M le Maudit, de Joseph Losey

Dans le contexte houleux du cinéma américain du début des années 50, en pleine période du McCartisme, un remake de M Le Maudit ne pouvait s’envisager que pour une raison : l’aura intemporelle de l’original, justifiant à lui seul la transposition aux Etats-Unis d’un scénario d’une subversion radicale. La censure a quand même laissé passer un film sur un pédophile, lynché par une population regardée un peu de travers, par un cinéaste assumant pleinement sa position morale et progressiste. Pas sûr qu’aujourd’hui une telle attitude soit encouragée par les studios si une nouvelle version du chef d’œuvre de Fritz Lang devait voir le jour.

Le destin de ce M le maudit est pourtant curieux à bien des égards. Joseph Losey accepte au départ une commande sans se douter des répercutions et de l’analogie sur sa vie personnelle. Et aussi le rapport avec l’original. Quand Lang réalise le film en 1932, à la veille de la prise de pouvoir des nazis, le cinéaste flaire la situation et décide de quitter l’Allemagne pour s’exiler en France puis aux Etats-Unis. Il s’enfuit à temps et de son plein gré. En revanche, l’auteur du Garçon aux cheveux verts n’avait sans doute pas prévu une nouvelle coïncidence. Peu de temps après la sortie de son M, il est dénoncé en tant que communiste. Plutôt que de se présenter devant la House Un-American Activities Committee, il décide de s’expatrier en Angleterre. Il ne remettra jamais les pieds aux USA, préférant continuer, au début sous des pseudos, de tourner des films en Angleterre (l’excellent The servant, le très cérébral Accident) mais aussi en France (Mr Klein, La truite). Pourtant, sa période américaine est la plus fulgurante et la plus puissante, placée sous le soleil de plomb du film noir. Les velléités auteurisantes parfois sur-signifiantes de Losey, surtout lorsqu’il s’associe au dramaturge Harold Pinter, n’alourdissent pas encore ses histoires servies par des mises en scène précises et sans fioriture. En acceptant des films à priori commerciaux, Losey ne s’imaginait sans doute pas qu’il signait en réalité des petits chefs-d’œuvre du genre (le rodeur, …). M le maudit, conspué à sa sortie, et peu apprécié par Lang lui-même, est pourtant un épatant film noir, qui tourne le dos à certains archétypes. Losey, conscient du caractère indépassable du modèle, ne singe pas l’esthétique de Lang, ni expressionnisme allemand. La photographie est lumineuse, le noir et blanc met davantage en valeur les décors urbains riches et variés que les effets d’ombres, les contrastes pour signifier le bien et du mal. Au fond, M le maudit est un film moderne qui frappe par la justesse des situations et la lucidité avec laquelle Losey observe ses contemporains. Car derrière cette chasse à l’homme, le réalisateur dresse le portrait d’une Amérique paranoïaque, réactionnaire, corrompue, lâche, et surtout prête à exploser dès qu’une cible se présente.

Il scrute un pays érigé sur les cendres des massacres, de la violence et de la détestation de l’autre. Mafia, populace, politique, flics… personne ne sort grandit de cette vision assez nihiliste de l’humanité. Même si la fin tend à prouver le contraire, réflexion scolaire sur la loi et le droit d’être défendu, M le maudit frappe d’abord par son pessimisme et demeure en fin de compte une transposition brillante et justifiée du chef d’œuvre de Fritz Lang.

A quelques digressions près, Losey ne se démarque pas de la version de 1933. Le scénario est signé Norman Reilly Raine et Leo Katcher. Ils s’amusent à modifier certains détails. M  ne siffle plus mais joue de la flûte comme le joueur de flûte d’Hamelin qui attire tous les enfants d’un village pour les faire disparaître à jamais.  La référence au conte n’est pas gratuite puisqu’elle est une partie intégrante du profil psychologique de l’assassin qui ne pense pas faire du mal mais au contraire libérer les enfants d’un monde cruel.

La mise en scène est un modèle d’épure et d’intelligence. Parmi les grands moments du film, on peut retenir cette séquence magnifique où l’on voit M à travers une barrière quadrillée. On a l’impression qu’il est enfermé dans une cage comme un oiseau. Ce qu’il est effectivement, prisonnier de ses propres démons, figure pathétique d’un homme qui a choisi la voie du meurtre pour exister. La caméra avance et s’infiltre à travers les barreaux virtuels. Là, M observe un oiseau gisant au sol. Il l’attrape et tente de le faire voler.

Le plan est magnifique, intense. Et par le simple pouvoir des images et du montage, il cerne le profil psychologique de M.  Il est rare par ailleurs de voir au cinéma un personnage « négatif », tueur d’enfants de surcroît, filmé avec une telle empathie et une telle compréhension. M est sensible, enveloppe les petites filles d’un manteau quand elles ont froid, essaie constamment d’être gentil avec elles. Losey n’en excuse pas pour autant ses actes qui n’apparaissent pas à l’écran. Son « serial killer » est un malade qui se doit d’être soigné et protégé de la haine et de la fureur de ses semblables.

Derrière l’habile exercice de style ne s’écartant que rarement de l’original, Joseph Losey réalise un grand film noir, audacieux par son propos et haletant de bout en bout. La direction d’acteur est exceptionnelle jusque dans les moindres seconds rôles.

(USA-1951) de Joseph Losey avec Howard Da SilvaLuther Adler, Raymond Burr,  Norman Lloyd, Martin Gabel

Edité par Sidonis

Format : 1.37. Audio : Anglais, Français. Noir et blanc. Durée : 89 mn

Bonus

Présentation du film par Bertrand Tavernier (Ruez-vous sur l’analyse pertinente et passionnée de Tavernier.)

Présentation du film par Patrick Brion

Présentation du film par Michel Ciment

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