Gen d’Hiroshima, de Keiji Nakazawa

La famille Nakaoka vit à Hiroshima en 1945. Le papa, un farouche antimilitariste s’attire les foudres des voisins et des autorités locales. Non seulement lui mais aussi toute sa famille pâtit de son positionnement politique. Le jour où tombe la bombe atomique, la famille et les habitants d’Hiroshima sont plongés dans une horreur sans nom.

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L’histoire est en fait une autobiographie de l’auteur qui avait cinq ans lors des événements. Le manga parvient à nous faire ressentir l’atmosphère particulière qui règne au Japon durant ces années. Le pays est impliqué dans la guerre dans les forces de l’Axe avec l’Allemagne et l’Italie, contre notamment les Américains et les Anglais. On connait l’importance de l’honneur chez les Japonais et l’on constate cet état d’esprit collectif dans presque toutes les scènes du livre. C’est soit la mort, soit la victoire et il n’y a pas d’autre choix possible. C’est ce sentiment si spécifique au Japon qui a provoqué de nombreux suicides et notamment par le biais des kamikazes, ces soldats qui crashent leur avion sur les navires ennemis.

Le dessin de Nakazawa est assez naïf et parfois on se croirait dans un de ces mangas à l’attention des jeunes, racontant les histoires d’amour adolescentes. Pourtant lorsqu’il faut montrer les horreurs de la guerre, il n’y va pas par quatre chemins : têtes et membres arrachés, la peau brûlée qui tombe, les asticots qui prolifèrent dans les plaies, etc. Le fait que le dessin soit assez simple renforce l’aspect horrible car on dirait un livre fait pour montrer aux enfants comme la guerre est obscène. D’ailleurs le manga est d’abord publié dans shonen jump, un hebdomadaire à destination des adolescents.

A travers les 10 tomes, c’est le quotidien de la famille qui est développé. On y voit donc moults détails sur la vie d’alors et notamment la faim. La bombe atomique n’est pas évoquée tout de suite car elle est fabriquée en secret aux Etats-Unis. Même si la bd donne quelques explications sur le sujet, la famille Nakaoka et les Japonais en général n’ont aucune idée de ce qui les attend. Même si Gen est le personnage principal, on suit également le destin de ses frères et soeurs et aussi celui de ses nombreuses rencontres : amis, ennemis, voisins ou des gens rencontrés au hasard, qui ont été solidaires ou, au contraire, malfaisants.

Globalement, c’est une vision du Japon extrêmement déprimante qui est dépeinte. Car derrière l’honneur à tout prix, il y a souvent la violence, la corruption et les intérêts personnels de ceux qui ont du pouvoir. Nakazawa illustre donc surtout l’hypocrisie générale qui règne à cette époque. Il est effrayant de constater que personne n’est épargnée par les violences : les enfants, quel que soit leur âge, les femmes, qu’elles soient enceintes ou jeunes, sont rossés, humiliés, régulièrement. Le vrai ennemi est intérieur et les Américains ne sont qu’à l’arrière-plan.

Le tome 1 se finit par le lâcher de la bombe atomique et ses effets directs. Après bien de péripéties chez les Nakaoka, les violences quotidiennes semblent une broutille face à la tragédie qui se déroule ici. Les corps qui fondent, la moitié de la famille du héros prisonnier meurt brûlée vive sous les décombres. L’auteur appuie là où ça fait mal et il parvient à nous transmettre un peu du traumatisme, une apocalypse authentique, une fin émouvante et marquante.

Le tome 2 est un catalogue de tous les maux provoqués par la bombe : les brûlés qui ressemblent à des zombies, la peau qui se détache, la diarrhée, les tâches étranges sur la peau, les vers qui s’insinuent sous la peau. En allant chercher à manger pour sa petite sœur nouvellement née, il croise la route de nombreux survivants qui ont perdu pied avec la réalité. L’horreur de chaque situation est extrême et l’on se prend parfois à se demander s’il s’agit de la réalité ou non. Nakazawa clamait que tout est autobiographique.

A partir du tome 3, on commence à comprendre le leitmotiv de l’auteur. Gen et sa mère ont trouvé un hébergement chez une amie mais ils sont toujours la cible des autochtones. Ceux-ci sont systématiquement violents, aigris, radins, méchants voire cruels. Même si la bombe est une chose horrible qui n’épargne personne, le comportement des citoyens japonais semblent être au coeur de l’oeuvre. Une fois qu’il n’y a plus rien à manger, que la misère s’est installée, c’est aussi l’égoïsme qui prévaut et la loi du plus fort. Alors que l’on utilise les tomes 1 et 2 pour expliquer la guerre et la bombe dans les écoles, les volumes suivants ont été plus ou moins censurés. Le gouvernement et surtout l’empereur Hiro Hito y sont fortement critiqués pour leur implication dans la guerre. Même si les américains sont considérés comme inhumains, les chefs d’Etat restent tout de même les responsables de cette situation.

Le tome 4 reste sur le même schéma du survival alimentaire. De nouveaux personnages font leur apparition : les profiteurs de guerre. Alors que le chaos règne, ils font un maximum d’argent avec la moindre denrée. C’est aussi à ce moment que les yakizas en profitent pour former des clans. La suite de l’histoire est peut-être moins intéressante car on finit par voir des schémas dans le récit de l’auteur et une propension à verser dans le mélo (. Gen se fait abuser, puis se venge. A plusieurs reprises, il aide des nécessiteux dont personne ne veut s’occuper. Il représente une contre-pensée altruiste à l’atmosphère ambiante. Même si l’auteur assure que tout a été vécu par lui et sa famille, le livre semble se caler sur la situation politique et historique pour montrer l’impact de chaque événement sur le quotidien du peuple. Ceci fait que les dix tomes au total sont un peu longs et parfois répétitifs. Malgré tout, il faut absolument lire les quatre premiers volumes qui sont un véritable choc psychologique et émotionnel.

Titre original : Hadashi no Gen. Editeur : Vertige Graphic

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