Wake in fright, de Ted Kotcheff

Sélectionné au festival de Cannes en 1971, Wake in fright a failli disparaître. Les négatifs ont été retrouvés in extremis et le film a pu être restauré. Longtemps invisible et devenu malgré tout culte auprès de quelques happy few, le film fut redécouvert il y a peu de temps dans les festivals. Sa sortie en blu-ray dans une copie magnifique est une aubaine. Quelle est la raison de cette oubli ?  On peut avancer l’hypothèse que certaines œuvres sont trop en avance sur leur époque.  Et puis surtout que Ted Kotcheff n’est pas un grand nom du cinéma. Mais qui est ce canadien d’origine polonaise ?

Et bien, pour les ignares (je plaisante ! ), Kotcheff est  le réalisateur du premier Rambo, First blood, l’un des meilleurs films post-vietnam qui a encore un pied dans les seventies tant sur le discours véhiculé que dans son approche frontale de la violence. Le réalisateur a eu une étrange carrière en dents de scie, capable de coup d’éclats (l’excellent western Un colt pour une corde, la sympathique comédie policière La grande cuisine) mais aussi des films ratés (Retour vers l’enfer qui annonce l’idéologie reaganienne de Rambo 2 ou encore le médiocre The shooter avec Dolph Lundgren, son dernier long métrage).

Sorti la même année que Walkabout, Wake in fright partage avec le chef-d’œuvre de Roeg, le choix d’un sujet original, réflexion trouble et complexe sur l’homme civilisé, traité certes sur un mode totalement antinomique.

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John Grant, un jeune instituteur, enseigne dans un trou paumé d’Australie. C’est la fin de l’année scolaire. Enfin libéré, il doit se rendre à Sydney pour rejoindre sa petite amie. Les transports étant rares, il est obligé de faire une escale dans la ville minière de Bundanyabba. Dès son arrivée, il se rend au pub du coin et se voit offrir une bière par le représentant de la loi. Puis une deuxième. Et une troisième. Car à Yabba on ne refuse pas une bière. Enoncé comme ça, on pourrait croire à une blague potache, à un de ces films absurdes et drôles réalisés entre potes. Si l’humour, très caustique, n’est pas absent, Wake in fright porte bien son titre. La bienveillance malsaine et condescendante des autochtones va précipiter Grant dans une descente aux enfers inédite au cinéma. Qui pourrait imaginer que la bière vous emmènerait si loin vers la déchéance, l’oubli de soi et l’animalité la plus crasse ? La plupart des  habitants (masculins) de la bourgade sont alcooliques et s’enfilent les bières comme on boit de l’eau. Cette dernière ne sert qu’à se laver et encore avec parcimonie. Le personnage incarné par un Donald Pleasance impressionnant, est un ancien médecin déchu de sa fonction, nourri à l’œil par les gens et grassement payé en bières contre quelques menus services. Inquiétant, drôle et repoussant, cet homme cultivé et intelligent s’est un jour arrêté à Yaaba et n’a pu en partir, oubliant toute dignité humaine avec une lucidité qui fait froid dans le dos. Un alcoolique cynique et désespéré qui accepte sa condition. Ce qui est plus difficile pour Grant, enseignant frustré dans son affirmation et son besoin de reconnaissance.

Le petit fonctionnaire mal dans sa peau, tourmenté par un vide existentiel, va être rattrapé par ses démons, un versant de sa personnalité qu’il ne soupçonnait pas. Un désir de virilité va le révéler et le précipiter dans sa chute. De verre en verre, l’instituteur perd toute maîtrise, toute notion du temps, du bien et du mal et sombre dans une folie qui culminera par une chasse au kangourou particulièrement effrayante. D’autant plus effrayante qu’elle est en partie réelle, filmée pendant une chasse et introduite ensuite au montage. La séquence est aussi impressionnante que dérangeante. A ceux qui s’indigneraient de l’utilité de ce passage, un carton final indique que les auteurs ont reçu la bénédiction des associations de défenses des animaux. Le débat est clos.

Réveil dans la terreur est le portrait terrifiant d’un homme qui court a sa propre perte. Ted Kotcheff n’oppose pas l’homme civilisé face au chaos, face à la barbarie primitive. Grant est responsable de sa propre déchéance, on sent quelqu’un qui souffre de sa condition d’intellectuel méprisé. Juste un déclic et il finit par se lâcher. Et cette ville horrifiante, où les hommes ne font que picoler et les femmes leur servir à boire en tirant une mine de déterrée, est le terrain propice pour satisfaire les frustrations et pulsions du héros. La mise en scène est oppressante, constamment en accord avec le sujet. Les décors craspecs, la lumière jaunâtre, les cadrages tordus et le montage agressif rendent palpables ce lieu de perdition, ce purgatoire horrifiant où l’alcool se mêlent à la sueur et au sang, pastiche dérisoire et anxiogène des films de mâles dominants hollywoodiens.

Wake in fright est une bombe, un chef d’oeuvre du cinéma australien, un hallucinant cauchemar d’une heure cinquante qui vous tétanise du début à la fin.

(AUSTRALIE/1971) de Ted Kotcheff avec Gary Bond, Donald Pleasance, Chips Rafferty. Wild side / Durée : 114 min. Région : B. Format cinéma : 1.85:1. Résolution : 1080 24p. Langues : DTS HD 2.0 Anglais et Français. Sous-titres : Français

Bonus :

Livret de 42 pages.

L’introduction du film par Nicolas Winding Refn ( 2mn)

Entretien avec Ted Kotcheff  (22 mn)

Un tournant dans l’histoire du cinéma australien (6 mn)

Une histoire rocambolesque (6 mn)

Avant après (2 mn)

Reportage sur le tournage ( 4 mn)

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