La Loi de la Jungle, d’Antonin Peretjatko

Antonin Peretjatko. On va commencer par là, c’est ce qu’il y a de plus dur à taper. Peretjatko, donc, jeune réal français, deux longs-métrages dont celui qui nous intéresse (le précédent était La fille du 14 juillet, il faudra en reparler un jour, ne serait-ce que pour rendre hommage au docteur Placenta, saint patron des amateurs de ouiski & de jazz qui craque). Avec son équipe de suspects habituels – les acteurs Vincent Macaigne et Vimala Pons – il enfonce encore un peu son coin dans la tranche comédie du cinéma national, et c’est super tant mieux.

La loi de la jungle m’a beaucoup fait rire, parce que c’est un film vraiment drôle et qui ne ménage pas sa peine. Il brasse à peu près tous les registres du marrant, de l’absurde à la satyre, du comique de situation au burlesque, ça passe par le jeu d’acteur, par le script, par la mise en scène, par le métadiscours sur le cinéma et ça s’enchaîne avec un enthousiasme communicatif. Difficile de trouver une comparaison juste, je voudrais pas faire le namedropper fou, mais La loi de la jungle tient à la fois de La Cité de la peur, des Gendarmes à Saint Tropez, de The Party, du Woody Allen des débuts et du cirque contemporain, il y a du Boris Vian dedans, du Marcel Aymé et du Pierre Dac, en plus d’une dimension politique qui m’a beaucoup plu. J’y reviens dans un instant. J’ai oublié de vous faire le pitch.

Marc Châtaigne (Vincent Macaigne), stagiaire au Ministère de la Norme, est mandaté en Guyane pour normer ISO9001 le chantier de Guyaneige, première piste de ski indoor des tropiques. Là-bas, il rencontre Tarzan (Vimala Pons), stagiaire à l’ONF avec laquelle il se perd dans la jungle. Il y aussi (entre autres) un huissier psychopathe à tronçonneuse et le promoteur d’une ligne de TGV Cayenne-Manaus criblé de fléchettes au curare.

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Du boulot de Peretjatko, les critiques aiment à dire qu’il se place à mi-chemin de Godard et de Max Pecas, ce qui est franchement marrant et pas tout à fait faux. L’aspect le plus visuel, le plus directement déroutant de son travail est, en effet, sa filiation avec les années 60. L’identification visuelle immédiate avec les trente glorieuses lui offre une grande liberté plastique (plein de techniques de cinéma ont été sabrées depuis, du jumpcut au zoom en passant par l’illustration sonore tonitruante : il s’en donne à cœur joie) ainsi que la possibilité de tenir un discours sur le temps présent que je trouve aussi subtil que réjouissant.

Sous ses dehors farfelus en roue libre, La loi de la jungle (comme La Fille du 14 juillet) est très cohérent sur ce qu’il nous dit du monde : c’est un brûlot anarchiste et hédoniste, avec une grosse louche d’inquiétude. Tous les niveaux du films sont cohérents là-dessus, depuis les dialogues poético-absurdes (“- Tu crois qu’on va s’en sortir ? – De la jungle ? – Non, de la vie.” / “Il y a quatre modes d’être au monde : le futur, le passé, le présent et l’absent. Je suis dans le présent.”) jusqu’aux grandes lignes de l’intrigue (l’appareil administratif d’État, le capitalisme de marché, le post-colonialisme) en passant par les personnages et les mythes cinématographiques invoqués. Châtaigne et Tarzan, par la jungle, se transforment, ils atteignent une forme de liberté qui est une sécession, tandis que le monde poursuit sa course frénétique vers l’autodestruction. De façon très transparente, sans métaphore, on voit à l’œuvre l’État d’Urgence, le racisme institutionnel, la montée du fascisme. Je sais pas trop ce qu’on peut demander de plus à un film, ni au fond de plus difficile : d’être marrant, ouvert et très généreux, et en même temps malin et pertinent.

Cerise sur le gâteau, les deux acteurs principaux sont incroyables, avec une spéciale mention à Vimala Pons, de très loin la meilleure actrice française du moment. Sa performance physique et humaine est dingue, elle sait juste tout faire (émotion, grimace, séduction, baston, fragilité… tout je vous dis), et c’est un grand mérite de ce film de laisser la porte ouverte à l’ensemble de ces possibles. Dans un tiers rôle, Pascal Legitimus, un peu empâté et super sobre, est aussi excellent que surprenant.

La loi de la jungle est bien à l’ouest mais (parce que) c’est ce qui est arrivé de mieux à l’humour depuis, pfou, presque toujours. Il y a du génie là-dedans, du génie inquiet, comme notre temps, et du génie exigeant, aussi, en terme de ce qu’on peut mobiliser pour faire marrer les gens. Voyez-le, dans le pire des cas vous passerez un chouette moment.

Sortie en dvd le 18 octobre 2016. Editeur : Orange Studio.

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