Hungry hearts, de Saverio Costanzo

Le prologue, décapant, est une pure scène de comédie.  Un homme et une femme se retrouvent coincés dans les toilettes d’un restaurant chinois. En découle, un plan séquence de plus de 5 minutes exploitant au mieux le potentiel comique de cette situation. Lui, Judi,  est malade comme un chien et n’arrête pas d’aller aux toilettes. Elle, Mina, toute mimi, a du mal à supporter l’odeur. Une excellente entrée en matière et la naissance de l’idylle parfaite.  Un grand moment à rendre jaloux Woody Allen.

Et ça continue comme un film indépendant américain, voire new-yorkais, sympathique mais assez convenu. L’italien Saverio Costanzo marcherait-il sur les traces de Cassavetes ?  Il filme une love story au plus près des corps et suit le parcours classique du couple : le mariage, les scènes de lit, les petits rien du quotidien et enfin la grossesse inévitable. Rien de très excitant au fond.

Et à partir de là tout bascule. Les premiers signes d’angoisse apparaissent dans le comportement, légèrement névrotique au départ, de Mina. Rien d’alarmant non plus. Mais un malaise commence insidieusement à s’installer au sein du couple au point d’évoquer par petites touches Rosemary’s baby  de Roman Polanski. Après la naissance du bébé, la situation se dégrade. Mina s’enferme dans des principes bio-écolo-new age et refuse de nourrir correctement l’enfant, de l’amener voir un pédiatre, de l’exposer au soleil, au bruit, aux portables et j’en passe. Pour son bien évidemment. A aucun moment, elle semble maîtriser son discours qui la détruit psychiquement et physiquement. Face à ce problème, Judi est désemparé, désespéré. Leur relation devient de plus en conflictuel au point que Judi nourrit son fils en cachette.

Dit comme ça, Hungry hearts pourrait  s’apparenter à une étude de cas clinique pesante, usant des ficelles du mélodrame hollywoodien filmé dans un style académique et mode afin d’être sélectionné dans des festivals style Sundance. Il n’en est rien.

D’abord Hungry hearts est un film italien beaucoup plus retors et surprenant que sa première partie laisse présager. Après La solitude des nombres premiers qui injectait les codes du giallo au cœur d’un mélodrame déchirant, Saverio Costanzo  filme un drame psychologique, voire psychiatrique comme un trip horrifique des années 70 quelque part entre Roman Polanski et Tobe Hooper : grand angle, effets de caméra anamorphosée, utilisation de courte focale immergeant le spectateur dans un climat de plus en plus anxiogène. La musique, discrète mais judicieuse, souligne en contre-point cette atmosphère atypique et très oppressante. Costanzo parvient à conjuguer des univers différents, à étonner par sa capacité  à emboîter les codes du cinéma d’auteur avec ceux, plus déviants et moins nobles, du pur film de terreur.

L’italien utilise à merveille l’espace exigu de l’appartement qui provoque une angoisse palpable, étouffante. Le calvaire enduré par ce couple est un peu entaché par un dernier tiers plus convenu, moins fort dans ses enjeux et sa résolution finale, un peu artificielle à mon goût. L’entrée de la mère dans le récit donne un peu d’air dont on se serait paradoxalement bien passé.

En résulte néanmoins, une œuvre remarquable, portée par deux comédiens parfaits, Adam River, déjà excellent dans Frances Ha  et Alba Rohrwacher, à l’affiche en ce moment dans Les merveilles de sa sœur Alice. Costanzo est un metteur en scène virtuose, qui pêche parfois par excès de style. Ce péché mignon touche parfois les plus grands. Un cinéaste est né et en plus il est italien. C’est si rare les révélations italiennes dans le cinéma contemporain.

 (ITA-2014) de Saverio Castanzo avec Adam River, Almba Rohrwacher, Roberta Maxwell. En salles depuis le 25 février 2015.

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