Courts-métrages
Premier coup de cœur dans la sélection française : À l’aube de Julien Trauman (2018). Ce court se démarque des autres films proposés pour plusieurs raisons : la mise en scène est tout à fait remarquable car elle projette le spectateur dès le départ dans une histoire plutôt banale : des adolescents fêtent leur baccalauréat. La caméra fait de longs plans-séquences pour suivre ces ados. On y suit un personnage de dos comme au tout début du film The place beyond the pines. Capter une ambiance, montrer la légère folie, le bonheur de ces jeunes qui se fichent (pour le moment) de leur avenir et qui profitent de cette soirée (la leur). Des gros plans décrivent aussi les liens présents entre trois personnages que l’on va retrouver ensuite : le couple Aurore/Simon et leur copain Adrien joué par l’excellent Constantin Vidal, acteur que l’on retrouve dans un autre très bon court-métrage de la sélection, Chose mentale.
Ces gros plans sont présents également dans la deuxième partie du court-métrage : cette banale histoire de fête de fin d’année se transforme en huis-clos. Les ados ont trop bu et ses sont éloignés des côtes (bretonnes). Comment faire pour revenir de là où ils sont partis ? Le film pourrait très vite devenir cliché et montrer une hystérie collective se mettre en place. Pas du tout, les gros plans vont enfermer les personnages et redistribuer les liens présents au départ. Aurore plonge doucement mais sûrement dans une folie au point de menacer les nouveaux liens créés. Elle a des hallucinations sur ce petit bateau pneumatique : le bateau semble habité par des serpents qui se glissent sous le plastique. Adrien ne semble pas voir d’autres solutions que de la mettre par-dessus bord pour sa survie ou celle de son amitié avec Simon. Est-ce un fantasme ou la réalité ?
C’est là que se situe la principale qualité de ce court-métrage. Un survival (un bon de surcroît) est un objet très rare dans la cinématographie française mais situé sur un petit bateau perdu au large des côtes bretonnes, chapeau ! La chaleur, la couleur bleue, le trio découpé par le montage et l’échelle des plans permet la réussite de ce drôle de film.
Dans la section animation, un film russe se démarquait : Lola, la patate vivante. Au programme : mélancolie et nostalgie. Le thème principal de ce court d’animation montre une petite fille et la disparition de son grand-père avec lequel elle a passé de bons moments. L’animation, très belle, fait penser à des tableaux de Gauguin.
Pour les courts métrages internationaux, le public a voté pour Die Mädchen in Schnee. Cette relecture de Blow out sous forme vintage et à la manière d’un torture porn était une excellente surprise car elle détonnait avec les autres productions et ne durait que 7 minutes. Elle était très forte sur le plan émotionnel tout aussi bien du côté des liens que le film tissait avec le cinéma qu’avec l’empathie que le spectateur pouvait avoir pour cette jeune fille détenue et torturée par un technicien du cinéma (un ingénieur du son) pour le bien d’une production cinématographique.
Dimanche : loup-garou & Climax
Pour sa master class, John Landis est interviewé par le toujours excellent Jean-François Rauger (pertinent l’après-midi et très drôle le soir lors de la nuit excentrique). Le réalisateur américain émerge à la fin des années 1970 et se taille une place à part dans la cinématographie contemporaine en lorgnant sur différents genres qu’il a réussi à tordre.
C’est dans ce sens qu’intervient la première question de Jean-François Rauger qui propose un extrait des Blues Brothers (1980) où apparaît Aretha Franklin (disparue il y a peu – une façon de lui rendre hommage). Il évoque une réflexion sur le divertissement populaire, un domaine où John Landis a réussi le mélange des genres. Le film avait relancé la carrière d’Aretha Franklin. De nombreux autres artistes légendaires étaient présents dans ce film, comme James Brown par exemple. James Belushi et Dan Aykroyd ont profité de leur notoriété pour relancer la musique issue de la Motown. John Landis évoque cette époque et regrette que l’esprit de ces studios ait changé (la rentabilité est devenue la notion essentielle). Il est également déçu par les nouvelles formes de consommation des films et la désertion des salles. Pour lui, le cinéma est une expérience commune très importante, et plus particulièrement les comédies.
