Journée noire pour un bélier, de Luigi Bazzoni

Journée noire pour un bélier ne jouit pas d’une réputation très flatteuse. La faute en incombe en partie à un scénario confus et peu inspiré. Du moins dans mes souvenirs quand je l’ai vu la première fois dans une copie VHS délavée et dans un format tronqué. Suprême erreur qui indique à quel point certaines œuvres majeures ont été mal vues, quand elles n’ont pas été tout simplement ignorées. Car la critique, souvent lapidaire et cadenassée dans ses opinions toutes faites, est passée à côté de plus d’un film qui méritait d’être distingué.

Sans parler de film maudit ou malade, ce giallo n’en demeure pas moins l’un des plus dignes représentants du genre grâce à sa mise en scène sophistiquée et inventive. Et aussi, avec la révision qui s’impose, grâce à son script tortueux et assez bien ficelé qui tente une approche plus symbolique et abstraite que les habituelles machinations concoctées par Ernesto Gastaldi ou Dardano Sachetti pour Sergio Martino ou Umberto Lenzi. L’intrigue se distingue également des scripts tournant autour de  traumas psychanalytiques chers à Argento et nous immerge au final dans un univers décadent et malsain pas si éloigné des œuvres d’Aldo Lado ou de Massimo Dallamano.

Walter et son amie Julia sont témoins d’une agression dans un tunnel. Le journaliste Andrea Bild se voit confier l’enquête par son supérieur. Rapidement, les soupçons se portent sur lui, d’autant qu’une série de crimes semblant l’impliquer s’accumulent. A chaque fois, il est incapable de fournir un alibi à ces meurtres dont il connaît la plupart des victimes. Il décide de retrouver le coupable afin de s’innocenter.

Dès les premières images, on est happé par ce thriller italien qui se distingue par une forme brillante. La séquence dans le tunnel, magnifiquement photographiée dans un style post-expressionniste, rappelle la fuite d’Orson Welles dans Le troisième homme. Le montage est alerte, les cadrages sophistiqués. La musique de Morricone, particulièrement inspirée, atteint le niveau de ses compositions pour Dario Argento, ce qui n’est pas un mince compliment.

Et in fine, tout amateur du genre ne peut que se rendre à l’évidence. On est loin du produit de consommation basique alors en vogue au début des seventies au sein du cinéma italien. Luigi Bazzoni est un réalisateur atypique, auteur d’un pré-giallo mélancolique (La donna del lago), d’un faux western inspiré de Carmen (Le cheval, l’homme et l’orgueil) et surtout d’un des ovnis les plus bizarroïdes du septième art, une incursion quasi surréaliste dans le film de genre (Le Orme). Peu prolifique, Bazzoni a construit une œuvre intéressante à laquelle participe aisément Journée noire pour un bélier, conçu au départ comme une commande. Mais il s’est tellement bien entouré que le résultat est stupéfiant. Le directeur de la photographie, Vittorio Storaro, qui venait de travailler avec Dario Argento sur L’oiseau au plumage de cristal, accomplit des miracles. L’utilisation pertinente de la caméra subjective maintient constamment le suspense, le grand angle instaure un climat vraiment anxiogène. Les mouvements de caméra très complexes, mettent en valeur les décors baroques, notamment l’intérieur de la villa cossue de l’ex-femme du journaliste. Grâce au travail du futur chef op d’Apocalypse now, Luigi Bazzoni livre une mise en scène inventive et intuitive qui respire le cinéma  à chaque plan, dynamisée par un montage nerveux éclatant de modernisme.

L’intrigue, arachnéenne et parfois un brin absconse, est valorisée par la pureté plastique de la réalisation qui respecte les codes esthétiques et fétichistes du giallo sans sombrer dans la caricature. Les meurtres sont habilement agencés avec ce qu’il faut d’érotisme et de sang rouge vif.

Si la résolution de l’énigme s’avère décevante, ne tenant pas les promesses initiales d’une histoire alambiquée, Journée noire pour un bélier s’avère un giallo de très bon niveau dominé par l’interprétation impeccable du magnétique Franco Nero, décidément l’un des plus grands acteurs du cinéma italien. Une réussite. Seul regret : l’apparition trop succincte de la splendide Agostina Belli.

(ITA-1971) de Luigi Bazzoni avec Franco Nero, Silvia Monti, Agostina Belli

Edité par Le chat qui fume. Langues : Italien. Sous-titres : Français. Format film : 1.85 d’origine 16/9 compatible 4/3. Couleur. Durée : 88 mn

Bonus

D’ombres et de lumières avec Vitorio Storaro (directeur de la photographie) et Franco Nero : un vrai plaisir d’écouter deux monstres sacrés du cinéma dans des domaines certes bien distincts.

Bandes annonces

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2 commentaires sur “Journée noire pour un bélier, de Luigi Bazzoni”
  1. Je suis d’accord avec le fond de votre critique, en revanche j’ai eu du mal à comprendre certaines phrases. La faute à trop d’adjectifs qui alourdissent votre papier au demeurant estimable.
    Certains parti-pris demeurent obscurs :”Car la critique, souvent lapidaire et cadenassée dans ses opinions toutes faites, est passée à côté de plus d’un film qui méritait d’être distingué.”
    Quelle critique? J’ai toujours lu des propos nuancés au sujet de ce giallo qui possède des défauts et des qualités que vous-même retranscrivez ici.

  2. Un giallo incroyable sur le plan de la réalisation. A voir et à revoir !!

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