A la recherche du plaisir, de Silvio Amadio

Les délices du cinéma bis transalpin n’ont pas fini d’enchanter nos vies de cinéphiles, toujours à la découverte de la pépite secrète.

Longtemps invisible sur les écrans, puisqu’il n’existait qu’une copie DVD  import de piètre qualité, ce titre inédit en France a acquis au fil du temps le statut fort envié de film culte. Bien sûr,  tout objet filmique convoité se voit souvent attribuer à tort et à travers un tel qualificatif. Mais passons ! L’important est de pouvoir visionner de telles raretés dans des conditions optimales. Et miracle, grâce au Chat qui fume, A la recherche du plaisir aka Amuck, est enfin exhumé des oubliettes dans une copie splendide. Celle-ci restitue à merveille les couleurs vives, notamment le décor baroque de la luxueuse demeure dans laquelle se déroule l’essentiel de l’intrigue.

Cette rareté n’est pas à proprement parler un giallo. Les éléments propres au genre sont même absents jusqu’au dernier quart d’heure, d’une sauvagerie libératrice. Exit le tueur aux mains gantées,  les meurtres ritualisés et même la bouteille de J&B de circonstance, étrangement absente ici.

Il s’agit davantage d’un thriller psychologique aux accents érotiques très prononcés. Le scénario s’inspire vaguement de films comme Les enchainés d’Hitchcock pour bifurquer davantage du côté de l’onirisme, du rêve éveillé, donnant alors un cachet singulier à ce film étrange et envoutant.

Les ressorts mécaniques de cette histoire tortueuse, jusqu’au twist final convenu, sont finalement un habile prétexte pour livrer un véritable jeu de massacre : Silvio Amadio dresse le portrait cinglant d’une bourgeoisie décadente, en pleine déliquescence morale, toujours prête à exploiter le petit peuple. La pauvre héroïne en fera malheureusement les frais.

Greta Frankin se rend en Italie afin  de travailler en tant que secrétaire auprès de l’écrivain à succès Richard Stuard. Ce dernier vit avec sa femme Eleonora au comportement ambigu. La véritable raison de son exil est de retrouver son amie disparu Sally, qui occupait le même poste.  Plus Greta enquête sur ce couple sulfureux plus elle s’approche d’une vérité tragique, un jeu de dupes pour le moins pervers.

L’aspect criminel du récit intéresse peu le cinéaste. La police est reléguée en arrière plan, les indices se font rares ou paraissent grossiers, à l’image de ses rebondissements tirés par les cheveux. Silvio Amadio creuse un sillon intéressant dans une  filmographie inégale mais personnelle, articulant critique sociale à travers le couple et à l’aide d’un érotisme désuet. Ses films ultérieurs le prouveront, à l’image des curieux Si douces, si perverses (à ne pas confondre avec le giallo de Lenzi), Les polissonnes excitées et La lycéenne a grandi. Des produits d’exploitation beaucoup plus comestibles qu’ils ne le paraissent au premier abord.

Et A la recherche du plaisir est assurément l’un de ses meilleurs films, un thriller érotique, baignant dans un climat de trouble permanent,  plaçant une héroïne au cœur d’un récit réversible : Perd-elle la raison ou est-elle victime d’une terrible manipulation. On reconnait sans peine la structure des Diaboliques de Clouzot, le chef d’œuvre fondateur de tout un pan du cinéma populaire italien.

A contrario des classiques du genre, mettant en exergue les meurtres filmés sur un mode opératique et fétichiste, érotisant les armes blanches et les giclées de sang, Amuck oriente délibérément ses morceaux de bravoure vers un érotisme explicite, frontal, sans passer par la case horrifique. Deux moments magnifiques retiennent l’attention. La scène de lesbianisme entre Barbara Bouchet et Rosalba Neri, filmée dans un ralenti à la lisière du grotesque, atteint  in-extremis une plasticité graphique inouïe, elle provoque des frissons, titille les sens sans se préoccuper du sens. La musique signée  Teo Usuelli, avec sa ligne de basse sensuelle, rythme les entrelacements hypnotiques de deux silhouettes divines du cinéma bis italien. Silvio Amadio suspend le temps, illumine ses actrices, décidément plus à l’aise avec leur corps qu’avec les mots. Il réitère dix minutes plus tard avec un flashback où, une fois de plus,  Barbara Bouchet (on ne s’en lasse pas) se baigne, dans son plus simple appareil, sous une cascade avec son amie. Le ridicule n’est pas loin mais le cinéaste transcende ce souvenir en une pure rêverie saphique.

Le réalisateur filme le sexe avec un tel maniérisme qu’il dépasse ses intentions initiales. L’effet est sidérant visuellement. On salue au passage le travail inspiré du chef opérateur. C’est dans cette gratuité du geste, isolé ou presque du reste d’une intrigue alambiquée, que le film séduit.

Pour résumer, la réussite de ce faux giallo ne tient pas dans son homogénéité visuelle et narrative mais dans ses brusques éclats plastiques, véritables coups de génie d’un cinéma qui nous manque tellement aujourd’hui.

Outre son casting féminin à tomber, on peut retenir la prestation convaincante de Farley Granger, plus impliqué que dans un autre giallo de piètre qualité, Qualcosa striscia nel buio. Sans oublier, Umberto Raho, éternel second couteau parfait, aperçu entre autre dans L’aveu, L’oiseau au plumage de cristal ou encore Tropique du cancer, autre giallo exotique sorti également chez Le chat qui fume… de moins en moins la moquette et de plus en plus de bon gros cigares de luxe !!!

(ITA-1972) de Silvio Amadio avec Barbara Bouchet, Rosalba Neri, Farley Granger, Umberto Raho

Edité par Le chat qui fume. FORMAT : Combo BLURAY Double couche (1920×1080/23,976p) – DVD en 16/9ème compatible 4/3 2 :35 – CD. LANGUES : Italien. Sous-titres : Français. Durée : 1 h 40. Zone : Zone B et Zone 2

Bonus :

L’intégralité de la musique de Teo Usuelli sur CD (52 min)

Les Biches avec Rosalba Neri (15 min

Mort à Venise Barbara Bouchet (19 min)

A la recherche de mon père avec Stefano Amadio (22 min)

A la recherche d’Amuck par Philippe Chouvel (24 min)

3 gialli par Jean-François Rauger (12 min)

 

Comme d’habitude Le chat qui fume ne fait pas les choses à moitié avec des interviews des deux actrices du film mais aussi du fils du réalisateur.

Philippe Chouvel décrypte le film de manière très clair sans se perdre dans élucubrations intellectuelles. Le passionnant Jean-François Rauger livre sa vision du giallo à travers 3 pièces maîtresses : Les frissons de l’angoisse, 6 femmes pour l’assassin et, plus surprenant, Les rendez-vous de Satan.

Cerise sur le gâteau l’excellente BOF de Teo Usuelli en CD bonus. Que du bonheur.

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