Jean-François Rauger retrace le parcours du réalisateur. Il démarre au secteur courrier chez une major dans les années 1960. Il est ensuite cascadeur pour la 20th Fox en Europe. Il travaillé en Espagne sur les tournages de westerns spaghetti où il fait la connaissance de Franco Nero et Sergio Leone. C’est durant cette période qu’il rencontre aussi Rick Backer, le futur responsable des effets spéciaux sur Le loup-garou du Londres.
Dernier temps de la rencontre, Jean-François Rauger revient sur Un fauteuil pour deux et demande au réalisateur si un film comme celui-ci serait possible à faire aujourd’hui. Pour Landis, une notion est à proscrire : le « politiquement correct ». Pour lui, une comédie est réussie quand on sait d’où vient la blague. Il est inquiet par rapport à la situation politique actuelle très tendue aussi bien en Europe ou aux USA, qui empêche une certaine liberté voire de la légèreté dans les comédies contemporaines.
Le loup-garou de Londres, aura marqué les fans de films fantastiques par un aspect en particulier : les effets spéciaux utilisés lors des transformations du loup-garou. Rick Baker frappe fort au point d’obtenir l’oscar des meilleurs maquillages en 1982. La souffrance ressentie du personnage lors de ces transformations et la monstruosité de la bête restent à ce jour des moments de création incroyables. J’ai été profondément marqué par ces scènes, ayant vu le film un peu jeune (à 10 ans!).
Place au show de Gaspar Noé. Le réalisateur propose quelques minutes de danse avec un des protagonistes du film (et le directeur du FEFFS Daniel Cohen) en guise d’introduction avant de présenter son nouveau film. Comme d’habitude chez Noé, c’est avant tout une expérience qui sollicite les sens du spectateur. Le principal attrait du film est que la technique est totalement au service du scénario (sommaire certes). Gaspar Noé nous présente les futurs danseurs et les références littéraires et cinématographiques (Salo, l’hallucinant Schizophrenia, Possession, 2001, Zombie…)
Avec Climax, rarement la danse aura été autant magnifiée au cinéma : des mouvements de caméra (trajectoires délirantes du réalisateur) permettent de relier tous ces danseurs, qui font un seul bloc. La musique est trop forte (tout au long du film) mais elle permet de nous plonger dans cette ambiance folle où tous ces corps sont entremêlés et communiquent par des mouvements issus du voguing, crump et du breakdance (entre autres).
Un mot pour décrire ces 45 premières minutes : beauté. Une séquence est à mettre de côté : les dialogues (improvisés) sans relief et de bas étage des différents binômes de danseurs. Sans ces élucubrations, les plans-séquences puis les battles de danse ont un effet hypnotique pour tout spectateur qui a réussi à intégrer le dispositif mis en place par Noé. Happé par ces mouvements et cette musique, le spectateur ne peut qu’admirer les mouvements des 20 danseurs tous différents et s’attendre à un rapide retour de bâton.
Au bout de 45 minutes, le générique apparaît enfin. Le groupe va se déliter et se détruire tout au long des 45 dernières minutes.
Certes, la sangria y est pour beaucoup (un danseur a mis de la drogue dans la sangria pour une expérience) mais ces longs plan-séquences qui suivent divers personnages montrent comment il est difficile de vivre ensemble. Certes, Gaspar Noé pousse le bouchon un peu loin : un enfant va y laisser sa peau, une femme enceinte se retrouve tabassée et dans un sale état, des mots d’oiseaux, des bastons éclatent puis des meurtres.
Ode à la vie en passant par l’amour et la mort, ce film est une expérience hallucinante comme a pu l’être Enter the void. A voir très vite pour tous ceux qui pensent que le cinéma n’a plus grand-chose à montrer.
La féline de Jacques Tourneur (1942) et The Rusalka de Perry Blackshear (2018)
Hasard ou non, les deux films traitent de thèmes communs : la femme et sa place dans la société, la monstruosité et l’attirance.
Produit par Val Lewton, La féline fait figure de symbole du film fantastique efficace créé avec très peu de moyens (100 000 dollars).
Si à l’époque les productions en Technicolor ont eu tendance à montrer davantage au spectateur, les productions en noir et blanc tentaient d’en montrer le moins possible. Irena Dubrovna (Simone Simon) croit être une victime d’une malédiction où les gens de son village d’origine seraient des hommes se transformant en félins. Cette situation ambiguë (et qui le sera tout au long du film) est mise en avant par une mise en scène sobre mais efficace.
