Humiliation

Nouveau concept de chronique Cinétrange, l’Humiliation consiste à binge watcher des films qu’on a jamais vu tout en ayant toujours prétendu le contraire. À pratiquer avec le soutien de toutes sortes de nourritures grasses, bières éventées et drogues récréatives.
Ce week-end & pour fêter mes bientôt 18 ans de collaboration au fanzine des cinémas méphitiques, je vais tâcher de rattraper cinq classiques d’époques diverses, que je crois connaître à force de les avoir racontés, sans en avoir vu plus de quelques extraits Youtube. Ensuite, je les achèverai d’un avis définitif et lapidaire.
Vamonos.

DELIVERANCE, John Boorman, 1972

Ed et trois de ses potes partent en week-end canoë. Le trip est à l’initiative de Lewis, copain d’enfance resté très Yakari dans sa tête, mais Ed y incruste deux de ses amis relous-intellos de sa nouvelle vie de papa rangé. Au lieu de se refaire les gorges du Verdon, l’équipée choisit un spot perdu du milieu des Appalaches, derrière un village où tout le monde a le même nom de famille et qui sera, dans deux mois, englouti sous un lac de barrage. Les locaux sont creepy mais Lewis s’en bat la race : il a ramené son arc en fibre de carbone et son gilet à décolleté poilu. Lewis sait que dans le futur (de 1972) seuls les plus forts survivront.
Alors bon, comme tout le monde l’a déjà vu ou se l’est fait raconter, je mets pas de balises [spoiler]. Ed et le courtier en assurance se font viteuf coincer par une paire de chasseurs dégénérés, qui décident d’étrangler le premier et d’enculer le second en lui faisant imiter le cri du cochon. Lewis bute un des psychopathes, l’autre se fait la malle. Avoir tirés à la courte paille, le quatuor décide d’enterrer le cadavre péperlito et de faire comme si de rien.
En vrai, tout cette intro est beaucoup moins traumat que ce que je craignais. La scène de duel de banjo et celle du tour à dos de truie dont tout le monde cause déboulent tôt et sont tournées dans l’efficacité. Ensuite, le film s’articule beaucoup autour de questions morales, bien plus embarrassantes que les actes de violences commis. La façon dont les personnages sont caractérisés et dont ils interagissent est finement menée, sur une trame très classique de complicité homicide. Il y a deux ou trois chouettes retournements de perspectives au fil du récit, et une belle tension policière qui renouvèle complètement le film sur les quinze dernières minutes.
Je m’attendais à un gros film vénère sur l’enracinement ténébreux des campagnes, en vrai c’est le cas pour la première demi-heure, ensuite ça part en survival Sur le fleuve, pour finir en distribution de claques morales sur ton petit cul de spectateur middle class.
Verdict : j’adhère.


CANDYMAN, Bernard Rose, 1992

Helen est thésarde en urban legends. Son mari, prof d’urban legend à l’université, l’emmène à des dîner d’urban legendeurs à cheveux gras, d’odieux connards qui draguent les étudiantes en master 2 urban legends. Avec sa copine Bernadette, Helen enquête sur le Candyman, fantôme d’un terter de narvalos au sud de Chicago. Elle ne croit pas en toutes ces conneries (“Je ne crois pas en toutes ces conneries”), ce qui est un credo assez débile quand on est l’héroïne d’un film d’horreur. Prenant leurs bollocks à quatre mains, Helen & Bernadette descendent sur le terrain pour espérer gratter une mention. Mais à peine dans le hood qui s’est-y qu’elles croisent ? La pluie de cadavres éventrés peut commencer.
J’ai une assez haute opinion de Bernard Rose depuis que j’ai lu son long interviou autour de Nicholas Roeg #coeuraveclesdoigts. Et comme il paraît que Candyman est un film culte, je me dis qu’il est temps de rattraper (d’autant que Clive Barker au scénar + Phil Glass à la musique, ça namedroppe dur au générique).
En réalité, ce n’est pas très intéressant. Il y a de chouettes pistes – dont celle des urban legends, je me moque parce que c’est devenu un topos, à l’époque ça devrait être assez neuf. L’idée de la cité HLM hantée est cool, comme le parallèle entre les buildings du project et celui du condo classieux où vit l’héroïne. Le personnage principal est bien, avec un chouette moment d’horreur sur la psychiatrisation des revendications féminines. Bernard Rose aborde aussi de front la question du racisme, de la relégation et de l’héritage de l’esclavage aux États-Unis (bon, il est Britton, c’est sans doute plus facile pour lui). Et le tout est plutôt chouettement réalisé, avec un style graphique qui annonce Seven et le tournant de millénaire.
Le souci c’est qu’aucun des sous-thèmes n’est exploité dans le récit, et que la seule chose qui tienne le film de bout en bout c’est l’intrigue paranormale, qui ressemble à un mauvais scénar de jeu de rôle ésotérique-contemporain, ou à un épisode de X-Files un peu moyen. Virginia Madsen assure. Il y a assez de sang sur les décors pour vous passer le goût du boudin.
Verdict : dispensable.

