Sils Maria, d’Olivier Assayas

Maria Stern / Juliette Binoche est une actrice cinquantenaire au sommet de sa gloire / début de son déclin. Après de longs atermoiements, elle accepte de rejouer dans la pièce qui l’a rendue célèbre vingt ans plus tôt, dans le rôle de la mégère cette fois. Elle part en Suisse avec son assistante s’isoler dans la maison de feu le Grand Dramaturge pour répéter et dérouler ses états d’âme.

On s’était quittés plutôt bons amis, Assayas et moi : juste après Carlos, sa minisérie sur le terroriste éponyme, une fiction documentée bien à sa place dans la constellation des films sur les seventies politiques (voir le vieux clash Brigades Rouges / Orchestre Noir). Bien réalisée, bien écrite, ambitieuse, chaque centime de la prod à l’écran : une certaine idée de la classe à la française.
Entre temps, il semble qu’Olivier ait oublié la règle numéro 1 du cinéma : si tu mets de la musique classique dans ton film, oublies les Quatre Saisons, le Requiem de Mozart et le PUTAIN DE CANON DE PACHELBEL. Sils Maria nous le déroule deux fois et de bout en bout. A ce stade, c’est plus une boulette mais un appel à l’aide.

On ne va pas épiloguer mille ans : Sils Maria est une purge inepte de deux heures, bavarde et vaine. Les actrices y jouent des actrices, les acteurs des acteurs, et tout ce petit monde se regarde évoluer froidement dans ce non-lieu imaginaire où l’on feint que vivent les célébrités. Les rôles les plus exotiques vont à un réalisateur feutré, un écrivain à succès, une génie de l’art contemporain. Des berlines noires lustrées glissent de palaces en casinos, d’orchestres de chambre en restaus moléculaires, jusqu’à une gentilhommière alpine collée au milieu d’un calendrier Ma Patrie.
Autant dire que – kebab dans une main, bière tiède dans l’autre – on s’identifie à fond à ce drame de la célébrité, du pognon et de la création artistique comme caviar immatériel d’une aristocratie semi-divine.

Il y a un personnage – un seul – dans tout le film, mais sa présence m’autorise un paragraphe un peu moins aigre, parce qu’il ouvre la porte vers une dimension supérieure que le film nous laisse d’entrevoir et vers laquelle il se garde bien de s’aventurer.
Il s’agit de Valentine, l’assistante de la star, authentique prolote dans cet univers qui feint de nier toute contrainte du réel. Pendue au téléphone du matin au soir, efficace, dévouée jusqu’au pétage de plomb, elle donne sans faillir la réplique à Maria, lui tenant lieu de miroir, de némésis, d’amie, de confidence. Kristen Stewart, qui l’incarne, offre une performance sans comparaison avec celle de Juliette Binoche, donnant à percevoir en acte leur intrigante dialectique.
D’un côté, la monarque en fin de règne, représentante de tous ces gens de pouvoir vieillissants, accrochés à leurs prérogatives acquises à vil prix au cours des trente glorieuses et se coupant délibérément du réel pour ne pas avoir à penser l’iniquité de leurs privilèges (vous remplirez la liste vous-même, avec partir d’exemples tirés du monde de l’art, de la politique, des médias, de l’enseignement ou de votre entourage direct). De l’autre, un pur produit de la génération 90, celle des vingtenaires affamés, n’ayant d’autres perspective et alternative que de trimer comme des chiens, parce qu’ils savent que seule l’excellence leur permettra de ramasser les miettes abandonnées par les tenants du pouvoir. Le boulot comme seul horizon, jusque à la mort. Pour les recalés, la misère et l’opprobre.
Cette dynamique, je le disais, se lit jusque dans le jeu des actrices : Binoche nonchalamment adossée à son aura iconique, mise en valeur par le film lui-même, cadre rococo tout entier composé autour de sa belle figure ; Stewart réduite au bord du champ mais si bien rompue à toutes les ficelles de son métier qu’elle éclate de réalisme et de pertinence.
Au troisième quart du récit, Assayas escamote Valentine, avalée par le décor suisse. À la toute fin, un jeune geek avoue qu’il s’intéresse à Maria non pas malgré, mais bien à cause de sa maturité / sa vieillesse. Conclusion glaçante en forme de happy end : même le temps qui passe (c’est à dire le cours inexorable du réel), ce démon que l’on feint de redouter deux heures durant, n’ébranlera pas la toute-puissance de nos vieux maîtres. Le prix à payer sera l’invisibilisation et l’anéantissement des soutiers du monde, sans lesquels la grande machine à rêver ne pourrait pas tourner.
Merci Olive. Au matin du Grand Soir, on attend ton autocritique publique.
Sils Maria est un film d’Olivier Assayas sorti en salle en août 2014 . On y voit Juliette Binoche et Kristen Stewart, donc, mais aussi l’assez épouvantable Chloë Grace Moretz et quelques autres cabotins. Il y a la Suisse. DVD & bluray à la vente depuis février 2015.

Enfin, en manière de PS, relevons le court passage montrant une scène de fiction de super-héros (façon X-Men), démonstration flagrante de la totale incompétence d’Assayas à sortir de son univers propre. À mi-chemin entre les Inconnus-jouent-Bioman et une séquence coupée de Plus belle la vie, cette digression inutile vient nous rappeler que, par surcroît, Sils Maria est un film totalement dépourvu d’humour et de recul critique sur son propre sujet. Dans un récit en abyme ça la fout un peu mal.
Bisous chez vous.

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1 commentaires sur “Sils Maria, d’Olivier Assayas”
  1. J’ai toujours trouvé très étrange le cinéma d’Assayas. Il semble jouir d’une liberté par rapport à ses sujets puisqu’il aborde un peu tout et n’importe quoi. Parfois, les scénar sont audacieux, osent des choses mais en même temps, il y a une sorte de torpeur académique qui rend le tout un peu gluant.

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