Le hors-champ est un élément essentiel de la mise en scène. Une séquence vient tout de suite à l’esprit : celle où Irena suit Alice (une collègue de son mari). Si les deux femmes sont visibles au début de cette scène, Irena se trouve vite hors champ et semble menacer Alice (le motif du félin, de la panthère est présent partout dans le film). Le travail sur le son est également important lorsqu’Alice monte dans le bus : le grognement de félin est couvert par le bruit (trop fort) du bus. Un peu plus loin, Irena prend un taxi mais semble avoir laissé des traces et crache du sang après que le réalisateur nous a montré des brebis mortes.
Irena est-elle un monstre ? La scène de la piscine semble nous l’indiquer, tout comme la transformation (hors-champ) du deuxième meurtre. Monstre physique mais aussi monstre sexuel (qui ne peut être montré dans un contexte de code Hayes).
Film très étrange mais efficace, The Rusalka évoque l’histoire d’un jeune homme muet qui rencontre une jeune femme près d’un lac où il se trouve en vacances. Cette dernière se trouve être une sirène. Le jeune homme muet ne lui veut aucun mal mais cherche une présence. Ces deux personnages sont des monstres (chacun à leur façon, une chimère d’un côté; un homme avec un handicap pour l’autre) ou du moins des êtres isolés dans un monde ultraconnecté.
Tom devient alors violent lorsqu’un voisin s’en prend à la sirène. Le plus monstrueux n’est pas celui ou plutôt celle que l’on croit. L’un des intérêts est que le spectateur ne reste pas uniquement du côté du personnage principal (mais y en a-t-il un seul ?). Le réalisateur nous emmène dans le quotidien d’un personnage seul dans sa maison mais aussi dans le quotidien d’une sirène à l’aide de caméras plus ou moins mobiles et très virevoltantes. A la fin, chacun repartira de son côté. Ce film est une sorte d’adaptation moderne d’un conte où le personnage principal se sent plus fort après les péripéties vécues près cet étrange lac.
Malgré les 75 ans d’écart entre les deux films visionnés, les thèmes abordés restent toujours les mêmes.
Déceptions & Nuit Excentrique
Deux films étaient vraiment décevants durant cette session 2018 : La nonne de Corin Hardy et Human, space, time and human de Kim Ki-Duk
A quoi s’attendre d’un énième film de fantôme ? Pas grand-chose. Une religieuse se suicide en 1952 dans une obscure abbaye de Roumanie après avoir ouvert une porte qu’il n’aurait pas fallu ouvrir (il était écrit Finit hic deo, les gens ne font plus attention…). Deux ecclésiastiques vont tenter de découvrir ce qui s’est passé.
Cinq minutes de suspense relevé pour un film fantastique censé nous faire peur, c’est peu. De plus, le réalisateur abuse du jump scare lors de ces rares séquences. Le film finalement devient une parodie voire un nanar. Ah si un truc drôle et improbable dans ce film : le paysan s’appelle Maurice!
Deuxième déception : Human, space, time and human de Kim Ki-Duk.
Le scénario est incompréhensible pour ma part, rien n’explique vraiment la situation dans laquelle se trouvent tous les protagonistes. Un milliardaire, ses sbires, des touristes, tous les membres de l’équipage du bateau. Tout ce beau monde se retrouve sur ce vaisseau qui vogue sur l’eau puis sur l’air (pourquoi ?). Pas d’explications pour un travail qui ne fait que se répéter. Des scènes de tueries où méchants sbires du milliardaire s’en prennent au reste des passagers et réciproquement. Pourquoi ? Pas de réelles explications. Le spectateur est là et doit subir ces tueries.
La caméra passe d’un camp à l’autre sans vraiment de fil rouge et c’est vraiment dommage car la mise en scène est parfois intéressante d’autant plus que la photo est plutôt belle. Mais rien n’y fait, il est difficile pour le spectateur de se projeter voire de s’identifier aux protagonistes de ce film.
Très indigeste et impossible à suivre pour ma part (pourtant fan de cinéma coréen), Human, space, time and human de Kim Ki-Duk fut une réelle déconvenue (de plus de 2 heures…).
Enfin un des moments le plus attendus du festival : la Nuit Excentrique. Beaucoup de fous rires ou d’étonnement ! Certes, les sessions de bandes-annonces n’étaient pas les meilleures cette année. Les organisateurs ont tout misé sur les films et ils ont bien fait : Black ninja en hors-d’oeuvre, Texas 2000 et Captain America (celui de 1979 mais pas vu car projeté un peu trop tard, ou trop tôt : 5 h 30).
