre (l’invasion extra-terrestre) tout comme les précédents (le film d’action pour Hot Fuzz et celui de zombies pour Shaun of the dead). Mais si l’on gratte un peu, on se demande si Edgar Wright et Simon Pegg (les scénaristes) ne font pas leur crise de la quarantaine. Les thèmes abordés ne sont pas vraiment marrants : la peur de ne plus être à la page, la fuite vers l’alcoolisme, le constat d’être à côté de la plaque, l’incompréhension de la jeunesse, la nostalgie futile. A vrai dire, l’oeuvre respire la dépression et bien qu’on ait l’impression de prendre du bon temps, c’est un sentiment amer qui persiste après avoir vu le film.
Dans les années 90, Gary King et sa bande de potes se lancent un défi : faire en une nuit la tournée des bars de la petite ville de Newton Haven. Mais le challenge est difficile et l’objectif n’est pas atteint. Vingt ans plus tard, les adolescents sont devenus des hommes et chacun a trouvé une femme, une vie de famille et un boulot. Enfin sauf Gary, toujours coincé à Newton Haven et qui n’a, à vrai dire, pas du tout évolué. Devenu dépressif, il a l’idée de rassembler les gars et de refaire une tournée des bars en allant jusqu’au bout. Cependant, ils vont découvrir que des robots extra-terrestres ont remplacé les habitants de la ville.
La dépression semble bien être le sujet du film. Au début, Gary est montré comme un loser (pas de femme, ni de gosses ou de travail) mais les autres personnages ayant tout cela ne sont pas forcément plus heureux. L’un est séparé et se réfugie dans son travail, l’autre évite ses enfants et sa femme. La nostalgie va donc les inciter à reprendre contact avec Gary et à refaire leurs bêtises de jeunesse. Evidemment, ça ne fonctionne pas bien. Après la joie des retrouvailles autour d’une mousse, chacun aspire à arrêter les conneries et à retourner à sa vie de tous les jours. C’est le premier désabusement. Malgré les efforts que l’on fait pour renouer des contacts, le destin semble avoir définitivement séparé les anciens amis.
Nos « héros » se heurtent ensuite à la normalisation et la mondialisation de leurs lieux préférés : les pubs. Dès les premières visites, ils se rendent compte qu’il y a une uniformisation tant sur la décoration que sur la bière disponible. Le cachet de chaque bar a disparu, ce qui déçoit à nouveau nos compères. A chaque nouvelle péripétie, Gary est mis au pied du mur : il ne fait plus partie des « jeunes ». Il est d’ailleurs tellement désespéré qu’il essaie de s’incruster parmi une bande de jeunes qui fréquente le même bar. Plus on progresse dans le récit et plus les masques tombent. Derrière le comique de chaque personnage, il y a des tentatives de suicide et des divorces en préparation !
Comme d’habitude, Edgar Wright nous offre une mise en scène riche et dense. Il faudra plusieurs visions pour repérer les indices, les symboles, des « easter eggs » que le réalisateur a glissé tout au long du film. On citera en exemple le thème du double lorsque nos compères arrivent au two-headed dog. Le commentaire audio (avec Simon Pegg et Edgar Wright) est à la foi passionnant et très drôle. On y découvre les milles idées qu’ont essayé d’inclure les auteurs dans le film. Certaines sont même invisibles. Dans une scène, le « médiateur » des aliens est en train de lire un livre et le commentaire audio nous apprend que le livre n’est autre que le meilleur des mondes, d’Aldous Huxley!
Il y a plusieurs scènes d’action, qui se veulent être drôles mais bizarrement le cœur n’y est pas. Et même si les chorégraphies sont inventives, elles paraissent toujours un peu à côté de la plaque, dispensables. Le dernier désabusement vient d’un dialogue surréaliste entre l’intelligence supérieure des extra-terrestres et les deux derniers survivants bourrés, qui pourrait sans peine passer pour un dialogue avec Dieu. Alors que l’alien parle de l’intérêt commun de la galaxie et d’une humanité meilleure, les deux ivrognes défendent l’idée d’avoir le droit de faire n’importe quoi si ça leur chante. Et l’alien abandonne devant la connerie humaine. Dans le commentaire audio, on nous dit qu’il n’y a pas de véritable message mais une interrogation : vers où l’humanité se dirige-t-elle ? Peut-être bien droit dans le mur !
Et à Edgar Wright de conclure le film sur une note positive mais totalement fictive. Gary a reformé une bande de potes avec des clones dans un monde post-apocalyptique. Il est heureux en buvant de l’eau. On y croit qu’à moitié… Ne vous attendez donc pas à un « very bad trip » british. Il y a un peu de ça mais c’est juste pour cacher un constat sur l’absurdité de la vie et la difficulté à s’adapter à un monde changeant.
Merci pour cet excellent article qui ne donne pas envie de voir ce long métrage.
J’avoue ne pas être un inconditionnel de Wright et Pegg, aucun de leurs films et autres sketchs ne m’a véritablement plu à vrai dire.
J’apprécie pourtant l’humour anglais, les films de Mister Bean me font loler comme dise les jeunes !
Mention spéciale à votre auto description délirante, nous ne nous connaissons pas personnellement mais l’une de nos relations communes m’a confirmé qu’elle n’était pas si éloignée de la réalité.
Bien à vous.
Marcel