 


THE HILLS HAVE EYES, Wes Craven, 1977

En regardant Délivrance, cette fulgurance a jailli dans mon esprit déjà bien attaqué : le cinéma c’est l’art de cuisiner les restes. Que ce soit pour les scènes de descente de rapides en canoé (Deliverance, donc) ou celles de baston entre chiens et acteurs déguisés en sauvages (The Hills Have Eyes), l’imprévisibilité des plans tournés nécessite un constant bricolage de la part du réal/monteur, ainsi qu’une bonne dose de reconstruction de la part du spectateur. Comme dans la bédé, en fait, incombe à ce dernier la tâche de remplir les espaces inter-séquentiels, combler les ellipses, rectifier les faux-raccords, rétablir le fil narratif. Les signes qu’agence le cinéma sont si difficile à saisir proprement (parce que requérant la bonne volonté des acteurs, des techniciens, de la météo et du transit du réal) que le résultat final ne peut qu’être le fruit d’une chaîne de bidouilles et d’improvisations. En ce sens, La Colline a des yeux est une salade de fond de frigo particulièrement bourrative. La faute à son genre, à son budget, à son contexte réalisation.

Pépé Nazi, ex flic de Cleveland, rêve pour ses noces d’argent de visiter les mines à l’abandon d’un périmètre d’essais nucléaires. Il embarque sa smala dans un genre de mobile home tiré par un gros break, qu’il s’empresse de foutre dans le décor en plein désert. L’engin s’appelle trailer en anglais : c’est le chariot des colons partant vers l’Ouest qui, en chemin rencontrent forcément des païens cannibales (les heathens des westerns), mix de redneck et de Rahan rappelant immanquablement les natives du siècle passé. Sauf que les acteurs sont blancs comme des culs et ont le plus grand mal à courir pieds nus dans la rocaille.
Le décor est celui de l’Amérique en déréliction, avec ses tas de déchets, ses bâtiments en ruine, ses communautés affolées par la misère (cf. Candyman, cf. Délivrance). Ça parle du choc des États-Unis civilisés et de son arrière-monde sauvage (cf. Délivrance). Toutes les violences sont autorisées, sauf celle à l’encontre des nouveaux-nés (cf. Candyman). Et si on peut y lire une fois encore un sous-texte sur les systèmes de domination, une critique des préjugés, le spectateur est une fois du plus du côté des dominants. La chercheuse blonde dans la cité noire, le survivaliste dans la gorge profonde, le beauf du midwest dans le deep south. À quand un film de pouilleux raconté par les pouilleux mêmes ? Nous sommes les 99% de culs terreux bouffeurs de thymus humains.
La clause de suspension d’incrédulité que Craven nous demande de signer a l’allure d’un chèque un blanc, mais l’aspect DIY prend du coup quelque chose de marrant. On est toujours à la frontière du sérieux et de la parodie, avec une conscience des cadres de production élevée (clins d’yeux aux spectateurs adolescents qui matent le film au drive-in tout en se pelotant). Bref, ça ressemble déjà très fort à ce que Craven fera avec la série des Scream, des B-movies post-modernes et suffisamment finauds pour capitaliser sur le tableau de la critique intello. Je n’ai pas eu peur une seconde. Au vu de la réputation, j’espérais aussi quelques scènes de cannibalisme gore que j’ai attendues toute la nuit.
Verdict : pas pour moi.


