Mange tes morts, de Jean-Charles Hue

 

 

 

 

 

 

 

Dans un camp de gens du voyage, Jason est un adolescent qui attend le jour de son baptême. Mais avant cela, il voit débarquer son frère Fred fraîchement sorti de prison, après quinze ans derrière les barreaux. Une virée en bagnole est organisée et il est bientôt question de voler un camion de cuivre. Mais après toutes ces années d’inactivité, Fred se perd dans sa propre région et risque de mener sa famille à la perte…
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L’oeuvre est bizarre car elle contient deux formes de cinéma totalement différentes voire opposées : le documentaire et le polar. Ca commence donc comme un striptease de France 3 alors que le réalisateur nous immerge dans le quotidien de cette communauté yéniche. Dans le campement de caravanes, de grandes familles pratiquent la chasse, parlent le manouche avec un fort accent, et se nourrissent de bières et de larges morceaux de barbaque cuite au barbecue. Le dvd contient des sous-titres français, ce qui peut s’avérer nécessaire par moments, bien que l’argot (pas traduit) se laisse facilement comprendre avec le contexte.  Cette introduction des personnages se fait très naturellement et l’on jurerait voir sous nos yeux la réalité. Jean-Charles Hue a choisi des comédiens amateurs, tout à fait dans leur élément au début mais qui vont évoluer avec le récit.

La narration suit le destin de Jason, qui va passer du statut d’enfant à celui d’adulte en vivant deux choses très distinctes : la violence et le vol avec son frère aîné, et son baptême religieux souhaité ardemment par sa mère. Et cela représente le choix qui s’offre à chaque membre de la communauté : se tourner vers Jésus Christ, le droit chemin et l’intégration ou opter pour la délinquance. C’est d’ailleurs le décalage qui existe entre Fred et le reste de sa famille. Le courant ne passe plus : “t’es pas trop le bienvenu” disent les anciens, manière polie de dire que les choses ont considérablement changé en quinze ans.

Si l’évolution des personnages est assez simple, il y a en parallèle l’évolution des acteurs. Au départ, on les voit clairement dans leur propre rôle et alors que le film bascule progressivement vers le polar et le film d’action, les acteurs amateurs deviennent des professionnels et endossent réellement leur personnage. C’est à la fois un avantage et un inconvénient puisque l’on perd de la spontanéité. Qu’importe, la réalité et la fiction se mélangent jusqu’à ce qu’on s’y perde, le réalisateur brouillant les pistes. Certains éléments du scénario viennent  d’anecdotes ayant réellement eu lieu et les détails sont si nombreux, qu’on n’a pas de mal à croire à ces aventures rocambolesques. Aussi, le tournage était apparemment épique, car il paraissait impensable de faire “pour de faux” des choses vécues et maîtrisées par les voyageurs. Ainsi, pourquoi utiliser des cascadeurs professionnels alors que le petit frangin sait très bien se débrouiller avec le volant et le frein à main ?

Une fois en bagnole, le film prend un tournant (lol). Il devient un road movie et à travers l’errance, les retrouvailles détricotent les relations et les caractères de chaque frangin. C’est le moment de la confrontation de leurs personnalités et de leurs passés.

Road movie, western, le réalisateur n’a pas peur de se convoquer de grandes références (John Ford est cité dans le commentaire audio) et il faut bien avouer que ça fonctionne bien la plupart du temps. Les images sont magnifiques alors même que l’on visite des zones industrielles, des voies ferrées réservées au fret ou une casse auto. Les lieux souvent éclairés au néon sépia, se détachent à peine d’un brouillard omniprésent. On est parfois proche du fantastique, notamment lors de cette virée dans un garage, qui ressemble plus à une gigantesque grotte souterraine avec son espèce de Docteur Frankenstein bricolant le ventre des voitures ! Le film pêche un peu dans sa séquence d’action pure et dure avec une course-poursuite un peu vite expédiée et aux comportements peu crédibles.

A la manière d’un Heat yéniche, Mange tes morts convoque toute une mythologie du voyou nomade représenté par Fred. L’Alpina qu’il conduit est en cela un symbole très fort, un accessoire indispensable qui lui donne quasiment un statut de super héro madmaxien. Question look, les gants et les cagoules sont de sortie, et bien sûr il y a les pouchkas (fusils). Heat n’est donc qu’à moitié une plaisanterie ! Et puis on est un peu aussi en mode Fast and Furious avec ces duels de vitesse en rase campagne, autour d’un brasero. Et en fait, il est fort probable que cette mythologie du gangster de cinéma nourrisse les personnages et peut-être même les acteurs du film. On peut se demander quel peut être l’impact de voir sa propre vie devenir un film. D’autant que le réalisateur, en immersion avec la famille Dorkel depuis de nombreuses années, ne porte évidemment aucun jugement sur les actes. Au contraire, cette vie à la marge, ces larcins, lui donnent certainement une impression de grande liberté et de vie au grand air. A force de les côtoyer et d’être totalement fasciné, Hue perd son objectivité et son recul. Mais qu’importe. Ce qui l’intéresse, c’est de montrer ce dernier farwest (l’Oise!) où les grands sentiments côtoient les grandes aventures.

Mange tes morts est un film d’action qui remue avec audace un cinéma français bien planplan. C’est bien d’oser des choses, de mettre en avant des minorités, tout en ayant des ambitions de spectaculaire et de divertissement.

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Dvd édité chez Capricci à partir du 3 mars 2015. Bonus : commentaire audio (fort intéressant d’ailleurs), scènes coupées et making of.

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