Assister à une projection de Black ninja (en 35 mm) réalisé par Godfrey Ho (1987), est une chance énorme. Le pitch est simple : deux agents d’Interpol, Alvin et Gordon, ont pour mission d’arrêter Rudolf, un chef de gang qui contrôle tout un réseau de drogue et qui a tué la femme d’Alvin. Ouille ouille, ça va saigner !
Ce film de ninja est un classique dans le monde du nanar. Il faut absolument jeter un œil sur le site de Nanarland pour ceux qui ne l’ont jamais vu. Une scène énorme apparaît dans le ventre mou du film (un peu lent il faut l’avouer) : la femme d’Alphonse Beni meurt dans ses bras. La scène dure 10 minutes environ et le héros ne pense pas à appeler les secours. Il se résout à cette mort sans vraiment broncher ! Quel jeu d’acteur incroyable (tout comme le doublage français) !
Autre perle du film : Richard Harrison qui joue le rôle de Gordon, imperturbable ninja qui va savater les méchants. Cet acteur est drôle à voir car il est à l’aise partout, quelle que soit la situation dans laquelle il se trouve (chez les terribles méchants ou en ville pour se balader).
Ces deux héros ne seraient rien sans de vrais méchants joués par Stuart Smith et Grant Temple. Leurs voies doublées sont insupportables et c’est un vrai plaisir de les voir se faire battre à plate couture par les deux héros dans un combat de ninja digne de ce nom (merci les effets spéciaux de Méliès). Stuart Smith joue le rôle d’un chef de gang très peu inquiet par la situation compliquée de son gang qui va de déconvenue en déconvenue.
Stockshots, faux raccords, effets spéciaux peu chers, Godfrey Ho a mis la barre très haut en ce début de soirée.
Texas 2000 a été réalisé par Joe d’Amato. Chef-op’ à la fin des années 1960 puis réalisateur, Aristide Massacciesi AKA Joe d’Amato est l’archétype de l’artisan italien qui a tout fait des années 1970 aux années 1990 en suivant les tendances présentes dans le cinéma bis qui s’inspiraient des succès du cinéma plus traditionnel.
Le film est un nanar mais présente un scénario étrange (moins classique, disons, que le film précédent) : en 2020, une guerre nucléaire a ravagé la Terre. Au Texas, une bande de rangers essaie de maintenir l’ordre face aux bandits et pillards de toutes sortes.
Le pitch a l’air simple comme ça mais le film l’est un peu moins. Trois ou quatre films semblent habiter cette série Z inspirée de Mad Max II (il faut exploiter le filon). On peut parler de série Z car des héros marchent dans une forêt (qui se trouve dans une banlieue de Rome certainement) alors qu’une guerre nucléaire a eu lieu.
L’aspect post-apo est mis en avant par des bandes de voyous qui traînent dans de ce qui ressemble à des carrières abandonnées. Ces pillards vont réussir à créer une communauté plutôt paisible dans une centrale nucléaire (Pourquoi ? On ne le saura jamais).
D’Amato parvient à intégrer dans le film une rencontre de cette communauté avec une autre communauté dirigée par un sorte de nazi appelé Black One. Pour vaincre les nazis, les membres de la communauté paisible vont faire appel à des indiens et vont passer par le Texas (illustré par une petite bourgade entourée de forêts très vertes). Difficile de s’y retrouver au niveau du scénario tout comme au niveau de la réalisation.
Des faux raccords évidents (et d’autres moins visibles), des personnages improbables, des longueurs, des rencontres tout aussi impossibles, Joe D’Amato a repoussé à travers ce film les limites du Z. Il y ajoute bien évidemment ces petits touches personnelles : du gore (des scènes qui surviennent à de moments inattendus) et quelques femmes nues (la belle blonde du début, c’est Sabrina Siani).
Un d’Amato d’exception donc. Pour la petite histoire, le mot Texas n’apparaît dans mon souvenir uniquement que sur le fronton d’entrée du bar de la bourgade où se déroule une partie de l’histoire.
Communion de rire avec toute la salle (c’est beau le cinéma), parenthèse enchantée nanardesque, quelle délicieuse soirée !