Amat Escalante fait partie de cette « nouvelle vague » de réalisateurs mexicains, mené par le désormais reconnu Guillermo Del Toro. Le club compte un certain nombre de personnalités : Carlos Reygadas, Alfonso Cuaron ou Alejandro G. Innaritu, dont les film rencontrent aujourd’hui un succès international. Le concept « Escalante » repose sur un mélange entre peinture sociale et film de genre, que ce soit pour Heli (2013) ou La Région Sauvage (2016). Il y a quelque chose de passionnant et d’agaçant chez ce réalisateur. Le côté cool, c’est l’attachement du bonhomme aux personnages, des prolétaires (ouvrier à la chaîne de père en fils dans une usine automobile pour Heli) vivant dans des logements spartiates. Escalante utilise une forme de « cinéma vérité » pour décrire leur quotidien, à la fois banal mais aussi source de leurs maux et de leurs luttes. Heli est un jeune homme qui vit en couple et qui vient d’avoir un bébé. Mais dans la même petite bicoque, vivent aussi le père et la sœur d’Heli. Dans La Région Sauvage, Alejandra et Angel sont un couple modeste aux apparences « normales », avec deux enfants. Mais le mari a des penchants homosexuels qu’il n’assume pas et il trompe sa femme avec le frère de celle-ci. Escalante aime ses personnages et les nombreux détails apportent un sentiment de réalité et donc d’empathie envers tous les protagonistes. Escalante aime aussi son pays. Il déploie un talent indéniable pour faire de belles images en soignant ses cadres et ses lumières, dévoilant ainsi de très belles choses là où ne règnent que la misère et la banalité.
L’aspect agaçant vient du télescopage entre film intimiste et film de genre, car la transition se fait par des scènes chocs, qui sont devenues un peu la signature du réalisateur. Mais celles-ci sont amenées de manière peu subtile. Alors qu’est déployée une atmosphère anxiogène dès le début, on sait à l’avance que tous les personnages sont au bord d’un abîme et que l’on va verser dans la violence à un moment ou à un autre. Pour Heli, qui bascule vers le film policier, cela reste crédible car le film s’inscrit dans la tradition mexicaine des cartels et des flics corrompus. Mais globalement, l’intrigue principale repose simplement sur un trafic de drogue foiré, une histoire déjà vue mille fois. Escalante choque la croisette avec une scène de torture, il est vrai assez malsaine, mais tout de même pudique lorsque l’on connaît les atrocités perpétrées par les trafiquants locaux. Le réalisateur joue ainsi les équilibristes et parvient néanmoins à rester sur son fil grâce à la solidité de ses acteurs et du contexte.
Dans La Région Sauvage, c’est le fantastique, et même la science-fiction, qu’Amat Escalante convoque. Le film s’ouvre sur une scène où une jeune femme prend du plaisir à l’aide d’un tentacule géant, qui n’est pas sans évoquer tout un pan des mangas « Hentaï ». Le film met en scène une créature extra-terrestre, tapie au fond d’un bois, et qui promet une extase inédite à toutes les personnes qui vont à sa rencontre. A nouveau, le réalisateur dépeint un milieu social, évoque les difficultés à vivre en couple ou à vivre sa sexualité dans une société verrouillée (une partie de l’histoire s’inspire de faits réels). Ainsi, l’alien symbolise une porte de sortie, un espoir vers un avenir meilleur, qui ne se fera pas sans sacrifices, néanmoins.
Tout comme dans Heli, l’équilibre est fragile entre crédibilité et farce grotesque, mais Escalante s’en sort avec les honneurs. Ce qui pourra gêner ici est la filiation un peu trop évidente avec Possession de Zulawski, où une jeune femme allait voir son amant alien pour échapper à son mari (ce qui est donc à peu près la même histoire!). On peut arguer que la créature de Possession était elle-même inspirér de l’estampe japonaise « Le rêve de la femme du pêcheur ». Mais une nouvelle fois, Escalante développe une esthétique très personnelle et créé dans le même temps une atmosphère étrange et séduisante. Et à nouveau, le réalisateur émaille son œuvre d’une poignée de scènes chocs dont une particulièrement bizarre impliquant des animaux.
Il faut bien avouer que nous avons aussi envie de nous laisser séduire et de pénétrer cette région sauvage. Outre le cocktail social/fantastique, Escalante discourt sur plusieurs sujets. On peut citer la sexualité, où règne la difficulté à équilibrer la raison et les contraintes sociales, avec des pulsions animales. Ce retour à un état animal a aussi un écho géographique : pour assouvir leurs envies, les personnages quittent la ville et gagnent la campagne et la nature. Et puis il y a cette obsession de la miction. A plusieurs moments, des personnages ont envie d’uriner, ou urinent là où il ne faut pas. Escalante s’en sert comme un marqueur social et comme un symbole du retour à l’animalité. Malgré le concept un peu trop voyant et malgré sa créature un peu pompée, Amat Escalante réussit tout de même à imposer son propre style et ses propres réflexions, ce qui en fait un auteur à suivre de près.
Heli est disponible en dvd chez Blaqout. La Région Sauvage devrait sortir en blu-ray et dvd chez Le Pacte mais pour l’instant, pas de news.
La Région Sauvage, Amat Escalante
Possession, Andrzej Zulawski
Merci pour les idées