GODZILLA, Ishiro Honda, 1954

D’emblée je découvre que Godzilla s’appelle en vrai Gojira, nom qui a été translittéré avec les pieds au moment de la distribution hors archipel, j’ai pas perdu mon temps avec ce Défi Humiliation. Comme je n’ai vu à ce jour aucun film featurant ce monstre, je commence par le premier.
La mer bouillonne au large d’une île de péquenots nippons. Un bateau prend feu, puis celui venu lui porter secours, puis les deux suivants, puis etc. Ensuite un tsunami frappe les terre et un vieux sage sans dent nous dit : “c’est Godzilla qui a fait le coup, vous savez, ce monstre légendaire dont parlait les ancêtres mais que la modernité a choisi d’oublier.” Un peu comme s’il avait vu Candyman la veille et appris par cœur les meilleures répliques. Sauf que deux minutes plus tard, le monstre pointe sa bobine crasseuse au-dessus de la colline (qui n’a pas d’yeux) et comme tout le monde le voit y compris les scientifiques on invalide direct la piste de l’urban legend.
À partir de là, les dégâts du Lézard Atomique Pyrogène du Fond des Âges vont crescendo. Ça commence balèze, puis il bouffe des trains comme King Kong fin de carrière, et après encore il se lance dans une orgie de destruction urbaine dont on ne sait pas bien si on doit s’en réjouir (la performance technique, la griserie du tas de cubes détruit à coup de pied), s’en émouvoir (il y a des gens partout, des victimes, de la vraie peur) ou s’en scandaliser. Et puis encore : une histoire d’amour peu palpitante; une morale sur la guerre qui n’est pas sympa mais qui on le sait reviendra.
Godzilla 1954 est un film exotique : il vient de loin, dans l’espace et dans le temps. On y voit bien sûr [balise=le truc que tu savais depuis toujours sans avoir à visionner un seul film de ma série]l’héritage de la récente guerre mondiale[/balise]. Il y a la bombe atomique et la radioactivité, la vie dans les abris, les infos anxiogènes, les villes incendiées. On y retrouve le patriotisme jusque dans les décisions intimes, la gestion politico-technique des populations, la place centrale de l’armée, la question de la moralisation de la science et du progrès technique. Des comités de femmes représentent une société civile en colère et qui a son mot à dire, élément plutôt rare dans les films catastrophes où l’expert est seul à avoir raison.
J’ai pensé à Mishima par moment, aux vieux classiques japonais, à Tintin, à de la SF très old school. En même temps, autant de temps s’est écoulé entre Jules Verne et Godzilla qu’entre Godzilla et nous. Sans même parler de tonton Lovecraft.
Verdict : okay comme classique Garnier Flammarion. Je pense qu’il me faudrait un appareil critique pour en choper tout le sel.


THE TEXAS CHAIN SAW MASSACRE, Tobe Hooper, 1974

Le dernier titre de mon run, j’étais un peu dubitatif en le lançant dans la mesure où dix mille films se vantent de s’inspirer de Massacre à la tronçonneuse, et que j’avais peur d’en avoir fait le tour par procuration. Mais j’avais tort et j’avais tort : c’était vachement mieux que ce que j’espérais, vachement mieux que ce que son titre ou même que les laudations de ses imitateurs pouvaient me laisser soupçonner (à commencer par la Colline à des yeux, conçu comme un hommage et qui ne lui atteint pas la cheville). Le film de Tobe Hooper a la violence traumatisante que j’attendais dans Délivrance et que je désespérais d’encore croiser ce week-end.
Le pitch n’a aucun intérêt, c’est celui de tous les slashers après lui, des jeunes hippies qui croient que le pays est à eux et qu’ils peuvent baiser partout, des rednecks d’emblée chelous, un véhicule commun qui lâche, et puis bim bam boum. Il y a bien sûr énormément de petits trucs dans le récit qui ont été pompés et repompés, vus et revus. Mais ce ne sont que les gimmicks, ça ne touche jamais à l’endroit où ce film-ci est exceptionnellement bon.
D’abord par l’inventivité de sa réal, qui mélange des techniques très diverses tout restant cohérent en permanence : de beaux plans tableaux, des prises de vue supercompliquées composées dans des cadres insérées, alternées avec des moments de dialogues semi improvisés et chopés caméra à l’épaule, des séquences montées en mosaïque de flashs, des gros plans de l’extrême tendant à l’abstraction, etc. Le son n’est pas en reste, presque minimaliste, avec des drones avant l’heure, un affreux bruit de moteur en continu et un des génériques de fin les plus punitifs de la terre (au moment où on troquerait son sang contre les violons de l’apaisement). No doubt, Tobe Hooper est juste un boss du cinéma comme art plastique.
Mais encore : Massacre à la tronçonneuse est formidable de radicalisme. Le film va super loin dans la violence, pas tant en mode catalogue de petits sévices à la Saw que par une continuité permanente laideur – cruauté – sadisme – folie. Dans l’univers du cauchemar, l’acte de blesser est une forme d’apaisement, en ce qu’il referme le faisceau terrifiant des possibles.
On s’ennuie très vaguement pendant les nombreuses et répétitives séances de course-poursuite – qui deviennent intolérables parce que trop nombreuses, trop répétitives pour qu’on soit encore-dans-un-film. Et ces petites courses sont des balades de santé par rapport aux scènes de famille abominables. Les acteurs sont excellents, les monstres font peur à crever, les gentils jouent la terreur à merveille. L’avant-dernière scène, interminable, est saturée par les hurlements du personnage, PLEASE, PLEASE MAKE IT STOP, et c’est exactement là qu’en est le spectateur, qui supplie, bien plus sûrement que dans les fanfaronneries de Gaspard Noé, pour que le supplice s’arrête.
Massacre à la tronçonneuse est un vrai traumatisme, qui casse toutes les attentes qu’on peut avoir d’un film d’horreur. C’est un des rares vrais films terrifiant que j’ai vus dans ma vie.
Et un très radical brûlot végétarien.
Verdict : sa race, j’ai bien fait de venir.

(Ah, et deux trucs dont Massacre est génialement dépourvu : les jumpscares et la menace avant que la violence ne survienne, big up Tobe.)

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