Enquête sur une passion, de Nicolas Roeg

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Quand j’ai visionné Enquête sur une passion, il y a plus de 25 ans pour la première fois, je me suis privé – involontairement – du plaisir de découvrir le dénouement, la faute incombant à un enregistrement défectueux sur Canal Plus. Au fond, ce n’était pas très grave de rater les cinq dernières minutes. En soi, l’histoire n’a rien de transcendant, mais elle est justement transcendée par une mise en scène au maniérisme outré, sorte de point de rupture des expérimentations d’un cinéaste toujours à l’affût d’innovation.

Enquête sur une passion est un mélodrame sensuel et intellectuel, structuré comme une sorte de puzzle mental pour le moins déroutant. Le récit se déroule, et ce n’est pas vraiment un hasard, à  Vienne, la ville de Freud mais aussi de l’écrivain Arthur Schnitzler et du peintre Egon Shiele cité abondamment tout au long du récit. Une jeune américaine, Milena Flaherty,  est transportée à l’hôpital après une surdose de médicaments. Son sort semble incertain. Un flic s’intéresse au Docteur Alex Linder, chercheur en psychiatrie,  qui a appelé les secours, mais reste plus que vague sur sa relation avec la victime. Une amie, dit-il à plusieurs reprises. Or cet « intellectuel » distant et évasif a vécu une véritable passion tumultueuse et érotique avec Milena.

Long flash-back introspectif, sans réelle chronologie cohérente, le film nous immerge à l’épicentre de la relation vénéneuse et charnelle entre deux êtres antinomiques. D’un côté la raison, l’esprit cartésien et distancié et de l’autre, la folie, l’excès, les sentiments exacerbés. Les contraires s’attirent pour mieux se détruire.

Long voyage mental fragmentaire qui raconte la perte de repères d’un individu, en apparence équilibré, au contact d’une femme fantasque et borderline, Bad timing (titre original) témoigne aussi de la fin d’une époque esthétique. Nicolas Roeg n’est jamais sorti de son rôle de chef opérateur (Le masque de la mort rouge, Fahrenheit 451). Tout est pensé en  image. Chaque idée avancée sur l‘amour et l’art est formalisée par des dispositifs visuels pertinents. Quitte à paraître parfois obscurs ou désordonnés. Nicolas Roeg refuse une narration linéaire au profit d’un récit chaotique, heurté pour mieux saisir la psyché d’un « homme » amoureux,  hypnotisé par le pouvoir d’une femme à multiples facettes, déstabilisant le schéma classique que le psychanalyste s’était fait des femmes. D’où ce travail sensuel, charnel, sur la composition des cadres, les effets de montage poussés à leur paroxysme et une utilisation pertinente de la musique. Le Kholn Concert de Keith Jarrett colle génialement à  la séquence des retrouvailles entre les deux amants. Nic Roeg trouve à ce moment l’émotion juste, avec la distance nécessaire pour ne pas sombrer dans le pathos.

Avec son air absent, son côté lymphatique dénué de charisme, Art Garfunkel est l’interprète idéal et surprenant de ce psy ni antipathique ni attirant. Il semble, par son jeu volontairement désincarné, dans un ailleurs insaisissable. Il demeure au fond le personnage vraiment inquiétant du film, celui qui franchit les barrières de la raison. Son amour est vécu comme une maladie, un drame dont il n’arrive pas à s’extirper. Face à son côté impénétrable, Theresa Russell a l’air d’en faire des tonnes mais son jeu outrancier et théâtral est le complément idéal d’un couple mal assorti en apparence mais totalement fusionnel dans ce qu’il a de plus indicible. C’est un peu là le cœur de la réussite de ce grand film malade, essayer de comprendre en « image », dans une veine très picturale,  les mécanismes d’attraction/répulsion d’un couple pris dans un engrenage d’amour et de haine irréversible.

Avec L’homme qui venait d’ailleurs et Ne vous retournez pas, Enquête sur un passion marque l’apogée d’un style excessif dont l’inspiration est à chercher du côté du psychédélisme des années 60, de la peinture expressionniste, de l’avant-garde mais aussi, fait plus surprenant, du côté du giallo. Le montage syncopé, les zooms incessants, les décadrages insolites, les associations entre les plans qui s’enchaînent sont déclinés comme autant de motifs narratifs affirmant la toute puissance de ce qu’on appelle « la mise en scène », ici véritable sujet du film.

Nicolas Roeg abuse d’effets visuels jusqu’à saturation mais son geste d’artiste complet ne cesse d’étonner dans ce film d’amour fou parfois abscons mais habité par d’éclats magnifiques et une émotion diffuse grâce à la présence bouleversante de Mme Roeg à l’époque, la divine Theresa Russel qui trouve là le rôle de sa vie.

 

(GB-1980) de Nicolas Roeg avec Theresa Russell, Art Garfunkel, Harvey Keithel.

Edité chez Potemkine. Durée : 123 minutes. Versions : français, anglais. Sous titres : français. Format : 2.35 original respecté 16/9ème compatible 4/3.Couleur

Bonus

Analyse du film par Jean Baptiste Thoret

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